il frôle les murs en tôle ondulée des hangars. le métal laminé est bouffé par la rouille, il sent les aspérités sous ses doigts abîmés.
il coupe par un terrain en friche. l’objectif en vue, stig est tenté de faire machine arrière. de se poser sur son canapé quinquagénaire et de se laisser sombrer, après une session de hasch bien tassé.
il ne sait même pas s’il sera là. il s’en fout, d’ailleurs. il est là, c’est bien. il est pas là, tant pis. il sera déçu, il a envie de coucher avec quelqu’un ce soir, et tito est pratiquement son voisin. c’est la facilité. c’est proche, c’est confortable. ouais, c’est l’explication rationnelle. c’est à portée de main alors pourquoi pas en profiter.
il s’annonce, deux coups de pieds sur la tôle qui hurle, et il ouvre la porte de l’entrepôt abandonné.
tito est là. c’est bien. il l’observe, un peu, ça se trouve il a eu la même idée et il s’est trouvé quelqu’un qui voudra bien le monter. il a pas envie de donner l’impression d’un gros paumé.
il regarde tito. y’en a qui sont beaux mais basiques. lui il est pas basique. il est loin de lui, mais y'a son odeur qui vient s'emparer de ses narines.
tu dors sur le canapé, ce soir ?
tito sait ce que ça veut dire.

ça brûle. sa carcasse brûle parce que tito, il court. il court comme un fou pour échappe aux fantômes. ses pas font clap clap sur le sol humide. il se sent comme une bête traquée. tito ne veut pas allé à l'abattoir, pas encore. alors il court pour échapper à la fusillade. les coups de feu résonnent encore dans sa tête.
pan. pan. pan.
tito a l'impression que la mort court après lui. elle a de longues jambes décharnées la mort. tito aussi, ça lui fait peur.
ses poumons goudronnés sont comme deux gros volcans. il s'arrête à bout de souffle. il le perd son souffle. et tito pense qu'il le retrouvera jamais.

il est de retour chez eux, à babe et lui. il est au hangar. ses pieds l'ont mené là et il n'a jamais été aussi soulagé de voir cette porte en ferraille.
tito rentre, le pas bancal. il est tout tremblant de la tête au pied. il pense juste à la mort qui le poursuivait encore et toujours. il a comme des étoiles noires devant les yeux. et il est mort de trouille tito parce qu'il veut pas crever aussi tôt, aussi facilement, aussi connement.
soudain, la ferraille hurle dans le hangar. et la voix roque de stig le fait redescendre un peu sur terre. mais pas trop.
sur le canapé, sur le sol, n'importe. tant que c'est pas dehors. tant que c'est pas la mort.
tant que c'est dans la chaleur d'un autre corps.
perdu, il se souvient même plus de la réponse qu'il a donnée. il enlève son manteau et son pull troué, en désaccord total avec ses paroles. il se désape ici alors qu'ils sont encore dans le hangar. alors qu'ici, il n'y a pas de canapé. il est déjà torse nu mais il sait plus trop ce qu'il fait tito.
il veut surement dire merci. à stig, à sa maigre chance, à son coeur qui bat trop fort mais encore.

il était sur le toit du garage en train d’enfumer ses poumons, perdant son regard dans l’horizon, dans liberty. il tapotait sa joue pour faire des ronds de fumée, il triche, il sait, mais il n’a jamais maîtrisé la technique et ne la maîtrisera peut-être jamais, alors qu’il décime un paquet par jour. stig se laissait emporter doucement, il regardait la lune montante quand son attention a été piquée. au fer rouge. une silhouette qui s’est découpée entre les hangars de la ZI. c’était juste un mec, qu’il pensait. rien qu’un mec, tito.

stig regarde tito faire.
il y a des choses qui n’ont aucun sens. tito et lui, ça n’a aucun sens. et peut-être que c’est aussi bien de cette façon. leur interaction n’a toujours été que purement sexuelle. jamais de grandes discussions. jamais rien de profond. à part, pas besoin de dessin ? eux, ça n’a pas de raison d’être au-delà du sexe.
qu’il se déshabille, là, dans cet entrepôt éventré n’a aucun sens.
il devrait lui dire d’arrêter, de renfiler ce qu’il a effeuillé et de le suivre jusqu’à chez lui. il aime la façon dont ils déambulent dans la zone, plus souvent qu’ils ne le devraient. ça n’a aucun sens, ça non plus. lui à quelques mètres devant tito. des fois l’inverse. une procession qui n’a qu’une raison. la même raison qui l’a poussé à venir tambouriner à cette porte aujourd’hui.
tu veux le faire ici ? il hausse les épaules, pragmatique. peut-être que tito ne l’écoute même pas. peut-être qu’ils ne s’écoutent même pas. si l’un toque à la porte de l’autre, ce n’est qu’un appel charnel, pas une visite de courtoisie. peut-être que même leurs mots n’ont aucun sens pour l’un et pour l’autre. le sexe. c’est tout ce qu’il y a.
stig il a envie de lui, ici ou ailleurs. il s’en bat. il enlève sa veste. il enlève son sweat. et puis ça le frappe, d’un coup. lui et stig, ils ont rien d’autre que des étrangers.

