elle a la voix criarde, nadejda. elle a la voix qui pète les tympans. et bo, bo, ça lui donne envie de crever plutôt que d'avoir à l'écouter. à force, il ne fait même plus attention aux mots qui franchissent la frontière de ses lèvres, les entend comme des bruits de fond, des nuisances sonores. mais aujourd'hui, il ne peut plus. il ne peut plus la supporter, elle et ses paroles qui lui donnent envie de gerber. mais aujourd'hui, ça lui saute à la figure. aujourd'hui, il va partir, bo. aujourd'hui, il va se tirer -
avec swan.
il prend de l'argent, bo - le strict minimum, juste assez pour se trouver une chambre d'hôtel qui fera l'affaire pour plusieurs nuits. il attrape des vêtements en vrac qu'il roule en boule dans un sac à dos usé, l'un des seuls qu'il a depuis l'adolescence. et il embrasse nadejda, lui dit qu'il ne va pas rentrer trop tard. elle, elle pose des questions. elle demande où, pourquoi, comment. bo, il ne répond rien, ferme la porte, bloque le passage de sa voix jusqu'à ses oreilles. et soudain, soudain, c'est la paix, la sérénité -
la liberté.
il envoie un message à swan avant de démarrer le moteur de sa voiture. il lui dit qu'il arrive - qu'il arrive juste. c'est vague, ne divulgue aucunement ses intentions. ça fait l'affaire. il n'attend aucune réponse, bo. il fonce, grille un ou deux feu(x) rouge(s) sur le chemin. puis il arrive devant le domicile des zhu, fait le tour pour arriver juste devant la fenêtre de swan. il escalade, rentre sans mal parce que, swan, il la lui a ouvert en sachant qu'il venait. il tombe nez à nez avec lui, attrape son visage entre ses mains et pose ses lèvres sur les siennes. c'est presque brusque, comme une pulsion sauvage venue de nulle part. – viens, on s'casse, qu'il murmure contre sa bouche avant de se détacher, le regard plongé dans le sien. on fout tout en l'air et on s'tire. encore une fois, bo n'attend aucune réponse. il commence à ouvrir un tiroir, prêt à y sortir n'importe quoi qui fera l'affaire pour un long voyage.

Autour d’eux, leurs parents jacassent comme deux pies. Il croise le regard de sa petite sœur qui lui mime une moue boudeuse, et il cligne des yeux pour lui répondre. Ouais, lui aussi, il se demande ce qu’il fout là. Lui aussi, il se demande ce qui l’empêche de se barrer en envoyant tout valser. Mais il est encore là, Swan, et il acquiesce quand on lui demande son avis, il hoche de la tête comme un pantin en espérant qu’on lui foute la paix, et ça marche. Le temps d’un instant, on se désintéresse de lui, juste assez pour qu’il sorte son portable de sa poche et lise le nouveau message qui s’affiche sur son écran. Bo. Il arrive. Maintenant.
Il relève la tête et il attend. Il attend le bon moment pour s’éclipser sans que ça en devienne trop suspicieux. Et puis il passe une main sur sa nuque en feignant la fatigue, s’excuse sous les yeux accusateurs de la gamine absolument offusquée, puis rejoint sa chambre dans laquelle il s’enferme en tournant la clé avec mille et unes précautions. S’ils entendent le cliquetis, y’en a forcément un qui va se ramener et l’emmerder. Y’a sa mère qui va hurler en lui demandant ce qu’il cache encore, y’a son père qui va essayer de calmer le jeu mais qui ne va faire qu’empirer la situation et y’a sa sœur qui va vouloir s’occuper d’affaires qui ne la regardent pas.
Il jette les quelques bouquins par terre sur son bureau, puis ouvre la fenêtre. Il cligne des yeux et y’a Bo dans sa chambre. Bo qui s’agrippe à lui et l’embrasse aussi brusquement qu’il est apparu. Bo, qui a le goût de la liberté accrochée à ses lèvres. « Quoi ? » Il est certain d’avoir mal entendu, mais non. Il veut se barrer. Avec lui. Ce soir. Il esquisse un sourire attendri, Swan, parce que c’est tellement con que c’en est presque beau. C’est une idée qui lui revient souvent en tête et qui hante ses nuits, mais c’est une de ces idées qu’on laisse crever sans même avoir essayé, une de ces idées qu’on espère pouvoir oublier parce qu'on sait que ça n'arrivera jamais. Alors Swan le fixe, il attend la chute de la plaisanterie, qui se fait attendre. A la place, Bo ouvre son tiroir. « Mais attends, mais t’es sérieux ? » Swan attrape son bras, l’arrête avant qu’il ne commence à sortir ses vêtements, avant que cela ne soit trop tard. S’il le laisse faire, ils finiront par le regretter. « Arrête, qu’est-ce que tu fais ? On va pas partir à cette heure-ci, c’est n’importe quoi. Et puis on irait où ? » Il veut pas le laisser foutre sa vie en l’air, et pourtant, secrètement, il espère que Bo saura trouver les mots pour le convaincre, parce qu’il veut pouvoir y croire, lui aussi.

