« Des histoires de fantômes »
[Abram & Elizabeth]

Maisons, clôtures blanches, pelouses vertes... hum. Elizabeth sait où elle est bien qu'elle n'y va pas très souvent. Elle n'a pas vraiment les moyens de côtoyer souvent ce quartier. Elle est déjà venue prendre des photos de ce coin qui semble être plus-que-parfait. Elle se doute bien qu'en arrière de ces portes, de l'autre côté de ces fenêtres aux beaux rideaux, ils ont des problèmes de toutes sortes. Pouvoir rêver que tout est aussi parfait que la longueur de leur gazon, la couleur de leur clôture et la grandeur de leur maison ne peut pas faire de mal (elle ne pense pas aux voitures de luxe, elle n'aime pas les voitures peu importe la marque). Ça lui fait éviter de penser qu'elle doit rembourser un peu sa carte Visa pour éviter d'avoir à payer trop d'intérêt, ou encore qu'elle devrait remettre à jour ses réseaux sociaux pour faire de la pub pour ses photos. C'est beau le déni, il ne faut juste pas qu'il perdure. Ce qui peut être bien tentant. Bien qu'elle ait remarqué le coin où elle est, elle ne sait pas trop ce comment elle a atterrit là exactement. En marchant, elle se doute bien, mais elle s'en est pas rendu compte.
Elle a parcouru la ville un peu au-hasard, recherchant un inconnu qu'elle a souvent vu, mais jamais croisé encore moins parlé et jamais dans ce coin si elle se souvient bien. Pas là. Nulle part. Absent. Pas de chance. Pour une fois qu'elle veut le voir, il n'apparaît pas. Pas même une petite apparence surprise sur l'une des photos qu'elle a pu prendre ou fait semblant de prendre. Cela dure depuis quelques semaines à présent. Pas de nom, pas d'adresse, juste une tendance à apparaître sur ses photos sans qu'elle ne le veuille. Dernièrement, elle a remarqué qu'il a fait exprès pour trois ou quatre sans vouloir entrer en contact avec elle. Peu importe, à force de le voir, cela lui a donné une idée et elle a besoin de lui afin d'en parler. Elle ne ferait pas n'importe quoi avec son image, elle a besoin de son accord. Si elle le trouve. En partant, il y a, tient, deux heures, elle ne pensait pas qu'elle jouerait à Où est Charlie ? C'est peut-être un fantôme qu'elle capture sur sa pellicule (quand elle se la joue vieillot), ou bien sur sa carte mémoire. Il apparaît seulement quand les images sont développées pour le premier cas ou encore sur l'ordinateur pour le deuxième. Ce qui serait tout aussi intéressant (peut-être même plus en fait) que le simple hasard.
Elle commence par avoir mal aux pieds, ainsi qu'à avoir soif. Elle voit un café pas très loin et se dit qu'elle a bien le droit à un thé, s'il y en a espère-t-elle, s'asseoir et se reposer un peu. Elle va espérer que  ça ne coûte pas plus cher que dans d'autres parties de la ville. Elle attend à la lumière des piétons pour traverser, lorsqu'elle le voit. De l'autre côté de la rue, tout près du café où elle veut se rendre justement, Il reste dix secondes, il y a encore des voitures (elle ne va pas courir, nope, elle déteste les voitures). Elle fait donc la seule chose possible : – Hey ! crie-t-elle, attirant l'attention de bien des personnes. Zéro subtilité, mais cela a bien fonctionné, ce n'est pas un fantôme, tant pis. Elle fait ensuite signe à l'inconnu afin qu'il l'attente, et traverse la rue pour aller le rejoindre.

Abram c'est le fantôme de beaucoup de gens.

