Peut être qu'elle aurait dû dire la vérité. Peut être qu'elle aurait dû tout balancer. Peut être qu'elle aurait dû au moins faire une allusion, pour qu'elle se doute de quelque chose, et puis devine toute seule. Mais Pixie en a été incapable. « Ma puce, qu'est-ce qui est arrivé à ton oeil ? » Elle a cet air inquiet typique de maman, celui qui rend à chaque fois Pixie coupable d'en être la responsable. Et la culpabilité, c'est pas quelque chose dont elle manque en ce moment. « Non c'est rien maman, t'inquiètes pas. Dans sa tête ça hurle mensonge, elle qui en temps normal est incapable d'un inventer un, là, il semble couler tout naturellement de ses lèvres. Je suis tombée à la dernière répétition de cheerleading, et je me suis pris le coude de Beth en plein visage. » Et puis elle lui a souri avant de disparaître dans sa chambre. Elle sait pas où elle a trouvé la force d'étirer la commissure de ses lèvres, alors qu'elle n'a qu'une envie : hurler. Elle referme à clé la porte de sa chambre derrière elle, chose qu'elle ne fait jamais en temps normal. Mais les choses ont changé aujourd'hui. Elle se fait couler un bain, et passe les deux heures suivantes à se laver, encore et encore, jusqu'à en faire rougir sa peau. Et puis les souvenirs s'abattent à nouveau sur elle, l'assommant presque. Elle aimerait pouvoir fermer les yeux et oublier. Mais c'est comme si l'image de son visage était à présent gravée à l'intérieur de ses paupières, impossible d'y échapper à présent. Dès qu'elle ferme les yeux, c'est son regard qui lui revient, et puis elle a l'impression de sentir ses mains encore et toujours sur son corps, et le coup, violent, inattendu, s'écrasant sur sa peau délicate. Elle se déteste, autant qu'elle le déteste. Elle n'aurait jamais dû aller à cette fête, n'aurait jamais dû boire toute cette bière. Et puis monter dans sa chambre... Sa gorge se serre, et elle ne remarque même pas les larmes qui se sont mises à couler à nouveau. Il était son petit ami, il lui a dit qu'il l'aimait, et qu'elle aussi en avait envie, sinon elle n'aurait pas mis cette petite jupe. Elle lui a dit non, répété même, jusqu'à presque le hurler. Mais elle n'a rien pu faire, sous son poids, sa force, elle n'était qu'une petite chose, une poupée de chiffon sur laquelle il s'est agité, pendant ce qui lui a semblé être des heures. Alors qu'au fond, ça n'a duré que le temps d'une chanson, chanson qu'elle hait, plus que tout, parce qu'elle a couvert ses cris. Peut être qu'elle aurait dû dire la vérité. Peut être qu'elle aurait dû tout balancer. Mais pour ça, il aurait fallu qu'elle n'ait pas l'impression d'être la coupable de son propre viol.


Huit ans. Huit ans que Pixie a été sauvée de son enfer texan, grâce à la promotion de son père, les menant droit à Pasadena. Mais les séquelles sont toujours présentes, elle n'a jamais fait les grandes études dont elle rêvait. Elle n'a jamais trouvé le grand amour de sa vie avant ses vingt ans, comme elle l'avait toujours prévu. Elle n'a plus été capable d'être une grande sœur digne de son nom pour sa cadette. Alors au lieu de ses grands espoirs, elle se retrouve là, à moitié enchaînée à un job qui ne la fait pas rêver. Fille du gérant, passée manager en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, elle ne sais plus trop quoi faire pour s'en sortir. Heureusement qu'elle a su se faire une nouvelle vie ici, au moins en dehors du boulot, elle a de quoi s'occuper et s'amuser. Enfin reste que, les conséquences d'une banale collision en plein magasin, semblent être le truc le plus agréable qu'elle ait connu depuis belle lurette. « Non mais sérieux Pixie... Tu comptes le regarder comme ça encore longtemps, ton fan de Disney ? » La voix de sa collègue la sort de sa rêverie instantanément. Elle secoue la tête, reprend ses esprits, tente de bafouiller quelque chose vainement, sentant ses joues s'enflammer soudainement. Et puis reprend sa lourde tâche qu'est de ranger les livres dans le rayon. « J'vois pas de quoi tu veux parler. » Elle aurait mieux fait de se taire plutôt que de s'enfoncer un peu plus. D'ailleurs ça fait rire la blonde à coté d'elle; faut croire qu'on peut lire en elle comme dans un livre ouvert, à son plus grand malheur... Parce qu'elle rougit pour un rien, qu'elle se fait toujours trahir par son regard lorsqu'elle ment, ou même qu'elle à ce visage bien trop expressif pour son propre bien. Mais à force elle s'y est fait, même s'il lui arrive encore parfois de vouloir honteusement être une autre; échanger sa vie, son passé, sa famille, avec n'importe qui d'autre qu'elle croiserait dans la rue. Elle est sûre que ça aurait été plus facile, mais au fond, chacun à sa croix à porter, pour certains elle est juste plus lourde que pour d'autres. « Mais bien sûr... Et moi j'suis la reine d'Angleterre ! »