Les regrets l’étriquent, sa main droit glisse sur son bras gauche tandis que ses doigts s’enfoncent dans sa chair. Malaise. Pourquoi est-ce qu’il doit toujours faire des foutus mauvais choix ? Sa vie entière se retrouve remise en question au moment même où un de ses pieds se retrouve prisonnier de cet endroit. Il ne trouve pas un autre mot. Il est étouffé, toute liberté ôtée. Son regard noir déblai la salle. Quelques hommes à l’apparence basanée et peu agréable, pas que le contraire l’ait particulièrement intéressé, hein. De rares jeunes femmes, du moins c’est ainsi qu’elles lui apparaissent sous la lumière tamisées. Et Jules jure n’avoir jamais vu certaines femmes aussi grandes, il a l’impression d’être un enfant. Ou une brebis égarée. C’est surement le cas.

La faute aux coups de tête. A la curiosité malsaine qui sonnera sa mort. Il a le dos contre le comptoir, une manière comme une autre de couvrir ses arrières parce qu’on n’est jamais assez sûr. Et un verre de vodka-cassis posé négligemment à ses côtés. Il aurait certainement eu l’air plus crédible avec une bouteille de lait.

La faute à Tristan. Tristan qui n’est même pas là d’ailleurs mais qui ne cesse de hanter ses pensées.

Il soupire. Il a seulement envie de tourner les talons et son bras lui fait mal à force de le presser. Et il s’est apprêté à le faire, pourtant au premier pas ce sont deux masses qui se retrouvent face de lui. Deux hommes, trop grands, trop laids ; mais ce n’est pas comme si le contraire aurait changé quoi que ce soit évidemment. Qu’est-ce qu’ils lui veulent, putain.

Il entend les compliments lourds, les propositions peu décentes à aller boire avec eux ailleurs. Jules se sent acculé comme une proie. Il ne les regarde pas, ne leur répond pas. Peut-être que s’il fait comme s’ils n’existaient pas, ils partiraient.

Mais ça continue.

☆ ☆ ☆

vega de sa rouge parure qui surveille d'un oeil avisé les danseurs qui en cherchent d'autres à charmer. vega qui fait tourner un peu son verre entre ses doigts, qui écoute d'une oreille les conversations qu'on lui impose, propose, ce soir les cheveux bruns montés en un chignon exécuté d'une main minutieuse - de maître. vega qui pince sa lèvre inférieure, fait souffrir la couleur écarlate qui l'habite. la tête qui se hoche, l'attention ailleurs, victime de ses pensées un peu troublées - qui tanguent à cause de l'alcool accumulé. une heure du matin, peut-être deux, elle en sait trop rien. soupir qui s'échappe alors que son corps s'immisce derrière le bar, accordant un sourire à celui qui le gère avec d'autres, lui frôlant l'épaule d'une main aux ongles manucurés, le sourire du confiant qui cherche à motiver - à enjôler, à faire rester et pas poser les papiers de la démission dès le lendemain. le récapitulatif rapide qu'elle s'impose en dévisageant les bouteilles qu'il reste, fen qui reprend les commandes en faisant bien son travail - du patron ou de la patronne. puis un froncement de sourcils, arrêt brutal dans sa propre perdition alors que des propos lui crissent les tympans. vega qui se retourne, vega qui fixe la scène, un presque môme victime de propositions qui lui plaisent pas - ça se voit, ça se perçoit à la mine déconfite, au regard fuyant qu'il impose. envie de sauver, envie de se la jouer, envie de faire de ce lieu un endroit respectable - non pas un hôtel de passe bonne pour des putes au rabais. inspiration profonde, vega qui se rapproche, qui croise ses bras sur le bar, sur le bois, qui attire l'attention, vega un peu héroïne
(un peu égoïste aussi,
faudrait pas faire fuir un client)
les deux types, l'un baraqué, l'autre plus fluet, piètres habitués qui cachent à leurs femmes leurs infidélités - horreurs de la société. un rire qui vient faire vrombir sa gorge, ordre qu'elle intime assez fort pour qu'ils en rajoutent pas plus.
- allez partez, foutez-lui la paix. et ils savent, ils savent qui cause, ils savent que ce serait un retour complet pour le monde réel, loin du souterrain qui leur cause aucun pétrin. ils abandonnent, déplient le drapeau blanc alors que vega pose son verre presque vide, dévisage le martyr de la soirée. vingt ans qu'il doit avoir, à tout casser. elle jette une oeillade vers la consommation de l'autre, presque vidée.
- je te sers un verre ? offert par la maison, vue la tête que tu tires. vega qui rit, vega qui le fait plus franchement, croisant en son air dépité comme un élan de nostalgie déroutant, dérouté - fen qui jadis s'est retrouvé dans un coin plus paumé, qui, sans l'aide de virgie se serait fait gober. je t'ai jamais vue ici ? hm ? faut dire que... c'est rare que les ados passent cette porte. petite pique pour bien commencer, pour briser la glace qui est déjà en train de fondre. vega qui aime prendre les devants, connaître chaque esprit errant - celui-là en particulier,
un spectre abandonné -
(rongé)