Un soir de calme. Une soirée et une nuit, complète. L’envie de sortir, d’explorer le monde, même juste le temps d’un verre et de quelques clopes. De quelques banalités ponctuées de rires. Tu n’aspires à rien de bien compliqué, juste un peu de sociabilité, loin de ton imposant palace doré. Tu as besoin d’évasion ce soir. Pourtant tu tranches encore, devant le bar, un peu populaire, du coin, avec tes talons hauts, malgré un jean déchiré aux genoux et une blouse colorée. Ton chignon arbore de nombreuses mèches rebelles, comme pour t’offrir un côté plus décontracté. Tu essayes, même si les années de paraîtres, aux robes moulantes et aux tailleurs sur-mesure, te collent à la peau. Rôle de l’épouse modèle, aux sourires parfaits et pourtant, aux écarts nombreux. Écart comme cette clope que tu te grilles, sans aucune pudeur. Ici, personne n’est là pour te juger. Ici, personne n’est là pour murmurer quelques ragots en espérant pouvoir te faire tomber de haut. Nombreux sont ceux qui te connaissent, d’abord de nom, de réputation, ensuite de visage. Pourtant ici, ce sont les travailleurs, les ouvriers, les âmes en peine et esseulés. Ici, c’est le repère de tous ceux qui veulent s’oublier, s’abandonner. Qui veulent épouser leurs vices et leurs conneries.

Alors tu ne te poses pas davantage de questions. Tu n’essayes pas de te cacher ou d’être discrète. Tu as fait un effort vestimentaire, pour te fondre dans le paysage. Tu arbores cette apparence plus sereine, plus naturelle. Celle-là même de la femme que tu étais, avant tout ça. Avant Liberty. Avant tes divers engagements et désillusions. Tu sors ton téléphone de ta poche pour en observer les quelques messages. Ragots des uns, questions des autres. Tu n’as même pas envie d’y répondre. Tu veux juste savourer un bon whisky, ou quelques bières. Peut être bien les deux. Discuter, avec les uns et les autres. Raconter des conneries avec quelques verres dans le nez. La légèreté. Rangeant ton téléphone, tu guettes l’heure et surtout, son arrivé. Au grand blond à la barbe trop longue et aux cheveux en bataille. Allure séduisante, malgré tout. Dans le genre bourru. Il t’a bien fait craquer à l’époque et tu sais que sans engagements, peut être que tu te serais abandonné de nouveau. Avec Nolan, c’est tellement facile de tout oublier. De vivre l’instant sans se préoccuper du reste. Il en est d’ailleurs devenu ton confident, un de tes amis les plus proches, ici, dans ce monde d’hypocrites et de paumés. Gorgé de mélancolie et de regrets.

Tu tires de nouveau sur ta cigarette alors que déjà, à l’angle du bâtiment, tu distingues sa silhouette bâtie et son pas nonchalant, presque las. Las de vivre. Tu as un sourire en coin, parce que tu le savais, qu’il serait là. Habitué de l’endroit. Il semble un peu absorbé, fixant le sol, d’abord, sans trop t’avoir vu. Relevant le regard ensuite, alors que toi, tu souris. « Salut beau gosse » Oses-tu lâcher, en expirant une nouvelle bouffée de fumée, avant de rire de le voir chercher. « Oui c’est de toi que je parle idiot » Tu ris de nouveau avant de t’approcher de lui pour le gratifier d’un petit enlacement rapide et affectueux. Votre bonjour à vous, sans arrière-pensée. « Je savais bien que tu passerais » Renchéris-tu, avec un sourire heureux. Heureuse de le voir. Heureuse de pouvoir profiter d’une soirée de solitude pour la partager avec lui. C’est de ça que tu avais envie. T’évader, oublier ta vie, avec lui et votre alcoolisme galopant. Tu distingues même un sourire sur ses traits et dieu sait que c’est une chose rare. Voir précieuse.