tout ça, c'est soudain. c'est inattendu pour les deux partis. il ne sait pas quel diable le pousse, bo. il ne sait pas ce qui lui prend, pourquoi aujourd'hui et pas hier ou demain. il ne réfléchit pas, attrape le visage de swan entre ses mains et lui murmure ces quelques mots qu'il avait gardé au fond de lui, enfouis et prêts à sortir au moment venu. ce moment, c'est maintenant. c'est maintenant sans réelle explication. il est poussé, bo, par une pulsion, une folle pulsion. ça se voit aux yeux de swan que lui, il n'y croit pas. que lui, il pense que c'est une plaisanterie, des mots en l'air. mais bo, bo, il n'a jamais été aussi sérieux de sa vie. il veut partir avec lui, s'éloigner de ces vies qui les étouffent, les rendent dingues, envieux de liberté. ses doigts agrippent la poignet d'un tiroir et quand il s'apprête à en ressortir n'importe quel vêtement qui lui arriverait sous la main, swan l'arrête, attrape son bras avant qu'il n'ait le temps de faire quoique ce soit. – mais attends, mais t’es sérieux ? ses iris rencontrent les siens et à l'intérieur, c'est la chute.
la chute libre.
– arrête, qu’est-ce que tu fais ? on va pas partir à cette heure-ci, c’est n’importe quoi. et puis on irait où ? lui-même, il ne sait pas ce qu'il fait. il ne sait pas pourquoi il le fait. il en a juste envie, bo. il le veut juste lui, juste l'aimer là où personne ne les connaît, là où il n'y aurait aucune limite. là où il n'y aurait pas leurs responsabilités familiales pour les freiner. là où il n'y aurait rien d'autre qu'eux deux. – n'importe où, qu'il répond. il dégage son bras doucement, pose une main à sa nuque. on peut aller n'importe où, swan. où l'vent nous poussera. là où on n'aura pas besoin d'prétendre. son front rencontre le sien alors que ses yeux sont toujours plongés dans les siens, prêts à s'y noyer. on peut s'construire une vie. loin d'ici. loin de tout ça. il y croit, bo - ou du moins, il prétend y croire. dans le fond, il dit, bo. il dit mais il sait qu'il ne fera pas, qu'aucun des deux ne fera rien.

Il en a rêvé des années, Swan. Partir. S’en aller. Tout oublier. Et vivre – surtout, vivre. Il en a tellement rêvé qu’il pensait que ça n’arriverait jamais. Pourtant, c’est là. C’est le moment. La liberté lui tend les bras. Bo est prêt à sauter, quitte à tomber et se blesser. Il pose sa main sur sa nuque, lui offre l’impossible. Bordel, ce qu’il voudrait y croire, Swan. Il voudrait croire que c’est aussi simple. Prendre son sac, laisser une note, et se barrer. N’importe où. N’importe où, tant qu’ils sont ensemble. Ils n’auront plus besoin de se cacher, plus besoin de faire semblant. Y’aura plus qu’eux. Et l’amour, mais tant que y’a l’amour, tout est possible. Il essaie, il essaie de toutes ses forces. Et front contre front, les yeux plongés dans les siens, Swan s’imagine le temps d’un instant cette vie qu’ils auraient choisi, tous les deux. Des esquisses se dessinent dans sa tête, toutes colorées, toutes déformées par une réalité qui n’est pas la sienne.
