rendez-vous quotidien avec les astres. fraîcheur de nuit contre sa peau encore enflammée, neir s'échappe rapidement de son petit repère d'illégalité, le crâne désireux d'étoiles. son visage est encore trop rayonnant, probablement hors contexte quand on sait qu'il venait de témoigner des violences les plus brutes. sa joie à lui semble morbide. petit garçon qui s'extasie devant les tableaux les plus sombres, neir a cet infime air de malsain perdu quelque part dans sa quiétude constante. il sait ce que les nuits lui veulent, ce que les gens désirent quand ils se ruent les uns dans les autres. c'est comme s'il n'attendait plus rien de personne, se saisissant des choses telles qu'elles étaient. personne ne raffolait vraiment de cette façon si nonchalante de vivre - neir n'avait pas besoin de l'approbation de qui que ce soit, c'était son désordre à lui, rien de plus.
harmonieux dans la pénombre, les mains enfoncées dans les poches de sa veste s'opposant au froid, neir se distrait des murmures nocturnes agrémentés de la lumière timide des lampadaires. les façades s'habillent peu à peu des luisances de la lune, les ruelles se font à la fois craindre comme désirer. énième, incalculable théâtre nocturne dans lequel chacun trouve rapidement sa place - ceux qui restent de côté iront s'effacer dans les douze heures à venir, sans que le monde ne se soucie d'eux, de toute évidence. cette fois si neir s'égare au 21st amendment, il sait qu'il y trouvera un semblant de chaleur, un goût de convivialité qui ne lui tient même pas à cœur. avec un peu de chances, il rencontrera quelques âmes égarées à la valeur inexistante, de quoi combler le vide. les contenus des verres s'en iront d'eux même et tout se dissipera le lendemain en routine des soirs qui n'ont pas d'importance.
alors voilà, il s'étouffe dans la masse, neir. il ne révèle pas son prénom et joue sur l'éphémère pour éviter les entraves. les sonorités quotidiennes lui vrillent un peu les tympans, sans aucun confort. ce soir n'a rien de plus que les autres - il en était persuadé, sûr et certain, avant d'être familier avec une silhouette passée. sa mémoire est interpellée et une infime étincelle décharge son corps entier: il s'en va à la poursuite de la jeune femme gravée dans ses souvenirs. sa main se loge délicatement sur son épaule, et se retire dans les quelques secondes où elle se retourne. « aurora? » les yeux azurés, les cheveux de lumière, les traits délicats. il s'en souvient très bien, étrangement. l'erreur était impossible, ou bien, son regard à lui s'était tissé d'illusions. « ça fait super longtemps. qu'est-ce que tu fais ici? » 
sourire enthousiaste sur son faciès à l'éclairage facile, neir retrouve un goût d'adolescence. sa mémoire sélective se fait clémente quand elle lui délivre les souvenirs qu'il a d'aurora, la demoiselle de diamant.

neir prétendait souvent se souvenir de tout. la réalité en était tout autre: il ne se souvenait que des choses qui l'empêchaient de mettre sa vie en danger. les visages des filles des clubs, les poignées serrées un soir ou l'autre,les promesses jetées dans le vent. tout ça était répertorié dans une partie de son esprit oubliée, mise volontairement de côté pour ne pas s'encombrer. ça faisait de lui quelqu'un d'audacieux, quand il prétendait des attaches et des "je reviendrais". souvent méprisé, quand il avait le courage de revenir dans les vies désertées.
pourtant, il savait, il n'avait pas oublié aurora. même s'il se défaisait de quelques existences, celle-ci avait été présente pour un trop long moment pour qu'il puisse tracer une croix dessus. ses années passées dans les établissements scolaires avaient été si pénibles qu'elles s'étaient gravées dans son être, de sorte à ce qu'il puisse en tirer quelques souvenirs encore flous, d'une période jugée inutile. mais les interrogations de la jeune femme l'intriguent grandement. il ne pouvait pas s'être trompé, non - personne d'autre n'avait ces yeux. personne d'autre ne dégageait cette fraîcheur presque glaciale. quand ils s'étaient rencontré, neir s'était attendu à de la glace brute. mais les sourires d'aurora lui avaient prouvé le contraire, et lui, encore garçon idiot, aurait été prêt à effectuer les pires stupidités pour le provoquer. « aahh, tu te souviens pas? on a pas mal traîné ensemble pourtant. » son regard s'égare dans le vide quelques secondes, comme s'il ressassait des souvenirs quelconques. puis il se plante de nouveau dans celui de son interlocutrice. il est léger neir, ses rictus se déclenchent facilement et il s'en fiche d'être oublié ou non. sur le moment, peut-être que ça l'ennuie un peu, parce que tout est plus intense quand c'est pris dans l'instant. dans quelques heures il serait déjà quelqu'un d'autre, celui qu'on lui demandera d'être. « je suis neir. ça te dit vraiment rien du tout? ça m'étonnerait qu'il y ai deux aurora, cela dit. je pense pas faire erreur. » insista t-il légèrement, perles dans les yeux.
et puis, s'il se trompait, il s'en irait sans creuser. parce que neir n'avait jamais été très bon ami du passé. il le regardait de travers et le méprisait bien trop souvent, se jurant de ne pas trop avoir à faire avec lui. non, il n'était certainement pas du genre à courir après les choses envolées.