(...)
Le bouton de la radio enfoncé.
Capter la bonne fréquence, le bon son. Et Le King fait son show!
Les véhicules d'antan ont ce quelque chose d'inimitable - indomptable.
Terrifiant. "Elle est extraordinaire" mais oui, elle l'est !
Une belle Dodge Coronet des 70's, couleur de cuivre.
Il aurait pu être celui l'ayant remise sur pattes
(elle était déjà au garage avant lui)
Dommage. Non pas dommage : Incroyable.
La fumée s'échappe de ses lèvres, de ses poumons, s'écrase sur les vitres. Les ouvrir. Vite. C'est bon?
Le bâtonnet incandescent coincé entre deux doigts, la route dégagée, c'est prêt. La chimère d'acier se réveille, grogne après le temps qu'elle a passé endormie. "C'est l'heure de rentrer à la maison ma douce"
Elle finit par accepter.

Mais tout ne se passa pas comme prévu. Au croisement d'un carrefour, les choses se gâtent : Une gazelle en face ne s'arrête pas dans sa course. Elle fonce ! vers lui. Et c'est la rencontre. Le coup de foudre. Baiser volé. Chair déchirée. La gazelle chute sur le sol, arrache des bouts de bitume avec elle.

Il émerge de l'habitacle. Personne autour ne s'arrête ou ne réagit -- puisqu'il est seul. Et la gazelle est peut-être déjà passée de l'autre côté. Au moins,
elle est en un seul morceau.

S'approcher avec précaution,
(on ne touche jamais le corps d'un accidenté)
(on ne nourrit pas le corps d'un blessé)
adresser des mots pour ramener l'esprit sur terre.

Puis il voit le liquide rouge glisser du visage de la gazelle.

(désolé mais ce n'est pas possible)
(on ne touche jamais...) (non) (pas possible) (désolé)

Le corps du chirurgien posté près d'elle, comme dans les films dramatiques, la main près de son visage, si fragile, et ses yeux clos. Elle a l'air jeune, nouvelle. Presque enfant. "Mais je respire !" semble tout à coup rappeler la poitrine de la gazelle qui n'a pas cessée de se soulever.
La gazelle vivait toujours.

"Hé ! Hé. Ouvre les yeux.
Prouve-moi qu'il y a encore quelqu'un là-dedans."

Voix soucieuse, insistante, on pourrait croire perdue aussi. Le chirurgien ne s'est encore jamais adonné à la guérison des créatures. Des vraies.

Pour le moment, observer la moindre petite réaction, le moindre souffle de vie. Peut-être y a-t-il quoi que ce soit qui permette d'appeler aux alentours... Pendant que Elvis continue de faire son show tout seul dans la voiture.

Elle est écorchée de toute part la gazelle, mais elle vit. Elle vit, parce qu'elle vient de lui dire toc toc.
C'était l'ébauche d'une blague, d'une pirouette que sais-je, mais l'ébauche d'un sourire aussi. Elle souriait la gazelle, entre le rouge de ses lèvres.

Puis les vibrations sur le bitume, un écran fou qui s'acharne à ce qu'on pose l'oreille tout contre. C'est quelqu'un d'en colère de l'autre côté -- dans ce ridicule boitier. Et ce petit machin est peut-être ce qu'il attendait.

...Décrocher. Vite !

"Appelez une ambulance pour South Lake District. Y a quelqu'un qui...
Quoi? Une carte bleue?"

Merde. Et la gazelle vient tout juste d'ouvrir les yeux. Un battement de cil pour que tout s'effondre... sa voix avec. Encore.
Elle vit pour de vrai. Il faut qu'elle continue à vivre.

Téléphone délaissé sur son torse, les battements du cœur d'Abram font diversion tandis qu'il reporte son attention sur la créature endolorie par terre. À ce train-là, il ferait mieux de s'occuper lui-même du reste.

"Je crois pas que les outils du garage puissent faire grand-chose,
mais on a que ça."

Abram éteint le jouet agaçant pour ne plus entendre parler de la voix en colère et sa carte bleue. L'atelier n'est jamais loin quand on se trouve dans la zone industrielle. Ses bras ramassent la gazelle, doucement si pas sèchement, et l'embarquent dans la Coronet sur la place du mort. "Elvis chante pour elle s'il te plait" Mais il ne faut pas qu'elle s'endorme à nouveau.
Elle ne se réveillerait pas.

"Tu devrais pas plutôt l'emmener à l'hosto, quoi? Elle saigne la gazelle."
"Trop loin."

Ah... Donc ce n'est pas possible.
Sur le chemin il y a quelques dodanes désagréables qui ne manquent pas de faire bondir la Coronet comme le corps de la gazelle (pardon). Ce serait dommage de répéter l'incident d'il y a cinq minutes, mais les portes du garage sont déjà visibles à l'horizon, alors qu'une explosion de vie soudaine fleurit sur la place du mort :


WOH ! Woh
Non
(où est ma cigarette?)
Elle se réveille... puis se rendort... Non. Elle ne se rendort pas. Elle est pleinement éveillée, mais comme un mourant se réveille pour la dernière fois avant de décéder pour de bon. Ah non. Pas comme ça. Tu vas pas lui faire ça, dis. Pas dans la voiture.

Mais la voilà qui s'arrête (la voiture pas la fille). Ils sont arrivés.
Bon il est un peu mal garé, mais on s'en fiche.

Au pas de course, Abram émerge à nouveau de l'habitacle.
(n'oublie pas, toujours passer à l'arrière du véhicule) Il ouvre la portière avec détermination, mais à cet instant précis, l'idée de devoir entrer dans un garage verrouillé avec un corps dans les bras le freine à ramasser tout de suite l'enveloppe endormie (??) de la gazelle.
"Pardonne-moi petite, ton tour vient après."
L'atelier semblait s'attendre au retour hâtif de son propriétaire -- de l'un de ses propriétaires, au vu de la facilité avec laquelle Abram su rentrer : les clés étaient en place, c'est une première. Puis il est temps d'aller chercher la créature en détresse. Il revient à la porte qu'il avait ouverte tantôt, et avec la douceur la plus extrême (c'est à dire une douceur de mécanicien), soulève le poids-plume et le rapatrie à l'intérieur. Maintenant il cherche un endroit plat, pas trop dur, sur lequel déposer son colis.
Le divan en cuir dans le fond de l'atelier a l'air aguicheur aujourd'hui.

La chose est déposée. Mais respire-t-elle encore?
Penché au dessus du corps, l'inquiétude :

"Hé gamine, dis quelque chose. Un truc. N'importe quoi.
Mon nom, dis-le. Je m'appelle Abram."

Et pas question de rester bras ballants : dans les casiers là-bas, il se rappelle qu'un collègue y a trouvé sparadraps et désinfectants après avoir eu des différents avec son matos de réparation. Ok très bien.
Vu que les tiroirs sont plein de bordel, il a fallut faire le tri. Le mieux qu'il puisse faire, ce sont les premiers soins. On apprend tous ça à l'école.
........Mais est-ce que tu te souviens, Abram??