Anita. Ce nom résonne en boucle dans son crâne qui tambourine comme jamais. Il n'arrive pas à y croire. Force du destin ou stupide revanche ? Miles se noie dans la parano. Et dans l'alcool. Non, personne ne peut être cruel au point de jouer à un jeu aussi mesquin et malsain ? Et chaque fois que l'idée lui frôle l'esprit, il tente de se convaincre du contraire. Oui, il a agi comme un con. Oui, il lui a fait du mal. Mais Ace n'a rien à voir là-dedans. Ace est un amour qui ne mérite pas de ramasser les pots cassés. Et pourtant, il n'a pas osé lui dire la vérité. Face au visage si rayonnant de bonheur de son petit frère, Miles n'a pas eu le courage de lui donner la claque de sa vie. Lui qui a toujours plus ou moins vécu dans son ombre, il n'avait pas eu envie de rajouter cela sur le tapis, de lui dire qu'il n'est pas le premier Conley qu'Anita fréquente. Ni lui conter l'histoire peu glorieuse qu'ils ont partagé à l'époque du lycée. Et pourtant, il aurait dû cracher le morceau une fois pour toute. Mais pas avant d'avoir revu la fille qui devait être devenue une femme à présent. Pas avant d'avoir eu des explications avec elle pour tirer au clair le fin mot de l'histoire. En attendant, c'est avec une bouteille de scotch que Miles discute, étant étonnement plus bavard qu'elle. Un luxe auquel il n'a pas vraiment le droit lorsqu'il joue. Mais avec sa carrière qui part en lambeaux, qui peut lui reprocher de  renouer contact avec sa vieille amie ? Il a le sourire amer à cette pensée alors qu'il boit une nouvelle gorgée. L'enfant prodige qui rentre à la maison. L'enfant prodige qui ne vaut plus un clou. La liqueur lui brûle le fond de la gorge. Ou peut-être est-ce les remords qu'il étouffe depuis tant d'années. On frappe à la porte et Miles se redresse, surpris. Le room service ? Il n'a rien commandé. Il regarde sa montre et cligne des yeux à plusieurs reprises pour reprendre ses esprits. Il est une heure du matin passée, peut-être est-ce son frère qui a besoin de parler ? - J'arrive, qu'il lance un peu bougon avant d'ouvrir la porte. Il cligne à nouveau des yeux, le visage endoloris par la fatigue, ses pensées et l'alcool. Mais son sang ne fait qu'un tour à la vue de la jeune femme qui se tient sur le palier de sa chambre d’hôtel. Il n'a pas le temps de l'ouvrir qu'elle se faufile. Elle ne lui laisse pas le choix, il referme la porte après son passage, soupirant à la vue de cette tempête qui se prépare. - Bonsoir Anita, dit-il en se laissant tomber lourdement sur l'un des fauteuils qui se trouvent dans la pièce. - Je t'offre quelque chose à boire ? Il pointe la bouteille du menton, un léger sourire grisé sur le visage.

Jouer avec le feu, tendre un piège des plus malsains. Consacrer ces dernières années à nourrir les démons d'antan qui puisaient toute force dans son esprit déjà si tourmenté, se faisant manipuler par la haine et la rancœur envahissant son être. Anita n'était que le pantin de sa fixation maladive. Elle avait provoqué le destin, impatiente. Torturée à l'idée de ne jamais obtenir des mots sur ses souffrances; des paroles incandescentes. Sortir la tête de l'eau, emplir ses poumons de cet air qui lui manquait indéniablement depuis tant d'années. La cadence de ses pas faisait comme écho aux pulsions de son battant. Elle ne niait pas avoir la corde nouée au cou; il était de son devoir de s'en débarrasser par un quelconque moyen. Se jetant dans la gueule du loup, les poings serrés, après qu'ils aient exercé une forte pression sur la boiserie ornant l'antre.
La brune n'avait pas à se faire prier que son aura si familière contrastait d'ors et déjà avec ce qui semblait n'être que sa demeure provisoire. Elle aurait pu frisonner de par diverses raisons lorsque cette voix aux sonorités dorénavant plus matures vint rencontrer ses tympans. Ses pupilles, hésitantes, n'osaient que trop s'aventurer sur les traits de ce visage qui avait tant hanté ses songes...celui qu'elle s'était promise d'oublier, mais tout cela n'était que foutaise. Et ce malgré la présence de Ace à ses côtés; ses embrasses n'étaient définitivement pas les siennes. Celui-ci avait beau la combler d'attention, s'attarder sur la mauvaise et venimeuse personne qu'elle était, tellement aveuglément qu'il se faisait dévorer par sa propre naïveté. Ace n'était pas comme lui et elle ne faisait que ressentir un goût amer au bout de ses lèvres.