c'est pas la première fois que tito assiste à une fusillade. faut être con pour croire qu'un clochard d'la zone industrielle de liberty n'en a jamais vue. tito les compte même plus. pourtant, cette fois c'était différent. différent parce qu'il était dans ses pensées lorsque les coups ont commencés. il les entend encore résonner dans sa caboche. il croyait qu'ils étaient là tout près. que les red devils étaient venus pour le flinguer dans une ruelle sombre.
il a pensé à ses parents, à babe, au bureau, à stig, à son chat d'enfance, à ses écrits sur le carton. et il s'est dit que, non, sa vie devait pas s'arrêter comme ça, que c'était pas possible.

il y pense encore. il y pense quasi à poils. c'est un peu malsain de penser à des cadavres avant de baiser. mais tito n'est plus à ça près. il enlève son jean de ses mains calleuses. il s'approche de stig, tel un robot.
il en a marre d'être un robot pourtant, là, il est en pilotage automatique. parce que ses souvenirs se rappellent à lui, sans fin. il a envie de vomir un peu. vomir sa peur. vomir ses frissons. vomir sa vie. il n'en fait rien. il n'entend même pas stig tellement il est loin dans sa tête. son cerveau chewing-gun lui laisse aucun putain de répit.
puis il voit stig se désaper à son tour alors il s'approche encore un peu plus. il se laisse tomber. ses genoux dénudés s'écorchent sur le béton râpeux. il le sent même pas tito. il sent plus grand-chose.
il défait la braguette de stig, la main encore tremblante.
il lève la tête vers celle de l'autre, comme un putain de prieur devant le christ. et comme un con, il sent une goutte dévaler sa joue. puis une autre.
il est vivant. il est vivant.
pourtant il chiale devant le pénis de stig.
il est vivant.

il n’a jamais perdu de temps à essayer de s’agripper à tito. il le touche, ils se touchent, sans se ressentir. ils se parlent sans s’écouter. ça lui va. ça a toujours été leur raison d’être ensemble. une pudeur palpable s’est formée entre eux, il s’en est accommodé, c’est plus facile de cette façon. ils n’ont jamais trahi une émotion. jamais laissé transparaître quoi que ce soit, si quoi que ce soit existe. ça lui plait, c’est ce qu’il fait, stig. même lorsqu’il est proche de quelqu’un, même lorsqu’il est ami avec quelqu’un, il reste détaché. il reste ce mec froid qu’on évite à approcher, mais qu’on approche quand même, malgré lui, car on se souvient du gamin qu’il était.
il l’accompagne, ses mains sont sur les siennes, il n’a pas besoin de le guider. les dents de sa braguette se défont une à une. leur regard se croise un instant. il se demande si c’est vrai. si c’est réel. si cette larme coule vraiment le long de sa joue, ou s’il l’imagine. c’est un putain d’effet de lumière.
mais la première est suivie par d’autres. elles se suivent. et tito est à genou. et stig ne sait plus quoi faire, et lui aussi pourrait tomber à genoux. il a l’impression qu’on lui passe un glaçon le long de sa colonne vertébrale. il ne bouge plus. il essaye de comprendre. est-ce qu’il a fait quelque chose de mal ? peut-être que ce qu’ils ont, là, les jours d’avant, peut-être que c’est exactement ce qui est mal. il n'en sait rien.
attends. il recule. il a pas envie de ça. est-ce qu’il pense qu’il a besoin de faire ça ? que c’est leur deal ? il couche pour avoir un toit qui ne fuit pas au dessus de lui ? c’est ridicule. il recule, à nouveau, attrape le pull de tito. il le lui jette à ses pieds. s’il s’écoutait il l’aiderait à se relever, il l’aiderait à sécher ses larmes, il le prendrait dans ses bras. s’il le pouvait.
rhabille-toi. il hésite. il enfile son sweat. viens. chez moi. il ramasse le reste de ses affaires, avance jusqu’à la porte, prêt à sortir, prêt à partir, sans se retourner.

