TELL THE BOYS I'LL FOLLOW YOU.
— esme&nephtys

Princesse promesse tu rappliques. Le coup de fil était bref, violent, plaintif. Il fallait qu’tu viennes. Dans la seconde. Qu’tu lâches ta pinte, que t’écrase ton joint et qu’tu traverses Liberty. Parce qu’elle appelait à l’aide, parce qu’elle appelait au secours. Au secours de quoi ? T’avais même pas pris la peine de demander. Elle qui ne l’ouvrait jamais, Esme venait bien de composer l’numéro d’urgence, paniquée, pour exprimer le besoin de t’avoir à ses côtés, l'ombre silencieuse que t'étais devenue, la poupée de béton qui semblait n'être qu'un calvaire de plus pour les jumeaux Flores. Alors pour qu’Esme en vienne là, c’est qu’c’était sacrément pressent. Avec ta fraîcheur de fêtarde, tu cavales dans la nuit, scrutant ton vieux téléphone cellulaire en quête d’un nouvel appel fatidique. T’as les idées bien embrouillées, et t’es définitivement pas lucide mais tu cours à travers la ville, le souffle blanc s’échappant de tes lèvres dans un rythme de plus en plus rapide. Tu vas finir par t’faire sauter le coeur à tracer comme ça. Mais c’est plus fort que toi. Si il arrive quelque chose à l’un ou à l’autre, c’est pour ta pomme. Alors tu répares les conneries de Nino et tu défonces tes poumons pour rejoindre Esme. Ces jumeaux parfois t’as l’impression qu’ce sont les tiens. Deux pauvres gosses que tu gardes de loin, deux pauvres chiots dont on t’a demandé de prendre soin. T’es pas maternelle pour un sous Nephtys, déjà qu’c’est la merde pour te garder toi-même. Alors ce genre d’urgence, c’est ton fardeau mais définitivement pas ta came de boulot. T’enrages presque quand t’arrive devant le mobilhome, le coeur hors de sa cage de chaire. Tu souffles, putain Nephtys tu souffles. Et tu tambourines contre la porte, oubliant d’être discrète, oubliant qu’la môme qui t’as téléphoné elle courrait probablement un danger. Ton poing tu l'écrase là, lourdement, parce que t'as plus notion de l'espace-temps, t'as rappliqué avec de l'alcool dans l'sang, pour une gamine qui jusque là t'as fait perdre ton temps. Tu frappes et t’espère que derrière, c’est juste Esme qui se fou d’ta gueule, qu’a mater un vieux film d’horreur et qui n’sait plus grimper dans son plumard.

— Esme c'est moi, ouvre, que tu beugles dehors.

Tell the boys their time is through
Tell the boys I'll follow you
When the boys are over you
Tell the boys I'll follow you
@nephtys woods