La malheureuse avait bien du mal à constater qu'il était bien là, face à elle. Les traits tiraillés par des sentiments qu'elle ne saurait décrire. Il avait tout du Miles qu'elle s'était vue forcée de quitter mais il semblait pourtant si différent, habité sûrement d'une déception immense. Du moins, c'est ce qu'elle s'efforçait de croire. « T'es pitoyable. » Un soupir creusait un fossé entre ses lippes charnues, tandis que son regard se faisait légèrement plus dur, souligné par ses sourcils subtilement froncés. Elle ne s'attendait pas à des retrouvailles dignes de ce nom. Cependant, Anita ne s'attendait pas à le voir aussi vulnérable. Tout deux n'étaient que deux carcasses maudites qui s'efforçaient de survivre. « Alors, c'est surprenant ? Tu t'attendais à me voir ? » Un ricanement. Froid, et empli de nervosité. « Surprise. La folle est sortie de la prison dans laquelle elle se laissait pourrir. » Ce fut soudainement douloureux d'évoquer un tel périple qui n'aurait jamais dû avoir lieu dans un premier temps. Les cris et les pleurs désespérés des internes résonnaient encore et frappaient ses tripes. Ses peines demeurent aussi bien inconsolables. Elle ne savait comment le faire réagir...comment le provoquer. Le réveiller de ce semi-coma. La fille ne savait pas réellement si tout cela avait un sens, si venir en ces lieux maudits pourraient apporter quoi que ce soit de bénéfique. Ses doigts d'une finesse indéniable vinrent violemment retirer la bouteille de verre qui s'était jusqu'alors nichée auprès de lui. « Je suppose que tu es au courant pour ton frère et moi. » L'irrévocable confrontation ne pouvait s'avérer que tumultueuse.  

L’alcool l’aide à apaiser ses songes, mais les cicatrices se raniment à mesure qu’elle se rapproche, à mesure que son image se fait réelle dans la tête de Miles. Il mesure finalement l’ampleur de la situation dans laquelle il est prisonnier. Et son sourire s’éteint aussitôt, incapable de calmer les remords et les regrets qui l’assaillent violemment. Et encore moins la folie de son cœur qui bat à tout rompre dès qu’il pose son regard sur elle. On pourrait croire qu’elle n’a pas changé, qu’elle est toujours la même. Toujours aussi belle, aussi merveilleuse. Et pourtant, un simple regard suffit pour que Miles soit frappé par cette différence. La lumière qui ne brille plus, l’âme décolorée et rouillée par le temps et les malheurs. Malheurs dont il est responsable et qu’il peine à assumer car la superstar du basket n’est qu’un lâche. Une âme en perdition qui fuit lorsque la situation devient trop grave, quitte à blesser des gens, quitte à faire du mal. Il se réconforte en s’assurant, comme il peut, qu’il n’aurait rien pu faire, qu’il n’avait pas le choix. Mais cela est faux. On a toujours le choix. – Et toi adorable, à ce que je vois, qu’il répond du tac-o-tac, sans réfléchir. L’homme se sent en danger, pas franchement à l’aise à l’idée d’être seul avec Anita, alors que l’alcool enivre ses sens. Il reste assis dans son fauteuil, le regard perdu entre la bouteille, le plafond, les murs et elle. Elle dont la beauté n’a d’égal que le soleil. Elle qui rend grâce aux pauvres mortels. Mais il n’ose pas soutenir son regard. Il estime ne pas en avoir le droit après tout ce qu’il lui a fait. – Il fallait bien que cela arrive, non ? Il répond, peu convaincu, tentant de ne pas sombrer dans l’insolence. Elle ne le mérite pas. Elle, elle a toutes les raisons au monde de pouvoir agir comme la pire des garces à son égard. Mais lui, il n’en a aucune, bien au contraire. Il devrait simplement se contenter de la fermer et de l’écouter causer, en silence. Encaissant les coups un à un avec le peu de dignité qu’il lui reste. Et il le ferait volontiers, si seulement il n’y avait pas Ace. Si seulement la coïncidence n’était pas aussi difficile à avaler. Mais quand elle fait allusion à la prison dans laquelle elle était enfermée, il ignore comment répondre. Rien au monde ne pourrait suffire pour excuser ce qu’il a fait. Les années qu’il lui a lâchement volé. Et lui demander pardon, comme cela, simplement, n’y changerait rien. Cela sonnerait juste faux. Ridicule. Et il préfère leur éviter, à tous deux, une scène aussi affligeante. Il préfère se taire, Miles, parce qu’il serait bien capable de lui demander ce qu’elle est devenue depuis tout ce temps, à cause de la liqueur qui empoisonne ses veines et de sa maladresse naturelle. Mais quand elle parle de son frère, il relève soudainement la tête, le cœur en alerte. Il a peur, Miles. Terriblement peur de cette union qui n’annonce rien de bon. Il s’imagine les pires scénarios parce qu’il ignore ce dont une femme en colère est capable. Et encore moins lorsqu’il s’agit d’Anita. Mais il est également terrorisé à l’idée de perdre son frère. Faiblesse de l’homme qui n’a pas été le plus présent des frangins malgré l’amour qu’il lui porte. Il pose désormais son regard sur elle, songeur, presque craintif, même s’il ne laisse rien paraitre. – Oui. Que le monde est petit. Ironise-t-il. Sous-entendu : Qu’est-ce que tu fous avec lui ?