tito ricane. ça lui arrache la gorge parce que ça ne va pas à tito de ricaner. tito c'est le gars qui encaisse parce qu'il n'a pas le choix, qui encaisse sans rien dire. il ne ricane pas tito ; quand il avait neuf ans, sa mère lui a dit que les bons garçons ne ricanaient pas. c'est vrai dans un sens. mais là, en cet instant, il a pas l'impression d'être un bon garçon alors il ricane. parce qu'un bon garçon ça pleure pas pour rien, ça suce pas pour oublier la peur et ça sait où il va.
alors tito ricane entre ses larmes. et il se sent pathétique. et rejeté. stig s'est reculé alors que stig ne se recule jamais lorsque tito se fout tout nu. stig ne résiste jamais au corps bancal du gamin. sauf aujourd'hui. sauf quand il ne faut pas. tu veux pas ? tito ricane, la gorge étranglée. les larmes diminuent un peu. il semble redescendre sur terre même si tito se sent toujours perdu, toujours à genoux. j'peux pas te proposer plus confortable, si ça t'dégoûte tant pis. et tito se relève sans rattraper le pull à ses pieds. ses yeux sont rougis comme un putain toxico en pleine défonce. tito comprend alors qu'il a proposé de baiser ici, dans le taudis de babe et lui. et stig a dit nan comme on refuse une tasse de café à deux heures de l'aprem. tito se sent comme une tasse de café. et c'est franchement amer. pourquoi t'as arrêté ? tu t'arrêtes jamais.

toujours à poil - exprès -, l'gamin se rapproche de sa couche pour prendre une clope.
un peu de feu puis il tire sur la tige à défaut de tirer son coup.
stig a dit non. le silence est pesant. tito déteste les sentiments qu'il ressent. il n'a plus l'habitude. stig a dit non, stig l'a rejeté. et tito, il devrait pas se sentir comme ça face à ce rejet. tito a l'habitude d'être rejeté, c'est qu'un clochard. pourtant il se sent mal et il en veut à stig de se sentir mal.
t'as eu une panne ? mon corps te convient plus ?
il veut que stig se sente mal aussi, un peu. un peu comme lui.
(pendant quelques instants, il oublie la mort. il se sent en vie)

