Nuit tombée depuis quelques heures, tandis que tu l’attends, appuyé contre ta voiture, une cigarette entre les lèvres. Les volutes de fumée se mêlent à la chaleur de ton souffle, se perdant ensuite dans la nuit. Tu es détendu, comme à ton habitude. Trop serein, peut être, mais tu te sais en position de force avec lui. Tu sais qu’ici, dans cette petite ville, personne ne te soupçonne de quoi que ce soit. Tu es le type discret, mystérieux et pourtant, dont on n’a pas tellement envie de se méfier. Le Texan a l’accent prononcé et aux clichés parfois visibles autant que risibles. Après tout, malgré ton apparence d’étranger évidente, personne ne sait rien de toi. Personne ne demande rien de véritablement personnel et quand bien même, tu travailles pour les gentils, comme ils disent. La police, l’ordre, la loi. Que tu aimes pourtant contourner avec un perfectionnisme poussé à l’extrême. Alors, avec toutes ces précautions, tu ne peux pas te permettre de laisser une tâche sur ton parcours. Et cette tâche, c’est Orion. Orion qui a bien grandi, depuis cette nuit là, dans ta petite ville du Texas. Celui-là sur lequel tu as toujours conservé une influence, parce que tu t’es rendu compte qu’il est bien plus amusant de le torturer, de le manipuler, que de purement et simplement le tuer.
Tu tournes la tête en attendant des pas, dans ce quartier trop calme dans lequel tu vis pourtant toi aussi. Tu laisses échapper une nouvelle bouffée de fumée, jetant à terre ton mégot, en écrasant la braise sans te soucier du reste. « I was waiting for you » Lâches-tu, d’un ton froid et détaché. D’un ton serein et calme, tandis qu’il arrive à ton niveau. Tu sais qu’il t’a vu, qu’il a peut-être pensé à chercher un moyen de t’éviter. Pourtant, tu as fait en sorte qu’il ne puisse pas t’éviter. Qu’il soit obligé de passer devant toi pour rejoindre sa demeure. Là est bien toute la subtilité de tes prises de décisions. Tu te détache de ta voiture afin de te planter devant lui, croisant les bras. « Get in » Renchéris-tu, d’un ton autoritaire et pourtant calme, tout en désignant ta voiture d’un signe de tête. Tu n’as pas besoin d’insister, là tout de suite, mais tu le feras s’il refuse. Tu sauras te montrer convainquant car tu ne veux pas lui parler, jouer avec lui, au milieu des commères du voisinage ou des regards indiscrets. Tu es trop prudent pour ça. « Don't mess with me » Déclares-tu pour finir, alors que tu sens qu’il hésite. Evidemment, tu ne feras pas de scène, pas d’esclandre ici, ce serait trop dangereux. Mais tu tâches d’être convainquant, voir simplement intimidant. Descendant peu à peu les octaves de ta personnalité pour en atteindre le fond. Les pires noirceurs, les plus grands démons. Ton vrai toi, que tu révèles à Orion chaque jour un peu plus.