Nouvelle sortie en solitaire où il n'a pas dit où il allait. C'est devenu une habitude ces derniers temps. La fuite le rend vivant, moins malheureux, un peu plus souriant même si personne n'est jamais là pour le voir. De toute façon en rentrant tard au milieu de la nuit, Nolan saura que personne ne sera là pour l'accueillir les bras croisés, un regard dur et une leçon de morale au bout des lèvres. L'avantage d'être seul comme un clébard. Pourtant, la bête se surprend parfois à vouloir de ce genre de petites scènes inutiles ; ça lui réchaufferait le cœur même s'il le dirait pas. Son tas de féraille s'arrête sur le parking alors qu'il se grille une clope avant de faire face à cette soirée. Il tire longuement dessus en restant là, installé derrière son volant, bras posé contre sa fenêtre ouverte. La nuit lui tombe sur la gueule alors qu'il quitte enfin sa bagnole pour faire face au monde. Un air encore chaud de la journée l'accueille et rien ne semble plus agréable que cette sensation là. Il a pas pris le temps de se changer Nolan, se ramène avec un vieux jean et un t shirt troué. Il aurait pu essayer de s'arranger mais l'idée ne lui est même pas venue en tête. Le blond se ramène avec et air froid, limite fermé. Aimable comme une porte de prison lui dit souvent sa mère alors qu'il grimace avant de disparaître dans les champs et ne plus revenir de la journée.

Pourtant, cette fois, un sourire se dessine sur ses lèvres à la vue d'Ethel. Elle est belle, Ethel, le genre de femme qu'il ne mérite pas. Qu'il ne méritera certainement jamais. Ce doit être pour ça qu'il n'a jamais essayé d'aller plus loin, de pousser les choses vers quelque chose de plus conventionnel parce qu'il n'avait pas envie de la briser encore plus. Son ex-mari avait fait le boulot pour lui. La prendre dans ses bras détend légèrement les traits de son visage mais on sent bien qu'il est dans sa bulle, qu'il est encore en train de s'enfermer dans un silence solide, presque morbide. J'suis prévisible, faut croire. Qu'il murmure dans un léger sourire, pour essayer de lui montrer qu'il est pas hostile. Son regard se pose un instant autour d'eux, s'arrête sur un type qui titube à quelques mètres d'eux avant de revenir vers elle. Qu'est-ce qu'elle peut bien foutre là ? Il aimerait parfois lui demander, lui dire 'prends tes valises, tes gosses et dégage d'ici, ta place est ailleurs que dans ce merdier' mais cela reviendrait à l'éloigner de lui. Ethel, c'est la première femme à qui il a dit je t'aime au détour d'une soirée arrosée et ce sera certainement la dernière. Parce qu'il est pas de ce genre là, Nolan, qu'il faut lui ouvrir les tripes pour savoir ce qu'il a sur le cœur. Alors, comment vont tes deux crapules ? Y doit leur tarder les grandes vacances. Parce qu'il était comme ça, lui, à attendre plus que jamais les longs mois d'été passés à la ferme. C'est fou ce que Nolan peut les aimer ces gosses là même si ce ne sont pas les siens. Il a toujours des étoiles dans les yeux quand il les voit. Parfois, ça lui donnerait envie d'être père à son tour avant de se souvenir de tous ses travers à lui. De toutes ces histoires sombres qui l'accompagnent. Tu peux pas éduquer un môme si t'es fait de folies. Ben dis donc tu t'es fait sacrément belle c'soir. On fête quelque chose de spécial ? Qu'il demande même si Ethel a toujours été très soignée contrairement à lui, moins classe que les clochards du coin.

« Je comptais bien là-dessus » Lâches-tu avec un sourire taquin à son encore, alors qu’il parle d’être prévisible. Bien sur que s’il n’était pas passé par ici ce soir, tu aurais surement cheminé jusqu’à la ferme pour le voir un peu. L’envie de passer un peu de temps avec celui que tu considères comme ton meilleur ami. Un de tes principaux alliés dans cette petite ville. Si bien que ses parents, comme pas mal de gens ici, vous voyez déjà marié, heureux, avec un couple bien à vous. Par moment tu y as songé, avant tout ça, avant ton mariage. Mais il t’a poussé à choisir Chris, ton époux actuel et sa stabilité, plutôt qu’à t’embarquer dans quelque chose de plus incertain. Pourtant, ton expérience de vie t’a bien fait comprendre que les relations incertaines et compliquées, c’est bel et bien ce qui te retourne les entrailles et te donne des frissons. Ce qui te donne l’impression de vivre. La satisfaction matérielle et confortable actuelle est parfois bien trop plate pour que tu es cette sensation de vivre pleinement. Mais tu ne préfères pas t’en plaindre outre mesure. Tu sais que beaucoup aimeraient être à ta place, alors qui es-tu pour dire que souvent, tu n’es pas heureuse ? Que tu aimerais reprendre des études, travailler, vivre de passion. Alors oui, pour chasser toutes ces pensées moroses, ce soir, tu as décidé de sortir, de te vider la tête avec le parrain de ton ainé et celui qui a une des places les plus importantes de ta vie.

