Tu soupires. Tu es encore en retard dans tes délais et la maison d'édition va encore te souffler dans les bronches, tu le sais. Alors tu essaies d'avancer plus vite, tout simplement parce que tu détestes ne pas rendre ton boulot à temps. Près de toi, le téléphone sonne et tu n'as pas besoin de regarder l'identité pour savoir que c'est ta mère: la photo s'affichant parle assez bien d'elle-même. Mais tu n'as pas le temps, alors tu ignores l'appel. Tu vas en entendre parler, c'est clair. Quelques minutes plus tard, c'est au tour de ton père, de te téléphoner. Tu lèves les yeux au ciel: 24 heures sans nouvelles et ils s'inquiètent déjà, t'imaginait certainement morte et plongée dans un caniveau. Pourtant ils savent que t'as beaucoup de boulot. Certainement beaucoup trop d'ailleurs. Mais tu ne cèdes pas à la tentation et ne réponds toujours pas. Et, dans les dix minutes qui suivirent, tu as entendu au moins quatre nouvelles fois ton téléphone sonner: oui, après tes parents, certains de tes frères et soeurs s'y sont mis aussi! Tu souris et lève à nouveau les yeux au ciel. Ils sont incorrigibles, mais tu es aime, c'est comme ça.

Soudain, un bruit t'interpelle: celui de ta messagerie. Tu as un nouveau mail. Le coeur battant la chamade, tu vois le nom s'afficher, avant le nom de l'objet du mail: Jude - De retour.
De retour. Il est revenu. Un immense sourire étire tes lèvres alors que tu en lâche ton crayon. Tu n'y crois pas. Fébrilement, tu abandonnes la seule résolution qui t'as forcée à ignorer les appels de ta famille et clique sur le lien. Ton rythme cardiaque s'accélère encore plus alors que tu lis ces quelques lignes.

"Chère Dylan,

J'espère que tout va bien pour toi. Ça fait longtemps. Trop longtemps. J'ai bien reçu toutes tes lettres et m'excuse du temps qu'ont dû mettre les miennes à arriver jusqu'à toi. Ces derniers mois, je n'ai pas arrêté de bouger et vient tout juste de rentrer d'Irak. Je crois que ma mère n'a jamais passé autant de temps dans la cuisine et moi assis sur une chaise en train de la regarder me fixer en train de manger tous les plats qu'elle m'as préparé! Elle me répète que j'ai trop maigri et que je dois me remplumer: on dirait qu'elle n'a pas encore compris que je suis grand et que je n'ai plus besoin qu'on me materne. Mais dans un sens, ça fait du bien, d'être de retour au bercail. Tout m'as manqué, et toi aussi. Surtout toi, en fait. Mais assez parlé de moi! Comment ça va? Et ton boulot? J'ai reçu les exemplaires des BD que tu m'as envoyé: avec les potes du régiment, ça nous a pas mal aidé à tenir le coup. Alors merci pour ça.

A très bientôt.

Jude."

Tu reprends soudainement ta respiration. Tu ne t'étais même pas rendue compte que tu avais arrêté de respirer. Tu clignes des yeux et sent quelques larmes couler le long de tes joues. Tu es soulagée, tellement soulagée. Jude est soldat. Jude, tu le connais depuis tellement longtemps que tu as l'impression d'être née en même temps que lui et de ne l'avoir jamais quitté. Excepté le fait que vous ne vous êtes jamais vus. Même pas en photo: c'est l'accord que vous aviez depuis toujours. Et le fait de n'avoir jamais vu son visage ne t'as pas empêchée de tomber amoureuse de lui. En gros, te voilà bien attrapée, tout simplement parce que tu t'inquiètes pour lui, tu as peur qu'il soit blessé au combat...ou pire. Mais tu ne lui parlera pas de tes sentiments: tu as trop peur pour ça.
Tu prends une profonde inspiration et pose tes doigts sur ton clavier. Le boulot, tu le remets à plus tard. Là, tu consacres quelques minutes à Jude, juste le temps de lui répondre. Juste le temps de prendre des nouvelles. De parler par messagerie interposées, à l'homme que tu aimes.