Parce qu'il disparait sans prévenir, comme ça... Alors le monde a un peu tendance à se faire des idées, à se dire "Mais où est-il passé?" comme si c'était un mirage, une nuit d'un temps où on a vu naître quelque chose... Puis dès la lumière du jour arrivée jusqu'à nous; le fantôme a disparu. Et les spéculations elles s'enchaînent comme de l'eau vive; on se demande, on se questionne, on légende. "Abram" pour seule preuve d'existence.
"Où vit-il?" "Qui est-il?" "Que fait-il?" On lui donne une image de rêve. Au sens propre.
Pourtant ce nom, il appartient bien à quelqu'un de réel.
Quelqu'un qu'on peut croiser au supermarché, assit au bar, à l'église parfois même. C'est peut-être même quelqu'un qu'on a bousculé par erreur.
Mais y a ce truc particulier, cette aura faiseuse de mystères qui l'enveloppe dans une toile cousue d'imaginaire. Le fantôme de Liberty.
S'ils savaient.
Abram le mécanicien de South Lake District.

Il a peut-être un peu fait le fou l'autre jour, par contre...
C'est à propos d'un appareil photo. Un objectif un peu vagabond; Abram a décidé de se faire plus sauvage encore et d'intervenir parfois sur les coins de clichés. Sans prévenir, cela va de soi.
Le petit détail qu'on n'avait pas vu... Le défaut qu'on avait pas prévu... Le fantôme.

Et aujourd'hui,
quelqu'un veut briser la légende.

Le démystifier.
Trouver le trucage de la photo.


Il a rien vu venir. Clairement. C'était ce matin, dans l'endroit le moins probable où on aurait pu croiser sa trogne huilée par les moteurs de voiture. Le fantôme est à Orange Grove Boulevard. Pour quoi faire? C'est un fantôme, est-ce qu'il a réellement besoin d'une raison pour errer? Et y a du monde qu'est de sortie, en plus. Comme ça, ça le noie un peu plus dans la foule, alimente l'idée qu'il n'est qu'un "leurre", une idée toute faite, la silhouette qu'on cherche à interpeller au loin mais on y arrive pas.


Ah ben tiens.
Quelqu'un cherche à l'interpeller.

Son rôle de fantôme s'arrête ici.
C'est le passage pour piétons qui va devenir sa scène de résurrection, de naturalisation humaine. Très bien.

"Hey !"

Il lève sa main, balaye l'air comme les essuie-glaces sous la pluie.
Abram... Qu'est-ce que tu fais? (Je lui dis bonjour) Tu ne la connais même pas. (Mais elle, elle a l'air de me connaître) Approche-toi un peu du passage, pour qu'elle voie ta frimousse d'homme. Et fais attention aux voitures qui fauchent les vies.

Abram ne reconnait en fait pas du tout le visage féminin qui s'adresse à lui (on s'en doutait pas???). Ou qui à l'air... Il jette un oeil derrière : personne. C'est qu'il s'adresse bien à lui, le visage féminin.
Et que lui veut-il?

