[a lot on my mind]
(un) jonas a onze ans quand la famille hørek quitte la norvège pour les états-unis. l'adolescent refuse catégoriquement de partir, crie, supplie, menace, donne des coups, pleure toutes les larmes de son corps. il ne veut pas déménager aussi loin, ne veut pas quitter ses copains, son école, ses grands-parents, le club de foot ni son amoureuse, celle qui le colle depuis la maternelle et qu'il fait mine de détester. il demande à rester chez papy, mais les parents refusent et le traînent par les bras jusqu'au taxi qui les conduisent à l'aéroport. ils n'entendront plus le son de sa voix durant les mois qui suivront. (deux) il faut s'intégrer, disent les parents. apprendre l'anglais, avoir de bonnes notes, jouer les bons américains. jonas est fatigué de se taire, alors il recommence à parler. le norvégien. puisque ses parents demandent de s'intégrer, il fait l'inverse. il refuse de se faire des amis, répond dans sa langue natale quand on lui parle (bien qu'il comprenne peu à peu parfaitement bien l'anglais), se bat constamment, frappe même ses frères et soeurs, encore bébés. l'objectif ? être renvoyé en norvège. mais là non plus, ça ne marche pas. (trois) à force de se priver d'amis pour contrarier ses parents, jonas finit par souffrir de la solitude. il décide alors de changer de tactique et se hisse au rang de garçon populaire, si possible auprès des mauvaises personnes. il est intelligent, sportif, vient de loin - il n'est pas le plus beau, mais ces trois faits précédents suffisent à attirer les gens. il traîne avec des gens plus âgés de liberty, qui l'initient aux joies du cannabis, de l'alcool et des secrets qu'on enterre. il commence aussi à s'intéresser aux filles, pour ce qu'elles peuvent lui apporter. quelque chose est mort dans son coeur resté en norvège et n'est plus capable d'aimer. (quatre) au grand dam de ses parents, qui n'en peuvent plus de lui, jonas ne fait pas d'études après le lycée. quel gâchis, lui qui est pourtant si intelligent ! malgré les années, il est toujours empli d'une immense colère et d'une tristesse sans nom. il s'est néanmoins assagi avec ses frères et soeurs qu'il protège plus qu'il ne les cogne. ce sont bien les seuls à bénéficier d'une amélioration de sa part. à la place d'étudier, donc, jonas trouve des petits boulots ici et là. il nettoie les pare-brises des voitures à la station service, récure les chiottes des hôtels et les assiettes sales des restos, sort les chiens des vieilles, ramasse les poubelles, nettoie les graffitis sur les murs de la ville. (cinq) sa première fille naît alors qu'il fête son vingt-quatrième anniversaire. hors de question pour lui de s'occuper de l'enfant d'une fille avec laquelle il a couché juste une fois par accident. s'il refuse de l'élever, jonas se montre à la grande surprise de tous étonnamment responsable en s'engageant néanmoins à payer tous les frais médicaux et scolaires de sa fille. la seconde naît de la même manière quatre ans plus tard, d'une autre femme, et là encore jonas réitère sa proposition. bien qu'il ne s'occupe jamais d'elles, jonas téléphone régulièrement à ses filles, dana et alice, va les voir pour leurs anniversaires et paye tout pour elles. pourtant, cette situation honteuse et particulière reste une déception de plus pour les parents hørek. (six) il commence à travailler au undressed desires, la boîte de strip-tease de la ville, à l'âge de trente ans. il obtient un job de serveur puis se hisse rapidement au rang de barman. l'endroit et son ambiance lui plaisent énormément, le patron un peu moins. c'est un homme grossier et violent, qui traite les danseuses comme des moins que rien. comment peut-on penser abîmer de si belles créatures ? pourtant, jonas se tient dans ses bonnes grâces et le manipule si bien que lorsque ce dernier quitte son poste, quatre ans plus tard, c'est jonas qui est en lice pour racheter les lieux. cela signera également la fin de sa relation avec ses parents. (sept) jonas voue un respect immense aux femmes, même celles qui ne sont que maîtresses passagères. jamais il ne ment sur ses intentions et assume pleinement sa réputation de séducteur. mais celles qu'il respecte plus encore