Il y a dans ses yeux une étrange lueur. La même qu'il avait pu voir dans ceux des autres. Brûlante, colérique et de reproches silencieux.
Elle le regarde, comme si elle attendait quelque chose de lui. Des larmes, des pardons, des conneries que font les hommes lorsqu'ils sentent que les choses sont en train de leur échapper. Elle passe une de ses mèches de cheveux derrière son oreille, les doigts tremblants, comme tout ce qu'elle fait. Anita remarque à peine qu'elle vient d'enfiler une chemise de Nolan dans sa valise.
- C'est tout ce que ça t'inspire ? Qu'elle lui demande, l'écrasant de toute sa colère de femme que l'on a usé jusqu'à la corde. Ses jambes sont du coton mais elle tient encore debout. Et Nolan, planté devant elle, qui soupire, qui fuit son regard sans essayer de se défendre. Tout ce qu'il dira sera forcément retenu contre lui. En bas, les garçons pleurent parce que les enfants des éponges qui laissent les sentiments des autres s'infiltrer à travers leur peau fine et leur atteindre le coeur. Nolan descend les marches, vêtu de ce calme apparent et les prend dans ses bras en les serrant fort contre son torse parce qu'une chose lui dit qu'il ne le reverra pas de sitôt, qu'il deviendra au fil du temps un monstre dans leur tête. Un monstre façonné par leur mère. Le père disparaîtra sous son poids. Il sait, que les souvenirs s'effaceront, deviendront confus, comme de la peinture blanche qu'on mélangerait à de la noire.
Personne ne se souviendra de ce dimanche passé au lit lorsque tout le monde avait une fièvre carabinée. Plus personne ne parlera des films de noël qu'ils avaient enchaîné ce jour-là pour ne plus avoir à sentir le poids de la grippe dans leur corps. Seul Nolan gardera au fond de sa tête la chaleur des couvertures cotonneuses qui les enveloppaient tous les quatre dans un cocon d'amour tendre mais pas invincible.
Lorsque la porte se ferme derrière Anita, Nolan sait qu'elle ne reviendra pas cette fois. L'atmosphère n'est pas la même, leur amour s'en est trop pris dans la tête pour garder leur famille en un bloc.

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Ce monde là, c'est pas la vraie vie. Tu crois vraiment que tous ces types seront là pour toi lorsque ton monde s'effondrera ? Parce qu'il s'effondrera. Ces histoires là finissent toujours par se retourner contre toi. T'attends quoi pour réagir Nolan ? Tu perds tout le monde par fierté.

Les paroles d'Anita résonnent en lui, dans sa tête, dans son coeur, dans ses poumons, dans ses intestins, caressent son foie, ses reins, sa vessie. Rien n'est laissé au hasard, embrumé par des questionnements nocturnes qui disparaîtront une fois la ville revenue à son état normal, arrachée à son état d'ébriété.
Au fond de ses tripes, son père résiste, bercé par les souvenirs de ses coups de poings dans la tronche, de ses réflexions brutales pour être certain de faire de son fils un véritable homme. Il a jamais vraiment su ce que c'était, Nolan, être un véritable homme mais ça l'amuse de croire qu'il en est devenu un. Que son père serait fier de voir le résultat s'il était pas dévoré par un monstre invisible. Le monstre Alzheimer capable d'infantiliser une force de la nature, de mettre à terre une fierté de béton.

En attendant d'un jour trouver le courage d'aller le voir en maison de retraite, Nolan s'amuse à vivre de ses bécanes, de ses saouleries entre motards au fond de bars miteux, des bagarres incessantes -rarement justifiées-, des histoires louches et de ses fréquentations peu recommandables au point d'en devenir une à son tour, de fréquentation peu recommandable. Le type te terrasserait un dragon mais l'Alzheimer de son père, ça te le met ko en silence. Toujours en silence. Nolan est un grand magasin à souvenirs brumeux, à frustrations, à chagrins noyés et autres perles difficilement avouable pour un garçon qu'on a façonné à être une bête.

La voix d'Anita résonne encore une fois dans sa tête alors qu'il se tourne dans son lit vide. Il compte plus le nombre de personnes portées disparues parce qu'elles n'étaient pas dirty cruiser.
Il aurait p't'être aimé leur demander de revenir, d'arrêter les conneries mais sa fierté fait barrage, un énorme bloc dans sa tête qui flotte au milieu de ses pensées pour lui faire croire qu'il a raison et que les autres ne sont que cons.
Alors, il continue, Nolan, à jouer les coqs, à traîner sa carcasse de chien-fou dans les recoins de Liberty sans jamais se calmer. Parce que finalement, les DC, c'est tout ce qu'il a.
Autour de lui, tout le monde pense le connaître, même les vieilles, tranquillement installées sur les bancs publics parlent de lui comme s'il était leur enfant raté. Lorsqu'il s'agit de Nolan, bizarrement, tout le monde se sent concerné et les liens se resserrent de façon éphémère pour se liguer contre lui.
Il pourrait se racheter, le môme bien aimé devenu grand et ingérable mais il sait qu'à être foutu, autant l'être pour quelque chose. Chacun est un juge.
La voix d'Anita résonne dans sa tête mais il n'en a déjà plus rien à foutre, il la sent embourbée dans sa fierté, bientôt broyée par la rancune. Le corps de Nolan est une machine de destruction massive qui donne un goût amer à tous les sentiments qui le traversent.