of you i've been dreaming the sandman has come from too far away
for you to say come back some other day

Un léger parfum au creux de son cou, qu'il sentirait à des kilomètres. Elle n'en a pas trop mis, au contraire, elle a en a déposé juste un peu, une simple goutte. Elle n'est ni séductrice, ni avide de plaisir. La maladresse dans cette maigre touche à la fois sucrée et triste témoigne d'un manque cruel d'envie de vivre. Elle n'a plus d'audace, plus de folie. Monotone est ce qui caractérise sa vie, depuis de nombreux mois. Il ne vient ici que pour elle. A chaque fois qu'il la trouve, seule, même isolée alors que toutes les attentions lui sont dévouées, il sent cette même odeur, délicate et irréfléchie. Ce parfum aux effluves de fleurs fanées. Elle ne se parfume pas pour attirer les corps, mais pour se prouver à elle-même qu'elle dégage encore quelque chose. Quelque chose d'un peu doux, presque inoffensif. Quelque chose qui caractériserait sa bienveillance d'autrefois. Ce n’est pas de la nostalgie qu’elle éprouve, ce n’est pas non plus le désir de redevenir celle qu’elle était. Elle en est incapable. Il lui est impossible d'oublier le passé. L’unique geste qui témoigne encore de son humanité est cette goutte, imperceptible mais bien présente, qu’elle dépose sur le côté droit de son cou, tout proche de la nuque. Les quelques mèches de son chignon maladroit viennent ainsi caresser le parfum, l’aidant à se diffuser légèrement. C’en est presque inconscient, puisque elle n’est même pas sûre de pouvoir être en mesure d’attendre encore quelque chose de cette vie qui est la sienne.
Et pourtant. C’est à ce moment précis où Rafael réalise que cette femme est fascinante, largement plus que toutes les autres qu’il a pu rencontrer auparavant. Il ne fallait, pour rien au monde, la laisser dans son monde empli de brouillard nocif et imaginaire. Il en est certain : elle est l’unique. Elle est et restera la rencontre, qu’elle aboutisse à quelque chose de merveilleux ou au néant. Rien qu’en l’observant, il sait que l’effet qu’elle a sur lui – sans même qu’elle en ait conscience – est absolu, de l’ordre du divin.
23h09 correspond à l’instant où il la tire de ses rêveries sombres du soir, et il l’espère secrètement, aussi de ses démons de tous les jours. Il s’approche de la femme, laissant son verre vide derrière lui, posé sur la table à laquelle il a l’habitude de s’asseoir. Sans regarder le monde autour, ses pieds s’alignent, l’un devant l’autre, sans même qu’il ait à contrôler leur trajectoire. Rafael aime les femmes. Il les aime plus qu’il s’aime lui-même, puisqu’il sait que sans elles, il serait incapable de vivre. Ni même de respirer. Il puise ses ressources au creux d’une femme, dans ses courbes, ses baisers. Tout le respect qu’il leur porte est dû à ce qu’elles lui font provoquer. Et cette femme-là ne fait pas seulement provoquer des sensations indescriptibles à Rafael. C'est bien plus que ça. Toutes les femmes qu'il a connu cherchaient à être désirables, à ne jamais manquer de rien. En se parfumant, en s'habillant ou en se maquillant pour leur propre plaisir, elles faisaient aussi croître le désir autour d'elles, ce qui leur procurait une satisfaction délicieuse. Elles étaient ternies par la luxure, même si elles ne se l'avouaient pas. Mais pas elle. Pas cette femme. C'est parce qu'elle ne dégage rien d'autre que sa goutte de parfum venant d'un flacon presque vide qu'elle est exceptionnelle. Elle est comme une feuille de papier chiffonnée sur laquelle rien n'est inscrit : pure à l'intérieur, polluée de l'extérieur. Et son parfum est ce qui lui donne envie d'en savoir plus, mais aussi de tout lui apprendre. De la vie, des plaisirs, des peines, du bien et du mal. Rafael ressent le besoin d'écrire sur cette page blanche et abandonnée. - Je peux ? Son visage à elle se tourne vers celui de l'homme. Rafael ne peut pas freiner le léger sourire qui vient se dresser au coin de ses lèvres. Elle est sublime. Elle n'est pas créature céleste, n'a pas l'air irréelle. Ce qui fait tout son charme est son air profondément humain. C'est une femme, une vraie, avec sa tristesse et ses ecchymoses cachés. Il remarque que les yeux noisette de la jeune femme en face de lui ont encore une maigre lueur, qui a monté d'un cran lorsqu'ils se sont posés sur lui. Le regard de Rafael ne peut pas dévier. Tout son être, sa conscience et son inconscient sont passionnément envoûtés. - Je vous vois souvent par ici. Un simple geste de la main suffit à faire comprendre au barman que deux verres supplémentaires sont les bienvenus. Toujours rivé sur la femme dont il est tant désireux de connaître l'identité, Rafael prend place à côté d'elle. Il voudrait lui poser tant de questions et en même temps l'emmener au bout du monde, pour qu'elle voit toute la beauté de l'univers de ses propres yeux. Il voudrait être à la hauteur d'une femme aussi forte et fébrile à la fois. - Je m'appelle Rafael. Son sourire à elle vient apporter du rose à ses joues à lui. Une sensation qu'il n'avait jamais connu avant vient alors lui parcourir le long du dos, jusqu'aux pieds. Et enfin, sa voix. C'est ainsi que, d'une légère goutte de parfum déposée au creux de son cou, en découle un prénom plus puissant encore : Stella.