Elizabeth n'en a rien à faire des regards qui convergent vers elle. Elle ne leur fait plus attention depuis un moment. L'important, c'est qu'elle a obtenu l'attention du jeune homme, qui lui a fait signe. Il ne reste plus qu'à aller le rejoindre. Elle traverse sur le chemin piéton, s'arrête ensuite devant ce non fantôme. Bon, il y a des points positifs au en chair et en os aussi. – T'as pas fait d'apparition surprise sur mes photos aujourd'hui, j'suis déçue. manière comme une autre de se présenter. Elle lui fait un sourire, pour montrer qu'elle n'est pas vraiment déçue. C'est juste une façon afin qu'il puisse la replacer, la mettre en contexte. S'il l'a remarqué avant, elle n'est pas totalement sûre que les quelques photos où il apparaît de manière volontaire le sont vraiment. Le hasard, cela existe. Elle en est aussi sûre qu'elle croit aux fées ou bien aux aliens. Elle peut aussi se concentrer sur la réalité. Réalité devant elle, elle ne va pas le laisser en plan après l'avoir hélé et après lui avoir parlé. Elle a un autre plan qui lui trotte en tête. – J'ai un truc à te proposer, tu veux un café ? Parce qu'elle, elle a toujours envie d'y aller. Elle a toujours soif et elle a toujours un peu mal aux pieds. Tout ne c'est pas envolé par magie, peu importe à quel point elle le voudrait, car elle a retrouvé celui qu'elle cherchait. Elle, elle va sûrement se prendre du thé, mais elle se dit que c'est plus commun un café qu'un thé pour un américain. À moins qu'il soit d'ailleurs, ce n'est pas un mot qui peut lui donner un grand avis sur d'où il vient. Elle lui fait un sourire, attendant sa réponse.
Elle range ensuite son appareil photo dans son sac, précautionneusement. Au prix qu'il coûte, elle préféré éviter de faire une mauvaise manœuvre peu importe depuis combien de fois elle a pu faire ce geste. – À moins que tu veuilles une bière. ajoute-t-elle, après quelques secondes de réflexion. Ce qui pourrait aussi le faire. L'important, c'est ce qu'il l'écoute. Au pire, ils vont en parler ici, sur le trottoir, à se faire déranger par les passants. Elle va juste avoir un peu plus soif, et espérer que de rester debout soit assez de repos pour ses pieds. Elle n'est pas difficile, enfin, elle ne le pense pas. Pas tout le temps tout du moins. Café ou bière, ça lui va. Elle n'aurait pas proposé le deuxième ; ce n'est pas son genre de faire ce qu'elle ne veut pas.

Abram n'imagine même pas le genre de figure énigmatique qu'il peut représenter auprès des habitants de Liberty (et encore moins les mythes incroyables qu'on fabule dans son dos). C'est vrai ça, c'est qui Abram, en fait? C'est un gars, tout ce qu'il y a de plus normal, qui est arrivé en ville y a pas plus de quelques mois, et qui s'est posé comme si c'était chez lui. C'est ce qu'il dirait, avec toute l'humilité qui l'habite. Et l'ignorance, mais ça c'est une autre paire de manche.
Est-ce que tout ça suffit réellement à créer l'aura de mystère qui l'entoure?

Apparemment oui. Vu que la demoiselle là-bas est en train de venir l'accoster comme si c'était quelqu'un de connu. Ah... On se connait? Mais il a déjà levé la main, il ne peut plus reculer. Ça y est. La voilà. Avec son sourire blanc comme la ouate et les yeux clairs comme l'eau de rivière. Elle lui fait part de sa déception, de son "manque de présence". Entre autre. (Il vient à se demander si elle ne se tromperait pas de personne) (mais comment on confond Abram avec quelqu'un d'autre??)

"Tu m'en vois navré. J'vais m'rattraper, pour la peine."

C'est ça. Autant jouer le jeu des deux inconnus qui échangent sur un morceau de trottoir "comme en souvenir du bon vieux temps". En vérité, il ne voit pas vraiment qui elle peut bien être, cette fille. Ou alors il ne se souvient pas, ce qui parait plus probable. Abram voit bien l'appareil qui chatouille le flanc de la blonde mais n'en fait rien, se dit que ça n'a aucune autre signification que "C'est une photographe". C'est pas la première qu'il voit de sa vie alors il va pas faire jaser, le mécano. En revanche, il aimerait bien lui demander comment qu'elle s'appelle, vu sa spontanéité, mais elle enchaîne trop vite avec sa proposition. Proposition qu'il ne prend pas franchement le temps de réfléchir murement étant donnée la situation Là maintenant tout de suite (ça pousse aux décisions hâtives ce genre de truc).
Entre deux réponses son œil diverge autour: le quartier des riches a quelque chose que les autres n'ont pas et qui lui donnent son attitude un peu pressée. Y a le propre et le bien rangé ambiants qui agressent ses habitudes d'homme à tout laisser par terre. Puis cette foule qui rafle son dos et ses bras à contre-sens, c'est désagréable. C'est là qu'il se fait la remarque: pourquoi il était venu dans ce boulevard, déjà?

