« I asked God for a bike, but I know God doesn't work that way. So I stole a bike and asked for forgiveness. »

L’histoire prend son aube en Irlande, au cœur de ce panorama fauve et idyllique. Cellule familiale classique ; deux parents et deux mouflets, les Rowan sont un clan soudé, proche, bien qu’impécunieux. Le paternel, ça lui va loin de se briser l’échine pour une paye malingre, de ne pas pouvoir pourvoir aux besoins de sa femme et de ses mouflets. Alors, le pater, il avale tout droit les fables de l’Oncle Sam, ces sornettes de rêve américain, que la diligence et l’ambition seront grassement récompensées au pays des braves. Les économies sont claquées et le patriarche déracine les siens pour aller s’installer à Liberty. Ils se montrent humbles, font basses mines ; on sent encore les remugles des stéréotypes entourant les irlandais, à l’époque. Et le cycle se réveille juste là où les Rowan l’ont abandonné : le paternel continue à consumer sa santé dans une usine, et même le petit boulot de la mère ne parvient pas vraiment à joindre les deux bouts.
Magnus, tout ça, il remarque ; il guigne les fringues neuves de ses camarades de classe, la dégaine rogue des autres parents, le gouffre qui sépare sa famille des autres clans aisés. Il dit rien, mais il remarque, et ça donne un premier souffle aux feux de son ambition. Magnus, il va travailler dur, il va étudier dans une grande fac et il va s’extirper des bas-fonds de l’échelle sociale. Bambin, il est discret, assidu, humble, ses professeurs louent sa bonne nature, et ça apporte un brin de fierté aux vieux. Ado, sa nature véritable fait surface, quelques larcins çà et là, des rumeurs de racket et des relents d’herbe, tout ça pour alléger ses parents. Des bagarres, surtout, Magnus ne supporte plus la morgue de ses pairs nantis, les persiflages et les ricanements ; quelques chicots brisés sont un petit prix pour faire taire les clabaudages, raisonne-t-il. Principalement, c’est Wednesday qui fait chavirer son monde. Elle est belle, elle l’aime, il l’aime, ils vont durer toute la vie, ils le savent. L’amour jeune, l’amour con. La fougue fait bourgeonner le ventre de la nymphe, elle est en cloques, ils ont dix-huit ans à peine. L’ire du paternel, fervent catholique, est terrible, ça gronde et ça tempête comme jamais avant, ça le répudie à demi-mot. Peu importe, il va trouver une solution, il va trouver un job, qu’il murmure à sa douce en la serrant dans ses bras. Mais voilà le nœud du problème : quelques mois après avoir accouché, Wednesday s’esbigne, abandonnant ses deux chérubins derrière elle, et l’éphèbe doit assumer la responsabilité, seul, des jumeaux. C’est là que tout fout le camp.

Il enchaîne les jobs minables, aux antipodes de l’avenir doré qu’il se rêvait, et l’indigence devient la régente de sa vie, malgré l’aide discrète de sa mère. Puis, Magnus, il est jeune, il est anéanti par l’abandon de la belle, il est jeune et il veut vivre, et il dérive ; les addictions germent, il se gnôle trop, il s’enivre trop, il fréquente trop la maison close, le pauvre diable est bien vite enseveli sous les dettes, qu’il contracte envers les mauvaises personnes. Il se fait démolir plusieurs fois et puis, on lui pose un ultimatum : soit il accepte de s’occuper de quelques basses besognes afin d’éponger ses dettes envers les créanciers, soit il va réellement trinquer. Magnus a vaguement une troisième option, celle de la cavale mais il ne peut s’y résigner, ça ne serait pas une vie pour ses mômes. Alors, pour eux, il vend son âme, rejoint, à son insu, les rangs des Ells. Au fil de ces méfaits, le vice s’ancre en lui, l’illégal devient l’air qu’il respire, tandis que son efficacité et sa discrétion séduisent les huiles de l’organisation. Une fois les dettes et intérêts épongés, les deux partis se respectent, réalisent clairement le profit qu’ils peuvent tirer l’un de l’autre ; Magnus prête réellement allégeance au groupuscule, il y a seize ans de ça.
Mû par l’ambition, il écrase la concurrence, n’hésite pas à commettre les pires bassesses et gravit les strates de l’organisation, jusqu’à se voir consacré : on lui confie la charge du dernier instrument visant à laver l’argent crasse : un restaurant gastronomique de haute volée, muni de quelques chambres délicieuses à l’étage, et d’une luxueuse salle au sous-sol, accueillant les grandes dignitaires de la truanderie, lorsque d’âpres négociations doivent être passées. Roi de son fief, Magnus s’épanouit allègrement, tandis qu’il pose un œil apeuré sur l’intérêt grandissant de ses rejetons, désormais adultes, pour les activités illégales.