Et tout se mélange. Tout devient noir, tout explose. Ca sonne faux. Ca sonne tellement faux que ça lui retourne l’estomac. C’est pas eux. Ce sera jamais eux. Ils n’ont jamais connu autre chose que leur cage dorée, ils ne sont pas faits pour la liberté. « Mais où ? C’est où, ce n’importe où ? Tu sais même pas où est-ce qu’on va, » souffle-t-il en soupirant. Il a besoin de quelque chose de concret, de quelque chose de vrai sur lequel il pourrait se raccrocher. « C’est n’importe quoi, » qu’il répète, plus à lui-même qu’à son amant d’un ton qui frôle le sermon. Il secoue de la tête, les sourcils froncés pour chasser toutes ces images qui parasitent son esprit et bousillent son cœur. Bo raconte des conneries. Il en raconte depuis toujours. C’est toujours la même chose. La même putain de routine qui se joue devant lui. Ca n’arrivera pas. Et quand Bo le réalisera, ils se casseront la gueule et putain ce que ça fera mal. Parce que Swan est stupide, un peu naïf et terriblement attaché à cet abruti, il se dit qu’un jour, ce sera probablement possible. Un jour, dans un lointain futur, dans une autre vie.
Et puis ça retombe, ça s’écrase en emportant tous ses espoirs dans un ouragan. Il en a assez, de toutes ses invitations jetées à la volée qui ne servent à rien d’autre qu’à le briser. Il a le cœur lourd, Swan, il a la gorge serrée et une expression navrée sur le visage. « Me dis pas des conneries pareilles parce qu’on sait tous les deux que t’y arriveras pas, » assène-t-il en se dégageant de son emprise, les yeux toujours plongés dans les siens. Le chagrin le rend mauvais parce qu'en réalité, lui non plus, n’y arrivera pas. Ils ne la passeront pas cette fenêtre. Ils ne sont jamais parvenus à le faire. C’est douloureux de le lui rappeler, c’est douloureux d’écraser à longueur de journées ses propres aspirations. « On partira pas pour deux jours, on partira pour l’éternité, tu le sais ça ? Franchement, t’as vraiment envie de vivre cette éternité avec moi ? » Il lui pose la question parce que lui-même ne sait pas s’il en est réellement capable.

bo, il donnerait tout pour emmener swan loin d'ici, juste pour voir un vrai sourire illuminé son visage. le problème est qu'il n'en sera jamais capable, qu'il n'aura jamais assez de courage pour tout plaquer. l'amour est une chose mais elle ne peut pas remplacer le reste, pas tout balayer d'un revers de la main et envoyer tout valser. les responsabilités, la raison, tout ça, ça prend le dessus. ça l'empêche de sortir la tête hors de l'eau. et l'amour, il se retrouve au milieu, à tenter de tout tempérer sans y arriver. pour swan et bo, c'est pareil. c'est la même chose. il y a ces barrières qui les arrêtent en chemin, les obligent à rester dans le secret. pourtant, aujourd'hui, bo est prêt à partir. il le dit. il le répète. il est prêt à prendre ses cliques et ses claques, dire adieu à liberty, à nadejda, à l'enfant qu'il ne veut pas. il est prêt à s'échapper avec swan, juste avec swan, parce qu'il n'a besoin de personne d'autre que lui. quand ce dernier lui demande où ils iront, il répond n'importe où, n'importe où tant qu'ils sont à deux. jusqu'à ce qu'une ville soit un coup de cœur. jusqu'à la panne sèche. peu importe. – mais où ? c’est où, ce n’importe où ? tu sais même pas où est-ce qu’on va. c’est n’importe quoi. il le regarde toujours, bo, mais il a envie de détourner le regard. il a envie de repartir, de lui demander d'oublier ce qu'il a dit et de revenir une semaine plus tard, toujours les mêmes paroles aux lèvres. l'étincelle dans ses yeux, elle ne brille plus. elle s'éteint, laisse un trou noir. là, à l'intérieur, il a mal. il a mal à en sentir son cœur se briser. il ne répond rien. il n'a rien à répondre. au fond, il n'a pas tord, swan. c'est du n'importe quoi. tout ça, c'est idiot - aussi idiot que bo d'y avoir cru.