sont les danseuses du undressed desires. conscient qu'elles exercent un métier qui demande beaucoup de courage et d'investissement, il est patient et protecteur à l'égard. si un client prononce un mot de travers ou a un geste malencontreux, jonas le sort de là à coups de pieds dans le cul. c'est un fervent féministe, convaincu de l'importance de l'égalité des sexes. le seul comportement machiste qu'il ait pu avoir et pour lequel il n'a aucune excuse, c'est d'avoir laissé ses filles à leurs mères sans lever le petit doigt pour les aider. (huit) bien qu'ayant été incapable de tomber amoureux durant ces trente dernières années, jonas se voit étrangement fasciné par une adorable créature du nom de beth carrow qu'il est allée voir jouer plusieurs fois au piano bar. croiser son regard ne le laisse jamais indifférent, sensation des plus étranges. il est attiré par cette pureté qui émane d'elle, sa beauté, sa douceur, sa jeunesse aussi. mais il y a quelque chose d'autre. il le sent. aussi, quand il se renseigne sur elle de manière peu légale et découvre qu'elle est aussi auteure de romans érotiques et beaucoup moins prude qu'elle n'en n'a l'air, jonas décide qu'il la fera sienne d'une manière ou d'une autre. à l'âge de trente-sept ans, il commence peu à peu à avoir envie d'amour, du vrai. (neuf) jonas ferme les yeux sur beaucoup de choses. il sait que son club de strip-tease est sujet à la signature de quelques contrats commerciaux peu catholiques et de trafics en tout genres, mais il considère ne pas devoir s'en mêler si ça ne met pas en danger ses danseuses ou le personnel. la police surveille l'établissement de près depuis plusieurs années déjà; tout ce qu'il demande, c'est de la discrétion. et une part des bénéfices. (dix) depuis qu'il travaille comme patron et fait des bénéfices ici et là, jonas gagne beaucoup d'argent. plus que ses parents n'en gagneront jamais. ils n'approuvent peut-être pas, l'ont peut-être renié, mais il a fait exactement ce qu'ils voulaient pour leurs enfants : il a réussi. il a une belle maison dans le quartier le plus chic de la ville, un chat, une belle voiture, deux superbes filles (bien que les situation soit particulière, certes), un commerce qui marche - et l'âge l'a rendu beau. le loup de liberty est fier de ce qu'il a accompli. (onze) il est retourné en norvège pour la première fois depuis leur déménagement vingt-six ans plus tôt, il y a quelques mois. naïvement, il a cru que le monde avait arrêté de tourner là-bas et qu'il retrouverait tout ce qu'il avait abandonné. ses grands-parents ont alzheimer, son école a été rasée au profit d'un spa, le club de foot déplacé dans la ville voisine, et son amoureuse s'est mariée, a trois enfants et pris cent kilos. il est rentré aux états-unis plus vite que prévu, déboussolé et déçu. (douze) jonas ne fume pas, boit peu également. il y a des alcools qu'il tolère moins que d'autres et le rendent violent. ou plutôt, exacerbent cet excès de colère qu'il a en lui depuis bien longtemps. dans ces moments-là, il a le poing facile et les mots acerbes. il se contente de quelques alcools simples et délicats, comme le vin et le champagne. le reste du temps, il tourne au café. (treize) jonas fait très attention à son apparence. sa barbe est toujours bien taillée, ses cheveux en bruns en bataille, et ses tenues sobres et élégantes. il n'aime pas se faire remarquer pour les bonnes raisons. il réside et séduit dans le mystère. (quatorze) bien que n'ayant pas fait d'études, jonas est un homme très cultivé qui apprend par lui-même. il adore connaître de petites anecdotes historiques ou artistiques, ne rechigne jamais à l'apprentissage. c'est un fan du septième art, même des files en noir et blanc, et de littérature. il adore traîner au lit pendant des heures, à poil, avec un bon bouquin et du café. (quinze) sa plus grande honte, c'est sa peur du vide. il a un vertige fou, réellement handicapant. se tenir debout sur une chaise est presque trop pour lui. jonas n'en parle à personne et évite toutes les situations qui le mettraient dans l'embarras. dans l'avion, il ne demande jamais le siège du côté du hublot et essaye d'oublier à quelle distance il se trouve du sol.