Ses doigts s’attardent sur les détails du bijou ; elle crève d’envie de passer ces milliers de dollars autour de son cou. Mais au lieu de l’arracher à son écrin de velours, Nora referme la boîte et la fait glisser vers son propriétaire. « Je ne peux pas accepter, elle met de l’émotion dans sa voix, c’est beaucoup trop. » Le cadeau s’accompagne également d’une main qui remonte sur sa cuisse. L’homme, qui affiche un sourire qui se veut irrésistible, desserre sa cravate et se penche vers elle. Son regard lubrique rend la scène encore plus dégoutante. « Vous ne pouvez pas refuser, c’est un cadeau. » Nora réprime son exaspération et se lance dans une imitation de la femme flattée par la tentative grossière d’un homme excessivement riche qui estime qu’il s’agit du meilleur moyen d’ajouter une autre conquête à son tableau. Plus on dépense pour elle, plus la femme se montrera reconnaissante. Juste avant de simuler l’orgasme, elle criera que son pénis est le plus long et le plus épais qu’elle ait jamais senti entre ses cuisses. Il se dira que ça en valait la peine.

Oui, Nora pourrait être cette femme.
Cependant, elle estime que le bijou ne mérite pas cet effort.

« Ne soyez pas ce genre de femme. » Ajoute-t-il, impatient. « Quel genre de femme ? » Il ne prend pas le temps de réfléchir avant de répondre : « Trop prude. »

Adolescente, elle se souvient qu’elle aurait tout donné pour avoir autant d’argent. De l’argent au point de ne plus savoir quoi en faire. Tellement d’argent qu’elle en aurait dépensé pour couvrir d’or et de diamants le corps d’amants et de maitresses auxquels elle ne tient même pas. Tout aurait été tellement plus facile. Par exemple, elle n’aurait pas eu à se tenir en face de cet homme, elle n’aurait pas été obligée de tolérer ces conneries sous prétexte qu’il s’agit d’un client du casino et qu’il faut à tout prix fidéliser le client bourgeois. La main de Nora tient encore l’écrin, la main de l’homme est toujours sur sa cuisse. Parfois, il se persuade qu’il doit la caresser et faire glisser les doigts vers l’intérieur s’il veut la séduire plus vite. Nora le maudit de froisser le tissu de sa robe. « Je peux vous proposer quelque chose de mieux que le sexe. » D’abord, il ricane. Puis il se redresse, retire sa main et repose son bras sur la table de manière nonchalante. « Mieux que le sexe ? » Il a l’air contrarié d’avoir perdu autant de son temps et de son argent avec la mauvaise femme. Ses pupilles sont déjà à la recherche de la prochaine. La bonne, espère-t-il. « Oui. » Piqué par la curiosité, le client accepte de nouveau de la regarder dans les yeux. Nora lui laisse d’abord le temps de visualiser toutes les choses qu’il pourrait préférer au plaisir de se décharger entre les fesses ou sur le visage de la mère de sa femme. « Il y a des hommes qui ont besoin de côtoyer la mort pour réaliser à quel point ils tiennent à la vie. » Ensuite, elle lui laisse le temps de s’imaginer toutes les choses qu’elle pourrait trouver mieux que le sexe et qui seraient susceptibles de le terrifier. « Le spectacle est fascinant, elle avale une autre gorgée de son alcool, et excitant. » En face, le type n’est pas sûr de tout bien comprendre. Nora parle si bas qu’il n’est même pas certain d’avoir cette conversation. « Pensez à retirer assez de liquide, vous pourriez en gagner encore plus. » L’hôtesse du Golden Gates se relève, passe les doigts sous le menton de l’homme : « Vous pourriez trouver quelqu’un avec qui le dépenser. »
La violence, l’argent, le sexe : le secret pour vendre sans avoir à fournir trop d’effort.

Et puis, Nora récupère la boîte et le bijou qu’il contient : « Vous avez raison ; un cadeau, ça ne se refuse pas. »