– me dis pas des conneries pareilles parce qu’on sait tous les deux que t’y arriveras pas. et il se détache, quitte son emprise. bo, à ce moment précis, il ne s'est jamais senti aussi éloigné de lui. quand il l'entend parler, il a l'impression d'être le plus gros des enfoirés, celui qui vient, fout des rêves plein la tête et se barre, brisant tous les espoirs naissants. on partira pas pour deux jours, on partira pour l’éternité, tu le sais ça ? franchement, t’as vraiment envie de vivre cette éternité avec moi ? finalement, il détourne le regard. ses pas le mènent jusqu'au lit où il s'assoit, les coudes appuyés sur ses genoux et la tête entre ses mains. – comment tu veux que j'le sache si on essaie pas ? il garde le ton bas mais il a juste envie d'hurler, de tout casser, balancer contre les murs. ça s'entend à sa voix qu'il est blessé, énervé et surtout déçu. ça s'entend à son accent chinois qui ressort, un peu, juste un peu. ce n'est pas flagrant mais swan, il saura. swan, il sait toujours quand ça ne va pas, quand ils ont dépassé une certaine limite. il le regarde une nouvelle fois, toujours le visage encadré de ses paumes. dis que t'as pas envie d'te barrer avec moi. dis-le une fois pour toute - comme ça, ce sera réglé, qu'il lâche, amer. bo, il arrive toujours à tout remettre sur les épaules des autres pour se protéger. et là, là, il sait qu'il est le fautif, celui qui est arrivé et l'a pris de court avec une proposition qui pourrait foutre sa vie en l'air - mais il l'accuse parce que c'est ce qu'il sait faire de mieux pour cacher qu'au fond, il a mal. dis-le et j'me casse, swan. j'te laisse vivre cette vie dont tu rêves tant. il attend, bo. il attend que ça tombe. il attend de se faire briser davantage.

Bo détourne le regard, s’éloigne, et c’est la douche froide. Il prend la parole, et c’est le monde qui s’écroule autour de lui. Pour le commun des mortels, c’est à peine audible mais pour Swan, c’est aussi apparent que le nez au milieu de la figure. La douleur, la colère mais surtout la déception qui se cachent dans le timbre de sa voix est un supplice. Y’a ce malaise qui grandit en lui, cette boule au ventre qui compresse ses organes, et cette douleur, cette terrible douleur qui brule ses entrailles et qui lui déchire le cœur. Il ne voulait pas, Swan, il ne voulait pas le blesser mais il le fallait. Et s’il ne l’avait pas fait, Bo serait tombé, autrement, plus violemment, et ne s’en serait peut-être jamais remis. Il l’a sauvé du précipice. Il l’a sauvé de la catastrophe, alors pourquoi est-ce qu’il a l’impression de l’avoir laissé tomber ?
Il croise son regard et y’a ce pincement au cœur. Les yeux qui s’écarquillent. Puis, le regard qui s’assombrit. Le visage qui se décompose. La rancœur qui s’immisce en lui. Et le remord qui le ronge. Il ricane, Swan, mais ça n’a rien d’une mélodie joyeuse, ça ressemble plutôt à une complainte. Bo n’est pas sérieux. Il ne peut pas lui faire ce coup-là. Pas après tout ce qu’ils s’étaient dit, pas après tout ce qu’ils avaient vécu ensemble. Et pourtant, Bo le fixe, attend une réponse, comme si son ultimatum en demandait une. Ca ne devrait pas. Ca n’aurait même pas dû lui traverser l’esprit. « T’as pas le droit. T’as pas le droit, putain. » Sa voix déraille, il a du mal à cacher son désarroi. Si c’est ce qu’il pense, c’est qu’ils ne sont définitivement plus sur la même longueur d’onde. Il ne le réalise pas immédiatement, parce qu’imaginer Bo dans ce rôle-là ne concorde pas avec ses souvenirs. Pourtant, c’est bien Bo qui glisse sur une pente dangereuse sans que Swan ne puisse l’arrêter.
Bien sûr qu’il en a envie, Swan. Bien sûr qu’il a envie de partir avec lui, mais c’est pas aussi simple. L’envie n’a jamais été aussi présente, mais ils le savaient tous les deux, que ça ne serait jamais sérieux. Ils le savaient depuis le début. Alors pourquoi ça aurait changé ? Pourquoi est-ce que ça a changé ? Il ne comprend pas comment est-ce qu’ils en sont arrivés là, comment est-ce que Bo en est arrivé à vouloir tout arrêter. Il s’assoit à ses côtés, lui attrape la main pour entremêler ses doigts avec les siens. « S’t’eu plait, me fais pas ça, Bo. Pas toi. » Pas comme ça, pas aussi vite. Il a l’impression de s’être fait piéger. Bo lui donne le choix mais en réalité, y’en n’a pas. Quoiqu’il dise, quoiqu’il fasse, la réponse sera toujours la même. S’ils partent, ils foirent leur vie. S’ils ne partent pas, ils foirent leur histoire. Il déteste les ultimatums parce qu’il est incapable de prendre les bonnes décisions et Bo le sait. Bo le sait, que ça le bouffe de l’intérieur, que ça le terrifie et il s’en sert contre lui. « Pourquoi tu m’fais ça ? » Pourquoi t’es en train de tout gâcher ?  