___________________________________


from rubble to ritz this town's a different town
to what it was last night

La vie de Rafael Rivera ne pourrait pas se résumer en une simple phrase, une devise pseudo-philosophique et poétique. Sa vie est le résultat de milliers de fragments d'autres vies. Rafael, il est le monde, il est le reflet de toutes les personnes qu'il peut t'arriver de croiser dans la rue, dans les bars, et partout ailleurs. Pourtant, Rafael, il n'a que très peu quitté le pays dans lequel il est depuis ses dix ans. Mais ses "voyages", comme il aime les appeler, ne se résument pas à une escapade d'un point A à un point B, à la découverte d'une île paradisiaque ou d'une ville trop touristique. Rien de ça. C'est une autre forme de voyage, beaucoup plus intime, qui se fait au travers des personnes qu'il rencontre. Rafael se promène dans les esprits et dans les mots. Les jolies phrases l'inspirent, et les différentes interprétations du monde qu'il peut écouter lui apportent toutes un fragment de vie. Rafael est ainsi le fruit de l'univers et des autres, imprégné de récits passionnant, et passionnés. Tu es surpris. Rafael n'est pas celui auquel tu t'attendais. De l'extérieur, tu le vois froid, malgré toutes ses couches de vêtements parfaitement disposés les unes sur les autres. Son apparence est plus glaciale encore lorsque tu le croises une seconde fois. Tu penses alors qu'il s'agit d'un voyou comme tous les autres, au passé douteux, reflet d'un destin malchanceux. La réalité est que la vie de Rafael est ce qu'elle est grâce à ses voyages qui lui ont donné la mobilité, l'envie d'exister, peu importe son passé. Il a choisi ce qu'il est. Il aime l'argent, mais aussi l'incertitude, l'adrénaline. Sa ruse l'aide aisément à régler chaque obstacle qui se trouve sur son chemin. Ce n'est pas un fier, et il ne cherche pas non plus à cacher quoique ce soit. Ce n'est pas non plus un livre ouvert, mais rares sont les personnes qui ont réellement osé apprendre à le comprendre. Car on ne le comprendra jamais. Lui, son choix de vie, et sa manière d'être avec les autres. Rafael est un secret puisqu'il est un peu tout de tout le monde. Il n'a pas de réelle identité. Sur le papier, tu sais ce qu'il est, mais lui, tu ne le connaîtras jamais vraiment, ni totalement.