[a lot on my mind]
(jedan) edna c’est les ta gueule au fond d’la gorge.
edna c’est la rage qui s’accumule et qui explose quand on s’y attend pas.
edna c’est une course folle dans la nuit.
edna c’est des hurlements au milieu de nulle part.
edna c’est les doigts d’honneur à papa quand il regarde pas.
edna c’est les larmes qui devraient couler mais qui coulent pas.
edna c’est le verre qui entaille les paumes
et les gouttes de sang dans la neige,
mais ça fait pas mal.
(dva) dis edna ?
quoi ?
t’as pas envie de partir, des fois ?
non.
jamais ?
jamais.
tu mens.
non.
si, tu mens.
oui.
tu partirais avec moi, si moi je partais ?
pourquoi tu veux partir ? tu nous aimes plus, c’est ça ?
bien sûr que si, je vous aimerai toujours.
alors pars pas.
d’accord.
anne ?
oui ?
reste.
(tri) edna est l’aînée de l’une des plus étranges fratries de liberty.
c’est pas un honneur,
diront certains.
c’est quand même une sacrée famille de tarés.
une famille sacrée.
que des filles,
et on les voit jamais.
elles ont pas beaucoup d’amis,
les sœurs gale.
c’est qu’elles se suffisent à elles-mêmes,
elles ont besoin de personne.
juste de leur dieu
et de quelques étoiles.
certains disent les avoir vues danser nues sous la pluie
une nuit de pleine lune,
d’autres prétendent qu’elles font des feux de joie dans leur jardin
et qu’elles y sacrifient des animaux en offrandes aux anges
et qu’elles ont des couronnes de ronces sur la tête
et qu’elles dansent (encore)
nues (toujours).
(četiri) edna c’est la beauté de l’eden,
le plaisir d’un sourire
et le noyau d’une étoile.
(pet) edna elle a toujours eu beaucoup de goût pour la vie
et pour tout.
edna elle a comme un feu qui brûle sous sa peau
malgré son regard éteint.
edna elle aime la cuisine et regarder par la fenêtre.
edna elle voudrait partir courir le matin et adopter un chien,
se laisser couler au fond d’un lac et n’accepter de remonter
qu’une fois qu’elle en peut plus.
edna elle a la foi,
même si un peu moins chaque jour
et elle a confiance en l’homme,
elle essaie d’agir comme il faut,
ne pas déraper,
toujours faire ce qui est bien.
edna elle va tous les dimanches à l’église
et quand y’a de l’orage elle ferme les yeux,
joint ses mains en une prière aux saints
et avant chaque repas edna elle dit merci,
merci seigneur pour le pain d’aujourd’hui
et quand ça va pas elle se dit que ça ira,
elle dit merci encore sans savoir pourquoi,
elle demande des trucs au ciel sait-on jamais
mais ça va jamais mieux.
parce qu’edna elle y croit pas.
edna elle aime le dessin, aussi.
la devanture de l’église
ou les bébés ailés.
damaris qui dort
ou sarai en colère.
le styx de ses belles pensées
ou un gros trou dans la feuille
fait au crayon gris,
à l’image du vide que laissent les anges une fois au paradis.
et puis…
et puis edna elle vit dans le passé.
edna y’a des trucs qu’elle pardonne pas,
qu’elle se pardonne pas.
edna elle veut pas tourner la page et pour ça,
elle songe à défier les lois du ciel, juste une fois.
à laisser s’effriter sa foi
pour ainsi pouvoir s’adresser une dernière fois
à ceux qui sont morts alors qu’ils devraient pas.
(šest) edna, elle est pleine d’amour.
pour dieu d’abord et les filles ensuite.
les filles c’est ses sœurs,
ses étoiles,
ses fleurs,
ses princesses,
celles sans qui elle pourrait pas faire.
y’a qu’à voir :
suffit qu’il y en ait une qui parte
et c’est comme si on avait coupé la queue du chat.
edna perd le nord,
edna se met à faire des crises,
edna pète des câbles
et crie
et pleure
et écrase ses poings contre les murs.
mais alors il faut pas rester là à la regarder,
qu’on a dit aux filles.
faut appeler papa, car papa sait.
il sait où il faut piquer,
il sait comment la calmer.
après, de ça, on en parle jamais.
parce que c’est honteux,
ça paraît pas humain.