"Café. J'ai eu ma dose de pétillant hier soir."

Ses pensées se dirigent une fraction de seconde vers un certain bridé aux pintes de bière, puis s'en retournent sur la photographe. En demandant à sa mémoire de faire un effort, c'est peut-être bien l'ébauche d'une réminiscence qui se dessine. Une blonde, apparitions surprises, photos...

"C'quartier m'met mal à l'aise." (Il glisse ça rapide comme si de rien n'était) "J'connais pas les bonnes adresses du coin, tu sais où y a un pub sympa et pas cher? J'ai pas pris en conséquence dans mon porte-monnaie."

Il appuie ses propos en tirant le fond de ses poches vers l'extérieur, et y a rien qui tombe à part des miettes vieilles de plusieurs années. De toute façon Abram, il mettra jamais la fortune pour un peu de noir amer dans son gosier. Mais peut-être qu'elle, en face, oui.

Pas un instant Elizabeth hésite à propos de sa démarche, pas une seule fois elle se dit que c'est une idée trop évanescente, pas assez planifiée pour qu'elle fonctionne. Elle dépend du jeune homme en grande partie et lui parler de cette manière pourrait lui faire peur. Elle sait que tout le monde n'est pas aussi sociable qu'elle, que cela pourrait jouer. Il semble être perdu, ce qui se comprend, mais c'est tout. Elle voit cela d'un côté assez positif et qu'elle a bien fait de continuer. – J'espère. Avec ce qu'elle a en tête, qu'il tienne parole est important. Sauf que là, elle saute quelques étapes, il ne semble même pas savoir pourquoi elle lui parle. Ce qui continue d'indiquer le côté hasardeux des photos sur lesquelles il apparaît. Dans tous les cas, elle va pouvoir continuer de lui parler, car il n'est toujours pas parti, et qu'il veut bien prendre un café bien qu'il n'aime pas le quartier. – Pourquoi t'es là ? demande-t-elle, ne se mêlant pas de ses affaires. S'il n'aime pas le coin, il a juste à ne pas y mettre les pieds. Pour elle, c'est très logique. Elle est loin de le connaître, peut-être qu'il avait rendez-vous quelque part, ou elle ne sait trop quoi d'autre. De toute façon, comme il a accepté de prendre un café, peu importe où ils vont ni encore pourquoi il est là. C'est un nouveau point positif à propos de son idée, elle va dans la bonne direction. Il tire ses poches vides, ce qui explique un peu pourquoi il n'aime pas Orange Grove Boulevard. – J'te le paie. fit-elle. Elle l'invite, elle veut lui parler alors ça tombe sous le sens. Elle essaie aussi de l'attirer de cette manière pour éviter qu'il ne se décide à ne pas vouloir la suivre malgré ses réponses positives pour l'instant. – Je connais pas le coin non plus, alors le plus près ? propose-t-elle, tout pointant le café le plus proche d'eux. En fait, en diagonal avec eux. En face, c'est un salon de coiffure, elle ne pense pas qu'il y ait du café là. Et elle n'a sûrement pas les moyens pour une coupe de cheveux comparativement à un café et un thé.
Comme elle paie, elle ne pense pas qu'il ait son mot à dire, alors elle se dirige vers le petit resto. – Moi c'est Elizabeth. se présente-t-elle, en chemin, se rendant compte qu'elle ne l'a pas fait. Cela lui arrive parfois, trop enthousiaste pour penser à la base. Trop partie dans ses idées pour être logique. Une fois attablé, c'est le moment d'entrer dans le pourquoi elle l'a interpellé un peu plus tôt. Elle n'a pas fait ça pour rien. – Je suis photographe... et tu squattes mes photos. Il ne l'a peut-être pas remarqué. Elle a, naturellement, quelques exemples avec elle. Elle sort de son sac les photos qu'elle a développé et les pose devant lui. Il n'a qu'à se chercher à présent. Ça va être moins difficile qu'avec une partie de Où est Charlie ?