des cris qui résonnent dans l'appartement silencieux. des bruits de pas, des bruits de voix, qui volettent jusqu'à la pauvre gamine allongée dans son lit, les yeux clôt. elle donnait presque l'impression de dormir. si on ne voyait pas ses membres qui tremblaient au point d'agiter sa couette. ivy avait six ans quand elle a entendu l'ultime dispute de ses parents, quand elle a entendu la porte claquer brutalement derrière le dos de son père, quand elle a senti sa mère se glisser dans sa chambre, sans son lit, pour la serrer contre elle, quand elle a senti des goutte d'eau salées tombée sur sa joue. ivy avait six ans le jour où la vie de la petite famille saunders a totalement changé. ivy avait six ans le jour où elle a fait semblant de dormir, le jour où elle a ignoré la tristesse de sa mère, parce qu'elle ne savait juste pas quoi faire pour l'aider.
assise en tailleur, les yeux grands ouverts, ivy du haut de ses dix ans observait une jeune femme danser au milieu d'un parc. une musique douce s'échappait de la petite sono et ivy observait tout ça, des étoiles dans les yeux. après de longues -trop longues- minutes, elle se leva et s'approcha timidement de la demoiselle, qui ne la vit même pas. le regard de la gamine était fixé sur cette silhouette féminine, dont elle commença timidement à suivre les mouvements. elle tenta du mieux qu'elle pouvait, mais finit par se rater et tomber au sol avec un petit cri. c'est à ce moment-là que l'inconnue l’aperçut. lui sourit. elles discutèrent, puis se quittèrent. le lendemain elles se retrouvèrent même heure même lieu. et les leçons de danse commencèrent. ivy découvrit un monde nouveau, un monde merveilleux. elle était sur-excitée, véritablement heureuse. elle pouvait s'entraîner pendant des heures sans ressentir la fatigue. c'était sa drogue, son oxygène. quand elle dansait, elle oubliait tout le reste.
tu pensais vraiment que je ne le verrais pas ? une voix rageuse qui retentit comme un coup de tonnerre dans la petite chambre d'ivy, tandis que sa mère déboule comme une furie. elle serrait une boule de papier dans sa main, qu'elle jeta au visage de sa fille. cette dernière reconnue bien vite sa dernière copie de science et la pauvre note qu'elle avait récolté. en vérité elle était dans la moyenne. mais la moyenne n'était pas suffisante aux yeux de sa génitrice. la dispute qui s'ensuivit fut si violente, si longue, si ponctuée de cris et hurlements que pour la première fois l'adolescente se crut de nouveau dans son enfance. pour la première fois elle comprit pourquoi son père était parti. pour la première fois elle se demanda la raison pour laquelle il ne l'avait pas emmenée avec lui. en boule dans son lit, elle attendit que la tempête se calme, et quand sa mère sortit enfin, elle fondit en larmes sous sa couette. la sentence était tombée. interdiction de danser à nouveau. ivy se demandait comment elle pourrait bien survivre, sans ça. elle dormit peu ce soir-là et se rendit au lycée d'une humeur particulièrement désagréable. ce qui expliqua probablement pourquoi elle répondit avec tant d'insolence à son professeur de mathématiques et pourquoi elle se retrouva collée. et c'est ce jour-là, pendant cette retenue, qu'elle rencontra ce qui constituerait sa nouvelle drogue. reese. une fille si enjouée, si agréable, qu'elle réussit à s'allier ivy. devenant même sa bouée de sauvetage.
ça se passe bien la médecine ? ivy hocha la tête, en évitant le regard de sa mère. elle avait la gueule de bois, la pire migraine qu'elle n'avait jamais eu auparavant. pourtant elle faisait du mieux qu'elle pouvait, évitant de montrer son état de faiblesse à sa génitrice. au lieu de ça, elle sortit quelques billets, qu'elle glissa sur le meuble. le fruit de son dur labeur comme femme de ménage, dont elle donnait la moitié à sa mère, cette dernière gagnant une véritable misère. c'est dur maintenant mais tu verras, quand tu deviendras chirurgienne et que tu seras riche, tout se passera bien. ivy hocha une nouvelle fois la tête et sentit, sans les voir, les bras maigres de sa mère se serrer autour de son corps. elle avait des rêves pleins la tête, la maman saunders, des rêves pleins le coeur, mais plus l'âge pour les réaliser. alors elle comptait sur sa fille pour le faire à sa place. tu te trouveras un bon mari, riche aussi, vous aurez des enfants, une belle vie. si tu m'écoutes, tout se passera bien, t'auras une belle vie ivy. à l'entente de ces mots, la gorge d'ivy se serra. devait-elle lui dire ? lui avouer ce qui s'était passé la nuit dernière ? le baiser qu'elle avait échangé avec reese ? ce qu'elle avait ressenti ? elle avait peur, elle savait mal. alors elle ne dit rien. et le silence tomba dans ce petit appartement, à peine troubler par leur respiration. quelques heures plus tard, après un petit repas, ivy retourna dans sa chambre universitaire, le regard vide, marchant à l'instinct. elle ne savait pas. elle ne savait plus. elle était paumée. tout simplement. elle descendit du bus, mais y laissa son coeur, son âme, qu'elle imaginait s'envoler, loin. elle n'avait jamais eu autant envie de s'enfuir que ce jour-là. et pourtant elle ne le fit pas. comme d'habitude.