Je me réveille en sursaut. J'ai les cris qui restent coincés dans la gorge, comme silencieusement piégés par la fatigue. Ou bien est-ce par la peur ? Cette peur qui tord mes entrailles, cette frayeur qui habite mes pensées jours et nuits. Ma poitrine convulse, mes poumons cherchent l'air qui ne parvient plus à eux depuis des secondes qui me paraissent des heures. La vue brouillée par les larmes et la sueur, les tympans assourdis par le concert que m'offre mon palpitant, je me sens plus vulnérable qu'un chaton. Sourds et aveugles au prémisse de leur existence, sans défenses face au prédateur qui serre ses griffes autour de leur corps fluet. Je pourrais presque les sentir à leur tour. Sentir des mains fortes marquer mon épiderme, sceller mon âme d'une balle gravées de six simples lettres pour Flores. Je me sens sombrer, je tombe à la renverse. A bout de force, je laisse enveloppe charnelle terminer sa chute contre le sol de ma chambre. Les muscles relâchés, mon thorax est suffisamment libre de la pression de ma terreur pour accepter l'air et la poussière dans mes poumons. Seconde venue au monde. Je passe mes mains autour de ma gorge, je m'assure d'être la seule à y avoir la moindre emprise. Ma vue ne revient que partiellement, elle oscille entre ombres et lumières. Entre spectres menaçants et éclats aveuglants. Je cède à la paranoïa, elle m'ouvre ses bras et je m'offre entièrement à elle, prisonnière de mes angoisses. Convaincue d'être en grand danger et refusant de mêler Nino a ça, je compose le numéro d'urgence pourtant si souvent esseulé. J'entends la voix de Nephtys résonner dans le combiné, je m'y accroche comme à une bouée. Pas fichue d'aligner deux mots, je la supplie de rappliquer. Elle est rapide, Nephtys. Je réalise pas bien, mais elle vient de parcourir la distance qui nous séparait en seulement quelques minutes. A croire qu'elle dort dans sa voiture, à quelques mètres du mobilhome. Qu'elle nous surveille avec des jumelles. Demain, on découvrira qu'elle a emménagé directement sous mon lit.
J'inspire, j'expire. Toutes mes pensées concentrées sur ma respiration, je sursaute à nouveau, lorsque j'entends son poing cogner sur la porte de notre taudis. Soupire. L'idée de lui filer une clé m’effleure l'esprit. Idée que je vais regretter dès que je serais sur pieds. Je me traîne sur les trois mètres qui me séparent de l'entrée. Le bras tendu vers le ciel, je lui ouvre avant de m'écrouler davantage. Plus bas que terre, je voudrais fondre dans le parquet, puis rejoindre le centre de la terre. « Ils sont toujours là. » que je dis à une Nephtys morte d'inquiétude, au visage décomposé par les doutes et la peur. Ouais, Nephtys. Ils sont toujours là. Dans ma tête. Dans mes rêves. Ils ne me quittent pas. Mes démons. Les fantômes de mon passé. Mes bourreaux. Ce qui auront ma peau, tôt ou tard, avec ou sans ta protection. T'auras beau sortir une arme, serrer les poings, tu pourras jamais ne fut-ce que toucher du bout du doigts ces chimères qui habitent mon esprit.

TELL THE BOYS I'LL FOLLOW YOU.
— @esme flores&nephtys

Ils sont toujours là. Ouais mais y’a personne autour de nous, que tu t’retiens de lui faire remarquer. Pourquoi tu trembles alors poupée, d’la voir dans cet état désastreux, pourquoi tes genoux flanchent, pourquoi tu pries devant cette môme apeurée, pourquoi tes doigts s’accrochent à ses genoux, pourquoi tes phalanges qui puent la beuh, écartent le rideau d’cheveux de la méxicaine pour jauger l'degré du danger qui éclate sur son visage. T’as l’coeur en balance, de l’avoir entendue au bout du fil et de la découvrir là, plus fragile que jamais, cette même Esme qui te dédaigne d’un air fier, qui prétend ne pas avoir besoin d’toi. Tu connais pas l’poids des démons qu’elle traîne, mais ils ont l’air particulièrement collants. Et ce soir ils ont refait surface, sans prévenir, silencieusement. Ils ont surgit soudainement, et la gamine elle a pas eu d’autre choix que d’te prévenir, de venir dégueuler sa peur dans le combiné de son téléphone, priant pour que tu rappliques rapidement. Et t’es venue Nephtys, aussi vite que tu l’pouvais, t’as traversé l’quartier, tu t’es bien vautrée dans les marches du building au moins trois fois, pour venir cueillir les quelques traînards qui devaient zoner là. Des clients un peu trop collants t’as pensé, des voyous du dinner, dans l’oeil desquels Esme avait bien tapé. Ou pire, encore. Des lascars embourbés dans les affaires sales de Liberty, des Ells, des Lynch. D’la vermine de clans, venue faire la peau aux deux protégés des Rios. Non c’était rien d’ça. Rien d’tout c’que t’avais pu imaginer, ce à quoi tu t’étais préparée. C’était simplement rien. Et l’vieil élan maternel que t’as pas, tu le ranges bien vite au fond d’ton sac. Tes poings se referment, tes genoux se relèvent, et tu croises les bras, jaugeant la chétive enfant devant toi. En guise de pauvre prévention, tu fais l’tour du mobilhome, pour t’assure qu’rien ne rode. Tu reviens à ton point de départ, le bout d’ton pied frappant contre le béton, alors qu’t’es yeux se tournent vers le corps fébrile d’Esme. T’as jamais été très adroite, ni très douée pour le réconfort. C’n’est pas faute d’avoir essayé. Et d’tenter encore.

— T’as fait un vieux cauchemar ? Et c’est pour ça qu’tu m’appelles ?, le ton de l’exaspération suinte involontairement de tes mots. J’veux bien t’aider Esme, c’est mon job de t’défendre. Mais si j’me bats contre des fantômes, j’vais d’voir démissionner.