tito, il l’agace. tito, il le frustre. tito, il a envie de le pousser. stig a envie de le bousculer. mais tito, il a envie de le prendre dans ses bras, aussi. stig a envie de le caresser. tito, il veut le couvrir de ses lèvres. il veut s’endormir dans ses bras. il sait qu’il y serait bien. stig veut lui murmurer à l’oreille des mots qu’il n’ose pas prononcer à vive voix. il veut sentir son cœur battre contre son torse. il veut que leurs battements se confondent et battent à l’unisson. mais tito, il l’aimante comme il le repousse. depuis le début, tito fait naître en lui des paradoxes qu’il n’arrive pas à surmonter. qu’il a peur de surmonter. tito, il fait naître en lui des émotions contraires. fortes et sauvages, que stig sait qu’il ne pourra pas contrôler, s’il les laisse s’emparer de lui.
stig, il le regarde ricaner. il est là, au seuil du hanger, prêt à partir. il l’a invité à le suivre, mais tito il ne bouge pas. il fourre la main dans la poche arrière de son jeans, il tire une cigarette du paquet qui y sommeille. il a envie de nicotine. il a envie d’une distraction. parce que tito il est là par terre. parce que stig il voit encore les larmes sur ses joues, et ça le bouffe de pas comprendre pourquoi. parce que stig il se pose des questions, trop de questions, comme à chaque fois qu’il ressent ce genre de sentiments, comme à chaque fois qu’il a peur de ces agissements, peur de faire mal. peur de blesser. c’est de sa faute, si tito il s’est mis à chialer ?
stig, il l’écoute, avec une patience volatile. tu veux pas ? si ça t’dégoute tant pis. il l’écoute et il le suit du regard. il ne le quitte pas des yeux. pourquoi il dit ça, tito ? pourquoi ils sont comme ça, lorsqu’ils sont ensemble ? pourquoi ils ne se laissent pas brûler par les flammes qui les dévorent ? stig, il a déjà aperçu quelque chose, dans les yeux de tito. rapidement. furtivement. il n’a pas eu le temps de mettre des mots. ni même des adjectifs. ces flammes en tito, elles l’ont juste léché, elles l’ont juste attisé. stig se demande si tito il a déjà sondé son regard, si dans ses yeux il y a le même feu qui se propage. pourquoi ils sont comme ça, lorsqu’ils sont ensemble ? il ne sait pas. il ne sait pas et ça le désarme.
mon corps te convient plus ? c’est à son tour de ricaner. il tire une dernière fois sur sa cigarette qu’il jette derrière lui. il jette aussi un regard. un regard dans la rue, un regard dans la zone. qu’est-ce qu’il fout là ? il devrait courir. il devrait se sauver. c’est possible. il n’a qu’à passer ce seuil. lâcher les chevaux et ne pas se retourner. ne surtout pas se retourner.
stig ferme la porte du hangar et tue le silence. t’es vraiment con. chaque mot lui donne des vertiges. il fait un pas vers tito. un pas puis un autre. lentement. bien sûr que je veux. ici, ailleurs, partout, je m’en fous. il respire. il a l’impression de dire des choses évidentes. qui sont censées être évidentes, et à s’écouter il a l’air con. il l’est, sûrement. il s’avance encore plus, et il ne s’arrête que lorsqu’il est à quelques centimètres de tito. il attrape sa main libre et la pose sur la bosse qui déforme son jeans. il a besoin d’une preuve ? la voilà. tu vois ? y’a aucun problème ici.
stig garde la main de tito dans la sienne. les vertiges se multiplient. il se fait peur, stig. il se fait peur, car il sait pas vraiment ce qu’il est en train de faire. il se fait peur, car tito il est imprévisible. je te veux n’importe où, tito, murmure-t-il, ses lèvres à quelques centimètres de son oreille. il sent le souffle de tito dans le creux de son cou, et ça lui rappelle cette fois où tito s’est endormi après avoir fait l’amour. stig, il avait fermé les yeux pour écouter sa respiration, et c’était le plus beau moment volé. ses mots se forment dans sa tête, et son estomac se retourne. sa mâchoire frissonne. ses doigts se resserrent sur la main de tito. mais je te veux pas comme ça... pourquoi tu pleures ? dis-moi. il continue à murmurer. il le supplie de lui parler, honnêtement. ses mots appartiennent à un autre espace-temps.
à un autre monde, où leur cœur n’est qu’un.

tito il est mort de trouille. pour tout et rien. il a peur des voyages en bagnole, d'la viande avariée, d'la mort, des relations, d'la douleur au coeur. il a peur d'un tas de trucs. c'est un tas tellement grand que ça lui fout les j'tons. fort. au point où y'a d'la bile brûlante qui remonte dans sa gorge. c'est pas une brûlure douce comme les rayons du soleil ou le feu de cheminée ; c'est un truc plus moche, plus fort. la brûlure d'la peur, ça ressemble aux jours où tito n'a pas bouffé depuis trois jours. ça gronde dans le bide de tito et le corps du gamin fait tout pour échapper à ça. malgré l'habitude. malgré les neurones de tito qui disent "chut, souffre en secret, ça va aller" parce que la gorge de tito n'en fait qu'à sa tête.
et là, devant stig c'est pareil. tito a la gorge serrée de larmes, de vide, de peur.
de peur. encore et toujours. même s'il fait genre que tout va bien. il a même sorti une clope pour se donne contenance. pour dire "t'as vu j'vais bien, j'vais toujours bien" même si c'est faux, même si dans sa tête ça disjoncte à plein tubes. alors tito évite le regard de stig. il évite le corps de stig pour éviter sa peur.
et lorsque tito voit stig se diriger vers la porte, il ferme les yeux très forts à en voir les étoiles. parce que son coeur touche le néant.
mais stig revient vers lui. et tito ne comprend pas. il ne comprend pas pourquoi stig s'est retourné vers lui, il comprend pas pourquoi il a voulu le blesser, il comprend pas pourquoi ils ne sont pas sur la couche - ou contre le mur - en train de baiser.
c'est quoi déjà le problème ?

