Tu viens de t'enfuir de chez ton bourreau et tu ne le réalises toujours pas. Tes sens sont en alerte et l'adrénaline qui explose dans ton sang, dans ton corps, t'empêche de céder à la fatigue. Ton souffle est court, tu halètes, tandis que tu trébuches sur une branche et t’aplatis par terre. Tu entends un sifflement derrière toi, c'est lui, tu le sais, tu avais l'habitude de l'entendre siffler. Il te traque comme sa proie, lui, le prédateur, le grand méchant loup. Et toi, tu es faible, si faible. C'était bien ce que ces dernières semaines t'avaient appris à ton sujet. Tu es la plus petite des proies, la plus facile à attraper, à maltraiter, à en rire. Et pourtant, tu as plus de force que ce qu'il ne croit, car tu as rassemblé tout ton courage. Tu as frappé de toutes tes forces contre cette vitre de ta chambre en te déchirant la peau sur tes poings, tu as failli tomber sur ce toit puis tu t'es lancée, t'écorchant les mains, les genoux, tes pieds nus. Ces pieds que tu chérissais tant lorsque tu dansais, ils saignent maintenant et des écorces se sont mis en échardes, ce qui ne t'arrange pas dans ton avancée. Mais presque instinctivement tu te précipites vers ce lac que tu aperçois derrière ce peuple de bois sombre, tu t'y précipites, les mains tremblantes, tu réfléchis à toute vitesse. Et tu vois une autre personne un peu plus loin sur la rive. Tu hésites à crier et finalement, tu te tais. Tu cours vers elle, tu puises encore et encore dans tes réserves d'énergie pour l'atteindre. Mais lorsque tu arrives à sa hauteur, le loup est derrière toi, présent, plus insistant, conscient que sa proie est sur le point de lui échapper. Alors tu attrapes une grosse pierre dans ta course, tu manques de tomber encore une, puis deux fois. Et tout tourbillonne autour de toi. Tu perds pieds, tu n'arrives plus à respirer. Tout ce que tu sais, c'est que tu dois être silencieuse parce qu'il y a peut-être un moyen pour qu'il te loupe, qu'il ne te voit plus, que tu disparaisses. Et une main se porte à ton épaule alors que tu te caches quelques secondes derrière un tronc imposant. Tu lèves le bras, tu assommes la personne et tu la repousses. Ta pierre est entachée de sang, tu la lances dans le lac. Et cette personne, elle titube devant toi. Tu plisses les yeux parce que dans la pénombre tu ne sais pas si c'est ton bourreau. Mais la rage emplit ton être et tu pousses de tes deux mains encore tremblantes, cette personne dans l'eau derrière vous.
Puis un autre sifflement se fait entendre. Et tu comprends ton erreur. Mais tu n'as pas le temps de sauver cette personne. Tu espères qu'elle se relève, tu espères qu'elle aille bien. Mais tu sais qu'elle ne peut plus te sauver maintenant. Toi seule, peut te sauver.
Et quelques heures plus tard, alors que tu es prise en charge par l'ambulance, que tu viens d'avoir ta victoire, ta délivrance. Alors que la proie a gagné sur le prédateur, que le big bad wolf vient de battre en retraite, tu ne cesses de réfléchir à ces deux dernières heures de cavale dans les bois. Tu vois des images, des scénarios, tu te demandes si ton esprit ne s'est pas mélangé à ton imagination. Tu te demandes si tu n'as pas vu la personne se relever et te héler alors que tu repartais courir dans les bois. Tu espères ne pas avoir commis l'irréparable. Tu espères ne pas avoir semer la mort alors que tu recherchais la vie.
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