c'est le déluge. c'est la tempête, celle qui détruit tout sur son passage et ne laisse que de maigres souvenirs de l'ancien temps. il sent que ça tangue, bo, et son cœur craque dans sa poitrine. il a mal, tellement mal qu'il pourrait en chialer. et bo, il sait. il sait qu'il est le seul fautif dans l'histoire, que croire à un possible départ était un rêve, une illusion qui terminerait par les détruire tous les deux. et bo, il sait mais il remet la faute sur swan. ça fait encore plus mal - pas seulement de le dire mais de voir son visage qui se décompose, efface tous les signes d'un bonheur passé ou futur. – t’as pas le droit. t’as pas le droit, putain. bo, il continue de le regarder, les yeux faussement durs. la voix de swan déraille et ça s'emballe. il voudrait l'embrasser à s'en étouffer et oublier le reste dans ses bras mais le ruan, il a sa fierté. fierté malsaine. idiote fierté. il ne peut pas. il veut une réponse, une vraie. il en a marre des refus qui le frappent, lui démontent la tête et le cœur.
et bo, bo, il ne bouge pas. il ne bouge pas - même quand il s'approche dangereusement, attrape sa main et entremêle leurs doigts. ses dents mordent l'intérieur de sa joue alors que son regard, lui, se détache de celui de swan. – s't'eu plait, me fais pas ça, bo. pas toi. la supplique s'abat et ça reprend, la douleur au milieu de la poitrine. ça reprend et tout est plus douloureux. pas toi, qu'il a dit. pas lui. il n'a pas le droit de lui faire ça. il le sait, bo, se rappelle des promesses faites sur l'oreiller. pourtant, ils en sont là. ils en sont à un point où les décisions, il est temps qu'ils en prennent. – pourquoi tu m’fais ça ? et là, il pourrait tout arranger, tout rabibocher en un mot, un baiser. sauf que bo ruan, il détruit. il brise. sauf que bo ruan, il n'est bon qu'à éloigner les gens autour de lui. il se lève brutalement, retire sa main de la sienne avec autant de brutalité. – pourquoi on s'fait ça, swan ? il passe une paume lasse dans ses cheveux, sur son visage. pourquoi on continue ? j'veux dire... pause. on finira jamais ensemble à la toute fin de l'histoire et ça, si on part pas, c'est inévitable. alors pourquoi on est toujours là, à liberty, à se voir en cachette ? il y a un moment où, toi comme moi, on pourra plus vivre comme ça, où on devra faire un choix entre nous ou le reste. et ils savent, bo et swan, qu'ils choisiront le reste à la place de ce nous bancal.