Il essaye, tout de même. Voilà pourquoi tu renchéris, voilà pourquoi tu le forces, sans pour autant éveiller un quelconque soupçon sur ce que tu es réellement en train de faire. L’intimider, le faire monter dans ta voiture, l’amener ailleurs et qui sait. Qui sait réellement ce que tu as derrière la tête. Tu es juste là pour triturer son esprit, pour violenter ses pensées, pour créer autant de sentiments contradictoires que complémentaires. C’est ça que tu recherches, au fond, l’assaillir de doutes, d’incertitudes, de peur. « Good boy » Lâches-tu doucement en l’observant monter dans ta voiture, avant d’en faire le tour pour rejoindre le siège conducteur. « Don’t worry, we just go to a place more… private » Lâches-tu en le gratifiant d’un sourire faussement rassurant, alors qu’il te regarde avec un air presque apeuré. Craignant pour sa vie, pour son sort. Mais toi, tu t’en délectes. Tu t’en amuses. Créature abjectes qui se nourrit des violences et des tourments. Alors tu démarres ta voiture et prends la route, en direction du bois non loin. Désert, froid, sans personne pour venir vous espionner de trop près. Sans personnes pour venir poser des questions. Sans personne pour témoigner de ce que tu pourrais être capable de faire. Tu n’as pas de plan précis en tête. Tu veux juste être le bourreau. Tu veux juste sembler normal, presque tendre, pour ensuite te révéler vraiment. Intimidant et accessible à la fois. Mélange complètement surréaliste pour un être complexe.  
Tu ne dis rien pendant le trajet, laissant la musique, un vieux morceau de rock, guider les quelques minutes qui vous séparent de cette partie du bois à l’abri des regards. D’un petit chemin hors des sentiers battus. Finalement, tu coupes le contact, plongeant l’atmosphère dans la pénombre de la nuit, simplement brisé par la lueur d’une lune pleine. Ton visage se tourne alors vers Orion qui t’observe, perplexe et nerveux. Tu es le prédateur, qui sent la peur dans les yeux de sa proie. Qui peut sentir, les battements de son cœur trop rapide. Ta main glisse jusqu’à son genou, remonte jusqu’à sa cuisse. Douce caresse lascive qui cherche bien autre chose qu’un effrayant tourment. Pourtant tu es là, à jouer encore une fois. Menace et douceur, charme et intimidation. « So how are you, Orion ? » Oses-tu demander, impertinente normalité pour une situation toute sauf banale. Alors que tu t’approches encore un peu plus de lui, que tu te penches, approchant ton visage du sien. « Tell me about your day. Nothing... Special ? » Mais ta main remonte encore plus haut, plus à l’intérieur de sa cuisse. Le perturber, l’empêcher de réfléchir, l’empêcher de savoir quoi faire. Ou encore de savoir quoi dire.

Orion était en panique. Mais il ne disait rien. Il ne devait rien promettre. Il avait son arme à portée de lui, mais bizarrement, il ne savait plus où elle était. Il ne savait plus rien. Son cerveau s'était vidé, son sang était devenu froid, les mouvements étaient donc impossible à faire. Son coeur battait très vite, il ne comprenait plus rien. Il avait compris que c'était la fin pour lui. Allait-il se débarrasser de son corps? Allait il l'emmener quelque part où personne ne le retrouverait plus jamais? L'incertitude le rendait malade. Sa réflexion le rendait malade aussi. Il avait envie d'hurler. Il hurlait intérieurement. La voiture démarra et commença à rouler. Orion préféra fixer le paysage qui défilait. La nuit n'avait plus rien de rassurant. Il voulait aller dans un endroit privé. Ca voulait tout dire. Orion se renferma et il se fit tout petit sur le siège, comme s'il voulait qu'il l'oublie à tout jamais. Il laissa la radio, ce qui laissa un gout de film d'horreur dans la bouche d'Orion qui aurait bien envie de s'enfuir même s'il roulait encore. Mais bien entendu, Orion n'était pas capable d'effectuer le moindre mouvement.

La voiture s'arrêta et Orion crut que son coeur allait exploser. Le silence le bouffait petit à petit. Ses membres se mirent à trembler. Quand il sentit sa main sur sa cuisse, Orion sursauta, les larmes lui montèrent aux yeux. Il lui demandait comment ça allait et comment sa journée avait été. Orion sentit un voile s'installer sur ses yeux. Il ferma les yeux pour éviter de croiser son regard. Et ses tremblements devinrent de plus en plus violents. Impulsivement, il hurla:

"LEAVE ME ALONE! LEAVE ME ALONE RIGHT NOW! I DIDN'T SAY A FUCKING WORD! YOU CAN'T DO THAT!"

En même temps qu'il hurlait, les larmes coulèrent le long de ses joues. Il avait de nouveau une crise de panique. Sa respiration devint irrégulière. Il voulait mourir sur le champs. Il lança alors d'une voix larmoyante:

"Kill me right now... I don't want to live anymore... "