ça fait comme une tache sur le tableau tout blanc
et c’est si disgracieux,
si peu élogieux.
papa a dit que personne ne devait savoir ça.
qu’il y avait plus de taches
que de blanc.
(sedam) edna, elle est pleine de haine.
pour dieu d’abord et papa ensuite.
parce que dieu ou papa c’est parfois du pareil au même.
juste que l’un parle fort et l’autre ne parle pas.
edna, elle a tout donné. pour tout le monde.
dieu et papa plus que personne.
et eux, ils lui ont pris anne,
puis sa liberté,
ses pensées,
sa santé.
edna elle en peut plus, elle va finir par craquer.
pour de vrai cette fois,
comme anne a craqué
peut-être.
(osam) edna voudrait qu’on l’aime.
elle veut l’amour comme il est écrit dans les livres,
ceux-là-même qu’elle cache sous les lattes du plancher.
(devet) sa maman, à edna,
c’est le soleil
et puis la lune.
c’est tout l’univers
et bien au-delà.
c’est la terre qui craque sous ses pieds
et le tsunami qui finira par l’emporter.
elle l’aime
et puis non.
c’est sa faute pour anne,
c’est sa faute pour la vie qu’edna n’aura pas.
parce qu’edna elle est trop bonne,
elle a pas pu l’abandonner comme ça,
sa maman.
alors elle a tout laissé,
les dictionnaires et les hommes,
pour s’occuper d’elle.
elle a pas pu la laisser tomber,
elle lui faisait trop pitié.
elle fait comme si elle voyait pas ce qui se passe
du coin de l’œil.
comme si elle se rendait pas compte que son altruisme
la rend folle.
c’est qu’edna elle donne à sa maman une place au paradis
et en même temps elle perd la sienne.
(deset) edna n’a jamais de fou-rire,
edna ne dit jamais n’importe quoi.
parce que la vie c’est pas drôle
et si edna n’est pas sûre alors edna ne dit pas.
alors on la dit froide, muette ou asociale
alors que non, elle est pleine de vie,
de chaleur
et d’amour.
elle est juste trop sage pour un monde qui ne l’est pas assez.
edna sourit rarement, aussi.
et c’est toujours maladroit,
ça fait pas naturel.
c’est parce qu’elle sait pas quand c’est opportun
et que c’est souvent de gêne
et que maman disait
mon ange, tu es bien plus jolie quand tu ne souris pas.
(jedanaest) la gêne c’est l’homme
et par homme on entend bien celui avec deux cerveaux.
lui qui donne du rouge aux joues d’edna,
lui qui alarme tant papa,
lui, objet interdit du désir et de l’inconnu
qui peut arracher quelques sourires à l’edna corrompue.
(dvanaest) edna ne cache rien à ses sœurs
et elle en attend de même de leur part.
elle se sait plus âgée,
on la dit la moins folle.
elle leur tend la main
et la serre fort parfois.
elle se donne tous les droits
si c’est pour elles.
parce qu’elle les aime.
et que de cinq elles sont déjà passées à quatre.
(trinaest) depuis aussi longtemps qu’elle se souvienne,
edna a toujours emporté avec elle un rouge à lèvres.
rouge comme une pomme,
comme la passion
et comme le sang.
artifice dont, elle le sait, dieu se passerait bien
et qu’elle prend bien soin de cacher entre les plis de sa jupe
en sortant.
(četrnaest) edna a toujours été une enfant sage.
la seule connerie qu’elle ait jamais fait
c’est de disséquer le lapin qu’on devait tuer la semaine d’après
pour le repas.
elle voulait voir, edna, elle était curieuse.
et ça n’a pas plu à papa.
il a dit très fort qui a fait ça ?,
papa.
et anne, et les filles, elles ont toutes regardé edna.
et puis papa il a dit c’est toi edna ?
et anne elle a dit non c’est pas edna c’est moi.
et c’est elle qu’on a envoyé jeûner à l’étage.
ça a fait pleurer edna.
(petnaest) « et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes ? »