Tu expires une dernière bouffée de fumée avant de te débarrasser de ta cigarette dans le cendrier. Tu souris largement à ses paroles « Oh tu les connais, toujours en train de s’agiter, surtout Lucas, mon dieu il se donne à fond en football américain là, il faut absolument que tu viennes à son match la semaine prochaine, il a réclamé et je réclame moi aussi » Lâches-tu en souriant largement. Nolan fera un bon père un jour, impossible pour toi d’en douter lorsque tu le vois avec tes deux monstres. « Sinon oui, les grandes vacances ils sont tout excités, je ne sais pas encore ce qu’à prévu Chris, je pense qu’on va bouger un peu. Enfin je passerais à la ferme aussi avec eux, Gabriel a dit qu’il veut monter sur le tracteur avec toi » Nouveau sourire, définitivement, tes gamins adorent Nolan et lorsque tu les vois ensembles, ça te fait un petit quelque chose. Tu les vois tous si heureux que ça te remue les entrailles. Bien sur qu’ils aiment aussi Chris, qui leur fait office de père, vu que Bruce n’a jamais été là, mais avec Nolan, c’est une insouciance différente. Plus libératrice, moins conventionnelle. Plus légère, surtout et c’est une chose qui te plait beaucoup. Après tout, toute ton enfance, tu n’as jamais eu de moyens, tu as dû travailler jeune, tu as dû mettre de côté beaucoup de choses, te sacrifier mais les petites joies aussi simples que celles que vivent tes enfants avec Nolan, c’est exactement ce que tu as toujours connu. Ce que tu connais le mieux.

Il te complimente, Nolan, sur ta tenue que tu as pourtant cherché à simplifier. Tu baisses le regard vers ton apparence. « Ah ? Peut-être » Dis-tu en haussant les épaules, modestement. « Je t’avoue que pourtant j’ai essayé de faire simple, je n’allais pas sortir mes robes pour ce genre de coin » Nouveau sourire alors que déjà, tu lui prends le bras, glissant le tien dessous pour l’entraîner dans le bar et vous installer au comptoir, cote à cote. « Niveau truc à fêter je ne vois pas, peut être le fait que je suis contente de te voir ? » Tu lui adresses un petit clin d’œil avant de remercier le barman pour vos verres, lui tendant rapidement un billet que tu sors de ta poche pour payer la commande. « Enfin si je ne t’avais pas croisé ce soir je serai surement passé à la ferme, de toute façon il faut que je passe voir tes parents, ça fait un moment » Lâches-tu dans la plus grande simplicité. Tu t’es rapproché de la famille Williams, au point de t’y faire une place. Même si au demeurant c’est Nolan qui possède réellement ton amitié, tu as été accepté avec une grande facilité. La mère de Nolan te glissant plusieurs fois au passage qu’elle aurait beaucoup aimé t’avoir en belle-fille, même si la vie en a décidé autrement.

