click, click.

tessaly, elle a envie de mettre de l’ambiance dans liberty. avec son projecteur, avec sa boîte à magie remplie de vieux films et d’anciens dessins-animés, elle a eu une idée : une soirée entre voisins. un truc organisé par sa petite tête toute seule (sans l’aide de sasha, il est occupé…) qui consisterait simplement à offrir la place gratuitement et à proposer une donation au montant que la population souhaitera donner. un truc tout facile, tout gentil, sans essayer d’faire du profit.
alors elle a farfouillé dans sa boîte à malice pour ressortir le tout premier dessin-animé de walt disney : mickey mouse. la petite souris en noir et blanc qui se dandine en sifflotant, en chantonnant, un truc qui plaira autant aux parents qu’aux enfants.
alors ce soir, y’a foule. bon, c’est pas énorme mais le cinéma en plein-air a rarement du succès… et là, y’a une petite cinquantaine de convives. elle est aux anges, tessaly. elle a commencé à préparer du pop-corn (elle en fait pas souvent) et elle a acheté des boissons fraîches (pas énormément, elle a peu de budget) pour les proposer. y’en a qui sont venus en voiture mais ils sont peu… la plupart, ils sont venus juste avec leurs chaussures. y’a des chaises (peut-être trop peu ?) qui ont été préparées pour l’occasion. au pire, y’a la pelouse qui accusera les postérieurs venus l’écrabouiller.
c’est une jolie nuit ce soir, y’a pleins d’étoiles et la lune est haute, croissant appétissant venu éclairer le ciel de sa présence.
la soirée se déroule tranquillement, jusqu’à ce qu’elle remarque cet homme un peu excentré, la clope au bec. il a l’air d’avoir atteint la quarantaine ou à peine… il intrigue tessaly, qui s’approche lentement pour ne pas l’effrayer.
« bonsoir », elle ronronne.
elle se poste simplement à côté de lui, le regard tourné vers l’autre côté, celui où y’a pas d’écran.
« mickey ne vous plaît pas ? »
elle demande en souriant, rire à moitié étouffé.
« c’est vrai que vous avez l’air un peu vieux pour les dessins animés. sans méchanceté aucune. »
elle lâche avec tendresse, regard qui s’attarde quelques instants sur les pattes d’oie qui se dessinent aux coins de ses yeux.
« disons que vous avez passé l’âge des tresses. »
elle concède en pouffant de rire. c’est pas son cas à tessaly, elle voudra toujours des tresses, même quand elle sera vieille. mais les tresses bien faîtes, les tresses africaines, celles qui ont du swag. et puis tessaly, elle aimera toujours mickey… c’est la culture américaine, c’est la fascination pour une technologie qu’elle maîtrise pas.
« vous êtes venu seul ? »
elle peut pas s’empêcher de demander. tessaly, elle est pas intéressée, elle flirte même pas… elle est juste curieuse, l’imagine parfaitement en père de famille aimant… même si elle le connaît pas. mais tessaly, elle choisit toujours de voir le meilleur dans les gens, avant d’être déçue par leurs agissements.

Tu as beau ne pas être le type le plus sociable du coin, tu sais que pour ta gamine, t’es bien obligé de faire des efforts. T’as eu un peu peur, lorsque tu l’as mise à l’école du coin, de savoir si elle s’adapterait bien et surtout, si elle ne souffrirait pas de tes conditions de vie instables. Loin de l’enfant de cœur. Pourtant elle, contrairement à toi, elle aime les autres. Elle est rieuse, elle est heureuse, elle se satisfait de peu. Du peu que tu arrives à lui donner. Alors quand elle t’a parlé du cinéma en plein air, du dessin animé de Mickey et du fait que ses copines comptaient y aller, tu as été obligé de céder à ses grands yeux clairs. Tu as été obligé de céder à son sourire. Te rappelant de la promesse que tu lui as faite. Lui offrir enfin une vie normale et stable. Essayer, tout faire pour, parce que dieu sait que tu es surtout doué pour tout foirer, plus que tout réussir.
Vous arrivez enfin. Tu tiens la main d’Angie, observant nerveusement autour de toi. Tu t’efforces d’être serein, mais ta paranoïa maladive reprend le dessus. Mais tu n’as pas ton arme ce soir, simplement un couteau, juste au cas où, accrocher à ton mollet discrètement. Tu sors toujours armé. Toujours depuis que tu as essuyé plusieurs tentatives de meurtres dans ta précédente ville. Mais là tu dois te détendre, tu dois réussir à paraître tranquille, à paraître presque normal. Bien que pour toi, la normalité soit une définition très vague et un peu trop cliché. Angie désigne ses amies du doigt et vous vous approchez. Tu lâches enfin Angie et la laisse rejoindre ses amies alors que tu salut, un peu nerveusement, les mères de famille présentes. Celles qui te regardent avec envie, presque appétit, alors que d’autres te dédaignent comme si tu n’étais qu’un paria. De quoi te mettre suffisamment mal à l’aise, mais ici, tu es le seul père célibataire.