Swan s’accroche à lui comme à une bouée de secours. Il le tient, entremêle leurs doigts dans l’espoir d’entremêler leurs destins mais il le sent, que c’est déjà la fin. Son regard cherche inlassablement le sien mais ça ne sert plus à rien, Bo semble déjà loin. Bo n’est plus là et Bo s’extirpe de son emprise d’une manière si violente, si brusque que l’étudiant ne réalise pas immédiatement. Il cligne des yeux, et y’a son cœur qui craque contre sa cage thoracique, qui se fissure doucement, délicatement dans le silence et l’indifférence la plus totale. Il reste planté là, les doigts à moitié refermés comme s’ils tenaient toujours ceux de Bo, le regard vague, les traits tiraillés. Pourquoi est-ce qu’on s’fait ça, qu’il lui demande et dans la tête de Swan, y’a toutes ses mêmes questions qui viennent l’assaillir, toutes ses mêmes phrases et ses mêmes promesses stupides et futiles qu’ils se sont balancés à la nuit tombée, toutes ces conneries qu’ils se sont répétés et répétés et qui ne les ont jamais menés nulle part. Pourquoi est-ce qu’on s’fait ça ? Les dés sont joués, les jeux sont faits, alors pourquoi continuer ? Swan, il n’en sait rien. Il ne sait pas pourquoi est-ce qu’il s’acharne à lui ouvrir la fenêtre dès le soleil couché, à l’attendre dans sa chambre avec des cœurs pleins les yeux comme un adolescent de quatorze ans alors qu’ils le savent, que ça ne marchera pas. Il ne sait pas pourquoi est-ce qu’il s’est amouraché de ce si joli garçon et surtout, pourquoi est-ce qu’au fond de lui, y’a cette voix, cette minuscule voix qui continue à y croire alors même que leur histoire est inévitablement vouée à l’échec. Pourquoi est-ce qu’on s’fait ça ? « J’sais pas, » avoue-t-il d’un ton subitement grave. Il relève la tête vers Bo, et il est toujours là, devant lui malgré la solitude qui le gagne, malgré la désagréable impression d’être subitement seul au monde. Le gouffre entre eux lui semble si grand à présent que Swan n’est pas certain de parvenir à le refermer sans lui. « C’est pas ma faute, tu sais. Moi aussi j’y pense parfois. Partir avec toi, ce serait vraiment génial. J’ai envie de partir, vraiment, mais si on devait faire un choix, là, maintenant, j’sais bien que ta famille, ta meuf, ton gosse, tu m’choisirais jamais à leur place. » L’amertume s’entend dans sa voix mais il n’est pas en colère, il est simplement déçu. Déçu de Bo, déçu de lui-même. Swan n’est pas stupide, il s’est déjà fait à l’idée qu’un jour, y’en aura bien un qui partira sans l’autre. Bo, il a une vie bien construite, bien rangée. C’est un homme bientôt marié, bientôt papa et le jour où ça arrivera, y’a de fortes chances qu’il décide d’en arrêter là et Swan ne pourra rien à y faire pour changer ça. Il n’en a pas envie, parce qu’il l’aime bien Bo. Il a pris l’habitude d’écouter ses sales journées en fin de soirée, de toucher sa peau, d’embrasser son corps, de retrouver le goût de ses lèvres. Mais faudra bien que ça arrive un jour. Et Swan finira par comprendre, parce que si ça n’avait pas été Bo, ça aurait été lui. « Et pourtant, j’suis toujours là, avec toi, parce que j’tiens à toi. J’suis toujours là, à t’croire quand tu dis que ça y est, on va s’en aller, quand tu m’vends du rêve avec tes promesses à la con pour ensuite retourner chez ta fiancée. P’t’être bien qu’un jour on devra faire un choix, et ce jour-là, p’t’être qu’on s’en ira ou qu’ça se terminera, mais dans tous les cas, on aura bien profité, non ? On se sera dit qu’on aura au moins essayé jusqu’au bout. » Et ce sera bien assez suffisant. « Mais toi, tu m’donnes l’impression que ça sert à rien, tout ça. Alors pourquoi t’es encore là ? T’as plus envie d’essayer ? T’as envie d’arrêter ? » Il s’agace, parce qu’il a l’impression que Bo tourne autour de pot alors qu’il pourrait simplement le lui dire, que c’est fini.  

il est blessé, bo. il sent son cœur qui saigne, se décompose dans sa cage thoracique et il ne sait pas comment se défendre autrement que par blesser à son tour. mots après mots, il détruit l'adolescent, l'homme, l'amour de sa vie - parce que swan, il ne peut pas être autre chose. dans ce chaos, bo, il voudrait pouvoir ressortir indemne et l'emporter avec lui, lui retirer les chaînes qui le rattachent à liberty, à sa famille et à ses étouffantes responsabilités. sauf que parfois, il faut voir la réalité en face, ô combien même la chute peut être terrible. et dans son malheur, il entraîne swan. il entraîne la personne à qui il tient le plus, celle qui a gagné son amour par un seul regard. – j’sais pas. bien sûr qu'il ne sait pas. bo n'en sait pas davantage. pourquoi ils continuent à se torturer, à se blesser mutuellement s'ils s'aiment autant qu'ils veulent bien l'entendre ? s'oublier serait peut-être plus facile que de subir ce qu'ils subissent tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, toutes les secondes passé(e)s loin de l'autre, chacun dans les bras d'un(e) inconnu(e), l'un futur marié et papa tandis que l'autre est sur la sélect, certain d'être abandonné à la naissance de ce gosse qui lui rappellera qu'il est de son devoir d'en avoir un aussi, le forçant à l'évidence que ce ne sera pas avec bo qu'il l'aura. et pourtant, pourtant, ils s'obstinent à se voir en cachette, à s'échanger des regards discrets en public et des baisers derrière une porte fermée à clé. bo sent le regard de swan qui se fait pressant, brûle sa peau et lui donne envie de disparaître, de devenir invisible. il est incapable de lever le sien vers lui, d'affronter ses yeux à la fois tristes, déçus et énervés.