Prendre des nouvelles des garçons, c'est toujours ce que Nolan fait en premier, comme s'ils étaient de sa famille. Et quelque part, c'est un peu ça. Ethel, les mômes et Chris sont son échappatoire, son équilibre à lui. Le fermier apprécie ces quelques moments passés avec la famille et ne les échangerait pour rien au monde. Parfois, il s'est surpris à rêver de vouloir prendre cette place de mari, adopter les enfants et faire comme s'ils étaient les siens, aimer Ethel comme personne n'a encore jamais vraiment su le faire, même pas Bruce. Avec son amie, Nolan n'a jamais su être réellement égoïste comme il peut l'être avec Olga aujourd'hui. Il a préféré la pousser vers une vie qui pourrait la protéger plutôt qu'une qui pourrait la blesser. Parce qu'il se connaît, qu'il n'est rien de plus qu'un sale mec à moitié alcoolique, incapable de supporter sa propre famille, tellement obsédé qu'il se tape la mère de son propre meilleur ami sans la moindre trace de remords. Sa vie n'est rien de plus qu'un véritable où Ethel n'a pas sa place en tant que compagne. Vous êtes certain d'vouloir que je vienne ? Je vais tellement gueuler pour l'encourager qu'il aura honte. Il s'marre parce qu'il se connaît pendant les matchs, qu'il est un véritable hystérique parfois. Dans une autre vie, Nolan devait être de ceux qui déclenchent des bagarres générales dans les tribunes. Bientôt, Gab pourra me remplacer aux champs. Ce s'rait quelque chose quand même, Ethel productrice de fermiers. Il aime bien la taquiner depuis qu'elle est avec Chris et qu'il la voit baigner dans le fric. C'est pas méchant, il en est pas jaloux, au contraire, mais il aime juste jouer sur ça. S'il avait été capable de lui offrir lui-même une vie à sa hauteur, certainement qu'il l'aurait fait, sans passer par un type qu'elle avait rencontré et vers qui le fermier l'avait poussé. C'est qu'il était un peu possessif à l'époque le Nolan, qu'il avait été le témoin du mariage en gardant un œil assez sévère sur le marié avant de finalement lui accorder sa confiance au fil des années.

Il la suit sans broncher dans le bar, s'asseyant à ses côtés, la laissant commander des verres et payer la première addition en se disant qu'il prendra en charge la seconde tournée -question de fierté-. Un sourire s'affiche sur le visage de Nolan lorsqu'elle lui propose de trinquer à sa joie de le retrouver ce soir. Sa main se pose instinctivement dans le dos d'Ethel qu'il caresse sans arrières pensées, juste comme ça, pour établir un contact réconfortant entre eux avant de rapporter sa main contre son verre. A nous alors. Qu'il balance, buvant ensuite une longue gorgée de son verre. Le goût de l'alcool lui rappelle combien il pourrait en boire des litres, combien il lui arrive de se démonter la tête tout seul chez lui en buvant du whisky comme si c'était de la grenadine. Ma mère commence à t'réclamer, c'est vrai. Elle avait un peu la tête ailleurs avec mon frère qui sort de taule mais tu la connais. La dernière fois elle m'a fait des gâteaux pour toi et les petits pour que j'te les ramène mais j't'avoue que j'ai pas eu le temps de passer alors j'l'ai ai bouffé moi-même. Il avoue sans aucune gêne sa grossière erreur, lâche même un rire à partir d'un moment. Ils étaient vachement bons. Il aime bien en rajouter une couche parce que c'est vrai, qu'il en a même partagé quelques uns avec Em pour marquer le coup. A l'heure actuelle, sa mère pense encore qu'Ethel et les enfants se sont régalés sur sa cuisine alors qu'ils n'en n'ont même pas vu le jour.

Mais allez, t'sais que toi et les enfants, vous êtes les bienvenues à la ferme. Même Chris, tu l'ramènes jamais mais ma mère s'rait contente de le rencontrer. Elle est toujours contente de voir un bel homme sur sa propriété. Nolan se doute bien que les moments passés à la ferme sans Chris sont pour Ethel un instant de liberté, loin de la pression du mariage et d'une vie passée à côté de ses pompes mais il propose quand même. Alors qu'il boit une nouvelle gorgée de son verre, le fermier prend un air un peu plus sérieux qu'il tourne vers son amie. Et toi, ça va ? Qu'il finit par demander en sachant qu'Ethel est l'une de ces filles complexes qui ne se sent pas bien dans sa vie. Ce doit être pour ça qu'il l'a aimé dés le premier instant, qu'il aurait voulu être à la hauteur pour pouvoir la sortir de ce cercle vicieux de désespoir dans laquelle on l'a balancé sans penser une seconde aux effets secondaires. Son amie est forte, il le sait, n'en a jamais douté mais il sait aussi combien son bonheur peut-être si fragile, si seulement on peut appeler ça du bonheur.
Nolan, lui, il s'en fout d'avoir les pieds dans le purin.
Mais Ethel, avec ses talons, elle est pas faite pour ça.
Il voudrait la voir heureuse, vraiment, un jour.