Tu t’installes, assis par terre sur un brin de couverture posée sur l’herbe que te proposes une des mères de familles. Tu la remercies avec un léger sourire, tâchant de faire bonne figure pour Angie même si tu n’as qu’une seule hâte, partir d’ici. Presque t’enfuir. Pourtant tu prends sur toi, légèrement agité. Tu observes autour de toi, surveille Angie du coin de l’œil. Tu ne peux pas fumer, tu ne peux pas boire, t’as les mains qui tremble d’un besoin viscéral de nicotine et d’évasion. Tu n’es pas très à l’aise, alors tu finis par te pencher vers ta voisine qui semble plus qu’heureuse de cette proximité, avant de lui demander de surveiller Angie, le temps que tu fumes une clope. Elle acquiesce et tu te lèves pour t’éloigner sortant presque avec soulagement ton paquet et calant une clope entre tes lèvres.
La première bouffée est un régal et tes tremblements se calment peu à peu. Tu t’abandonnes à la tranquillité de l’instant, seul dans ton coin, un peu éloigné, jusqu’à ce qu’une nana s’approche. Tu la détailles du regard, un brin méfiant, sauvage comme d’ordinaire, avant de finalement lui répondre poliment. « Bonsoir » Ton neutre, tu fais un effort. Elle se pose à côté de toi alors que tu continues de fumer ta clope. Ses réflexions t’arrachent un sourire en coin, amusé. « Oué c’est sur que j’ai passé l’âge d’puis un moment » Tu expires une nouvelle bouffée de fumée. « J’sais pas si t’essayes de savoir ça pour me draguer mais tu vas être déçu, j’suis v’nu avec ma gamine » Lâches-tu avec un sourire en coin et un air un peu plus déconneur. Parce que cette question t’a surprise et qu’au vu des expressions et curiosité des mères de famille que tu croises à l’école d’Angie, tu ne t’étonne plus de rien concernant cette petite ville. « M’enfin si t’es là tu dois pas être passionnée d’Mickey non plus, non ? » Petite question comme pour faire un brin de conversation. Toi d’ordinaire si sauvage. Mais elle a su te mettre à l’aise avec ces quelques boutades, alors tu es prêt à te laisser aller et à te détendre, avant de retourner à la gêne de la proximité de toutes ces mères de familles et de ces gosses, toi qui a juste l’impression de ne pas appartenir à ce monde.

cet homme, il a pas la gueule de tout le monde. il a le visage buriné par les années, la douleur qui palpite un peu dans ses yeux clairs assombris par ses sourcils, par sa tignasse. il a l’air gentil au fond, bien qu’un peu froid aux premiers abords. tessaly, elle a toujours eu un don certain pour sentir les gens, une intuition forte et profonde qui lui susurre quelques secrets sur les gens qu’elle croise (ou au moins, si ça va coller). elle aborde jamais les gens sans les avoir analysés avant.
« Bonsoir »
grosse voix virile qui répond. elle s’attendait pas à cette voix-là, elle est surprise. il est plutôt neutre alors qu’elle s’attendait à être envoyée sur les roses malgré ses tentatives d’humour. et tessaly qui balance un peu tout ce qu’elle a en tête pour tenter de le dérider…
parce que tessaly, ce soir, elle s’ennuie. elle pensait qu’elle pourrait regarder mickey comme les autres, que ça l’amuserait. ça aurait dû, en plus. mais ce soir, ça fonctionne pas vraiment.
« Oué c’est sur que j’ai passé l’âge d’puis un moment »
elle relève les sourcils, le jauge un peu.
« depuis longtemps ? »
qu’elle peut pas s’empêcher de demander. parce qu’elle est trop curieuse, tessaly… et que savoir son âge lui semble être la chose la plus importante en ce moment. pourtant, c’est complètement dérisoire.
« J’sais pas si t’essayes de savoir ça pour me draguer mais tu vas être déçu, j’suis v’nu avec ma gamine »
elle sent l’rouge qui lui monte aux joues. pourtant, y’a ses mirettes qui le fusillent du regard. elle a envie d’le frapper, parce qu’il a osé penser qu’elle voulait le draguer. mais zut ! c’est pas possible d’être gentille avec quelqu’un sans avoir d’arrière-pensées ?! et puis même qu’il pourrait presque être son père.
« t’as les fesses trop blanches pour moi. »
elle soupire, avec le minois d’adonis en tête. tessaly, elle a l’cœur qui bat pour un seul homme, et c’est sans doute pas cet inconnu. et puis ça la fait rire, tess, de sous-entendre qu’elle préfère les noirs. en vrai, tessaly, elle s’en fout : la couleur c’est pas important. c’est adonis qui importe.
« l’amabilité avec les clients, vous connaissez ? »
elle demande avec un sourire, à moitié agacé et surtout très amusé.
« et quand je parle de clients, je parle pas de clients… euh… dans mon lit. »
elle ajoute, un peu plus incertaine. tessaly, c’est le feu, mais cet homme il la déstabilise.
« ce cinéma en plein air m’appartient. »
elle dit encore. faut préciser, c’est important la précision. elle sait pas pourquoi mais c’est important à ses yeux qu’il la prenne pas pour une prostituée… pourtant, c’est qu’un inconnu : elle devrait s’en foutre royalement et le laisser dans son coin avec son bâton-cancer.
« elle a quel âge, ta gamine ? »
elle demande encore, se permet de le tutoyer. elle aime bien les enfants, tessaly. surtout qu’étant donné la beauté du papa, la poupée ne peut qu’être adorable… si elle n’a pas hérité du caractère.
« M’enfin si t’es là tu dois pas être passionnée d’Mickey non plus, non ? »
elle sourit, lui fait face.
« t’as déjà ta réponse. »
clin d’œil.
« tessaly jones, enchantée. »
elle se présente, tend la main. elle en a marre, tess, de l’appeler « l’inconnu » dans sa tête. c’est trop vague pour que ça puisse continuer à exister.