et il écoute, regardant par la fenêtre. il écoute ses mots, l'énumération de toutes les choses, de toutes les personnes qui finiront par passer avant lui. et bo, il voudrait lui dire que ce n'est pas vrai. il voudrait mais il n'en est pas capable, conscient que ce serait mentir que de lui dire cela. il y aura un jour où ça se bataillera, que son cœur et sa raison s'affronteront et ce jour là, ils savent tous les deux que la raison gagnera le combat - parce que ça, ça a toujours été le cas. il le laisse continuer, incapable de prendre la parole, d'ouvrir la bouche avec le peu de courage qu'il lui reste ou de le couper, ses lèvres brutalement collées aux siennes pour que ça se termine sous les draps, là où ils sont sûrs de se comprendre, de refermer le fossé qui se trouve toujours davantage entre eux deux. tout ce qu'il dit, swan, ça le touche en plein cœur. il a raison. il a toujours raison. l'idiot dans l'histoire, c'est bo. bo et ses idées de grandeur. bo et sa façon de baisser les bras à chaque obstacle. juste bo. – mais toi, tu m’donnes l’impression que ça sert à rien, tout ça. alors pourquoi t’es encore là ? t’as plus envie d’essayer ? t’as envie d’arrêter ? dans un mouvement brusque, il tourne la tête, les sourcils froncés. – si j'ai envie d'arrêter ? tu m'poses vraiment cette question ? il serre la mâchoire, réprime son envie de se barrer sous un coup de tête, de prendre la porte et de la claquer pour faire jaser les zhu, avouer avec un grand sourire que leur fils se tape bo, le futur marié, futur papa et fils de leurs amis de longue date. il inspire, expire. ses doigts attrapent la poignée de la fenêtre qu'il ouvre avant de sortir son paquet de clope, de s'en glisser une entre les lèvres et de l'allumer. j'veux pas arrêter. c'est la dernière chose que j'désire, swan. sa voix est plus calme, moins dure qu'il y a quelques minutes auparavant. pourquoi j'suis encore là, tu m'as demandé ? j'sais pas si t'as envie d'le savoir. j'sais pas si tu veux l'entendre parce que dans l'fond, on sait tous les deux que ça va t'faire plus flipper qu'autre chose. parce que swan, il a peur de l'engagement et un je t'aime, un je t'aime, c'est déjà plus qu'il ne peut gérer. c'que j'peux t'dire, c'est que j'te veux toi. pas nadejda. pas ce gosse qui n'était même pas prévu. j'veux être avec toi. tout le temps. et moi, j'gère mal le fait qu'on soient obligés de s'cacher. j'gère mal d'te voir avec des filles parce que j'sais qu'elles peuvent t'offrir c'que j'peux pas. avec elles, t'as pas autant de soucis. t'as pas besoin de les faire rentrer par la fenêtre, de les embrasser quand tout le monde a le dos tourné pour pas que ça fasse un scandale. bo tire une longue taffe. il a mal de dire tout ça. il sent une boule dans son ventre, dans sa gorge, quelque chose qui lui donne envie de dégueuler ses tripes, de se plier en deux de douleur. mais j'pourrai continuer une vie entière si ça m'permet d'être avec toi.