doucement, les paroles de stig réchauffent tito. les mots se font pansements. le corps de tito convient toujours à stig alors la gorge de tito se déserre un peu. stig le touche, tito se laisse fait. il ressemble à une marionnette mais il sait que stig lui fera pas faire des trucs bizarres. et stig se rapproche toujours un peu plus. tito le regarde de nouveau. il aime beaucoup des cheveux du plus vieux. c'est lisse et en vrac, comme un nid d'oiseau. tito pourrait dormir dans le corps de stig s'il pouvait, s'il se l'autorisait. le moment est doux, tito frissonne. les poils de sa nuque sont au garde-à-vous. j'crois que la mort veut ma peau. j'ai peur. tito se sent pas de mentir à stig alors ses cheveux fous le frôlent et que l'air est cotonneux. il ne sait pas vraiment mentir dans ces moments-là. je l'aime vraiment pas, elle rôde tout le temps autour de moi. je sens ses mains glacées autour de mon coeur. tito tremble un peu. il se confit jamais à stig, mais stig lui a demandé alors tito se dévoile.
je...
tu me veux comment ? demande tito d'une voix roque. elle est conne sa question, pas vrai ? stig va répondre "à poil" comme tous les autres, pas vrai ?

tito, il sent les coulées salées sécher sur ses joues caramel. ça tiraille un peu. tito gratte sa peau comme pour dégager une araignée. il est distrait pépito. il regarde stig, il ne voit que stig. il imagine sa main abîmée sur le coeur palpitant de l'autre ; il se berce du coeur de stig. c'est lent, c'est doux. c'est ce que tito imagine. le coeur de stig doit être aussi doux que lui. un gars comme lui ne peut pas avoir un coeur aux battements irréguliers, sournois.
stig n'a pas le coeur de tito. le coeur de tito est unique. il a le coeur du vieux.
le jeune coeur de tito a comme un coeur en dedans qui, lui, a cent ans. ce coeur-là, il est usé jusqu'à la corde. à cause du froid, à cause des coups, à cause de l'humanité.
l'humanité a tué le coeur de tito comme un gamin arrache les pattes d'un moustique.
le coeur de tito n'a plus de pattes. et le coeur de tito a honte de palpiter à côté de stig. stig qui a le coeur encore jeune, encore fort.
et le coeur de stig lui murmure des choses chaudes au creux de l'oreille.
je te veux souriant.
je te veux radieux.
je te veux heureux.
tito sent son coeur rater plusieurs battements. il se mord fort le creux de la joue. le sang coule dans sa bouche. le goût heurte ses papilles. le fer familier dégouline dans sa gorge, paresseusement. les mots réchauffent le coeur de tito. le coeur de tito se met à brûler.
c'est pas si simple. c'est jamais simple.
les mots de stig coulent dans sa bouche comme une évidence. mais y'a rien d'évident chez tito, parce qu'il ne connait pas le vocabulaire de stig.
être heureux, c'est pas pour lui. on veut pas qu'il soit heureux tito. sinon, il crèverait pas à petit feu dans la rue. sinon, il serait pas jugé par toute cette putain de société. sinon, il n'aurait pas le coeur qui hurle à la lune face aux mots doux de stig. parce que les mots doux, c'est pas pour lui. c'est pour ceux qui ont un toit sans trous, n'est-ce pas ?
il sent la chaleur de la main de stig sous son menton. et tito il comprend pas. pourquoi stig n'est pas dégoûté par tito hein ? tito s'est pas lavé depuis deux jours pourtant stig le touche comme si de rien. c'est quoi le problème de stig ?
tito délaisse stig pour regarder autour. pourquoi stig est là ? y'a rien ici. rien que le cul sale de tito;
et ça, tito trouve ça écoeurant.
y'a un problème de fond.
stig n'a rien à faire ici, pas vrai ? stig a un chez-lui propre, alors pourquoi il reste là ? c'est comme s'il refusait un repas gastronomique pour les restes d'une poubelle. et pourquoi ? parce que la poubelle a un beau couvercle ?
tito ricane.
il veut masquer son envie de vomir qui est d'retour.
je... dans le fond il sait pas quoi dire tito. "tais-toi" "tu me fais du bien" "tu te mens à toi-même" "casses-toi" "j'ai besoin de toi" "pourquoi ? pourquoi ? pourquoi ?"
mais de tout ça, tito ne dit rien. de tout ça, tito ne croit en rien.
et y'a cette bile dans le fin fond de sa gorge qui veut l'étouffer. sous la lumière du néon crasseux,
les yeux de tito semblent briller de larmes. encore.
alors tito fait ce qu'il a appris le plus assidûment.
tito fuit.
il fuit le hangar. il fuit la main de stig. il fuit le coeur de stig. il quitte tout pour retrouver le dehors,
pour retrouver la mort.

et là dans le froid, sous un cagot renversé, tito vomit ses sentiments effrayants pour stig.