[memories]
Tout a commencé de manière si simple. Vous n'étiez qu'une famille normale, parfaitement dans la norme. Toi, arrivée un peu tardivement, il était déjà grand quand tu es née, mais c'est peut être là, la seule chose qui vous différenciez un peu des autres. Et puis, tout a basculé, des dettes qui s'amoncellent, des disputes toujours plus violentes entre vos parents. Vous étiez totalement impuissants, même lorsqu'ils sont arrivés dans votre vie. D'abord bienveillants, vous ne vous êtes doutés de rien, surtout pas toi, trop jeune encore, trop naïve. Mais lui, il a vite compris, trop vite. Alors, lorsqu'il s'est mis à son tour à hurler pour faire revenir vos parents à la raison, toi, tu ne faisais que couvrir tes oreilles avec tes mains. Et puis bientôt, tu n'entendais plus ses cris résonner à la maison, il n'avait plus le droit de venir. Ensuite, c'est à ton école, qu'on lui interdit d'aller, pour ne plus qu'il vienne te parler. Ils t'ont ordonné de ne plus lui répondre, de l'ignorer. Alors petit à petit, il a fini par disparaître de ta vie. Plus qu'un vague souvenir, une ombre qui parfois venait hanter tes nuits agitées. Pendant des années, tu ne sais pas ce qu'il a fait de sa vie, ce qu'il a vécu, puisqu'à tes yeux, il n'existait plus. Il aurait pu partir loin d'ici, tu l'aurais compris... mais à croire qu'il ne voulait pas perdre espoir, qu'un jour vous reveniez à la raison.
Et puis il y a six mois, vos parents sont décédés dans un accident de voiture. Alors il y a vu une opportunité, il n'a pas réfléchi, il a juste foncé. Sans toquer, il a défoncé la porte pour t'emmener avec lui, sans te laisser le choix, sans te demander ton avis. Depuis, tu vis avec lui, tentant de réapprendre à vous connaître. Lui essayant de faire de son mieux, toi, tentant d'être celle que tu t'imagines qu'il veut pour sœur. Il t'as même fait rejoindre l'équipe de roller derby dont il est le coach, pensant que ça t'aiderait à canaliser la colère qui t'habite. Il est juste à mille lieux de s'imaginer à quel point celle-ci te ronge.

Vous n'aviez pas grand chose en commun, si ce n'est le même sang que vous partagiez. Lui, tellement grand, déjà à sortir avec ses amis le soir, alors que tu apprenais à parler. Pourtant, tu te souviens parfaitement de lui à l'époque, déjà si haut, te te sentais en sécurité à ses cotés, même lorsqu'il te faisait aller trop haut sur ta balançoire. Alors quand tes parents t'ont interdit de lui parler, tu t'es exécutée, même si t'en crevais de voir la lueur de la trahison brûler dans ses yeux. Tu ne l'as jamais oublié, jamais vraiment, même si pendant un temps, tu pensais bien moins à lui.
Et puis quand tu as appris que tes parents étaient décédés, t'as rien compris, tout s'est passé bien trop vite. Il a défoncé la porte, t'as prise avec lui, tu t'es pas débattue sur le moment, trop abasourdie. C'est une fois chez lui que t'as compris, il t'avais enlevée, lui aussi. Tu lui en as voulu, de t'avoir enlevé tout ce que tu connaissais, effrayée face à son monde qui t'étais désormais totalement étranger. Alors t'as voulu retrouver ce que tu connaissais, t'as voulu fuir, mais il t'as pas laissés, il t'as pas lâchée, jusqu'à ce que tes envies fugueuses finissent par te passer. Six mois que tu vis à ses cotés, que tu partages sa vie. Vous vous connaissez plus vraiment, mais vous vous efforcez de faire en sorte que tout fonctionne. Lui, en jouant au grand frère parfait, qui ne te lâche pas une seconde. Toi, en jouant à celle que tu t'imagines qu'il veut voir lorsqu'il te regarde. Vous vous mentez mutuellement tous les jours, avec de bonnes intentions, mais qui dissimulent tellement de non-dit, de rancœur. Mais vos mensonges pourraient finir par vous coûter cher, vous coûter cette relation qui renaît à peine. Alors que vous ne faites que faire ce qui vous semble le mieux, avec toute la maladresse dont vous pouvez faire preuve.