Swan lâche un soupir de lassitude avec la désagréable sensation d’avoir fauté à nouveau parce que c’est toujours ce qu’il finit par faire. Il foire toujours tout, incapable de comprendre les besoins des autres, incapable de prendre les bonnes décisions et cette histoire, condamnée avant même qu’elle n’ait commencé, il finira par la foirer elle aussi. Bo grince des dents à sa question mais elle est légitime. Il s’obstine à lui faire comprendre qu’il est malheureux, éternellement insatisfait par l’attention que Swan peut lui porter alors pourquoi est-ce qu’il est toujours là ? Il pourrait partir, et arrêter de tenter de forcer le destin. S’il est persuadé qu’ils n’ont rien à faire ensemble alors qu’il cesse donc les frais. Y’a eu bien assez de pots cassés. Tout arrêter serait tellement plus facile. Tout arrêter résoudrait tous ses problèmes. Bo n’aurait plus besoin de venir, de lui souffler ses mêmes belles histoires qu’on raconte aux enfants, puis de s’agacer, de s’énerver, de laisser tout éclater comme si ce « nous » qu’ils cherchent à construire n’avait jamais existé. Et Swan, il arrêterait simplement d’essayer de suivre la cadence, d’essayer de comprendre ce qui ne marche pas ou plus. Il arrêterait d’être aussi paumé à chacun de ses regards de travers, de ses répliques cinglantes et de ses gestes maladroits et brusques. Il arrêterait de se sentir si mal et si con. C’était pas censé se passer comme ça, c’était pas censé devenir aussi oppressant, aussi déprimant. C’était censé sentir bon la liberté.
Bo rouvre la fenêtre, sort une cigarette. Swan relève les yeux, le palpitant au bord des lèvres. Il n’a pas encore répondu à sa question. L’étau se resserre, l’attente est longue, et ça dure, ça dure une éternité jusqu’à ce que ça lui échappe enfin. Il l’écoute, et ses mots tendres et délicats rassurent Swan mais parviennent aussi à créer de nouvelles angoisses. Il sourit quand même, timidement, et c’est aussi léger qu’une brise, aussi rapide qu’un éclair, flatté par la jalousie à peine dissimulée dont il fait preuve. Une jalousie qui fait plaisir, qui met du baume au cœur mais une jalousie mal placée qui fait écho à ses propres incertitudes. L’image de la future famille Ruan s’installe et bousille tous les espoirs chantonnés par Bo. Il lui propose une vie entière à ses côtés mais Swan refuse de penser une seule seconde que son amant puisse vouloir le supporter aussi longtemps, d'abord parce que Swan, il finira toujours par décevoir ses partenaires par son indécision constante – et Bo ne fera pas exception à la règle, ensuite parce qu’il ne fera jamais le poids face au futur héritier et à la future grande dame qui s’accapareront forcément sa présence h24, et enfin, parce qu’ « une vie entière » signifie un engagement sur le long terme qu’il est bien incapable d’imaginer sans commencer à hyperventiler. « Ca t'passera. ‘Fin de toute façon, j’sais pas si tu t’rends compte mais j’sais pas garder une fille plus de trois mois. C’qu’elles peuvent m’offrir ça me passionne pas des masses alors que toi…, » toi, tu m’fais tourner la tête, tu fais vriller mon cœur, toi, tu m’donnes envie d’exister et d’être aimé. « …toi, tu vas t’marier et tu vas avoir un gosse. » La brutale réalité qui vient le frapper en pleine gueule. Ces filles-là, elles ne restent jamais assez longtemps pour marquer les esprits, elles ne s’accrochent jamais assez pour devenir la future Zhu. Nadejda, en revanche, elle a déjà sa bague au doigt. Nadejda, elle est prête à tenir la distance. Il est plus distant et froid qu’il ne l’aurait espéré mais il ne veut pas se laisser abattre. S’il lâche prise, il risque de s’énerver, de gueuler, et peut-être bien de chialer. « Et quoique tu dises, tu t’attacheras à ce gosse, tu l’aimeras, tu voudras rien rater. T’auras plus le temps, on s’verra moins, on s’appellera moins et j’arrêterai d’insister alors tu finiras par plus passer du tout. Tu m'oublieras bien plus vite que c'que tu crois et j'pourrais rien y faire. J'pourrais pas rivaliser avec eux parce que moi, j'ai rien à t'offrir non plus. » Bo peut bien lui promettre tout ce qu'il veut, il se voile la face et Swan le sait. Il y pense souvent, beaucoup trop souvent, tout le temps. Il a beau retourner la situation dans tous les sens, y chercher des solutions, des détours, des passages secrets, le résultat reste le même. « De nous deux, t'es celui qui s'en sortira le mieux. » Et c'est bien tout ce qu'il lui souhaite. Il ne sait pas pourquoi est-ce qu'il prend la peine de l'ajouter. Ca n'a rien d'un reproche. Il ne cherche pas à s'apitoyer sur son sort mais à se rassurer. Si Bo parvient à se satisfaire de sa situation alors Swan, il veut bien se résigner à avoir le coeur brisé.