Cette soirée est d’un ennui profond. Mon père trouvait intéressant pour mon image qu’on ne montre pas au public (et au paparazzi qui me flique en ville) que je suis atteint par les rumeurs et qu’effectivement, j’ai pris la grosse tête et que je ne me mélange pas au bas peuple. Très sincèrement, me bourrer à la piquette du supermarché ne m’enchante guère. Il est où le champagne ? La vodka importée d’une distillerie de luxe russe ? Non, c’est des chips et du vin âcre à souhait. Je mérite mieux. Je le sais mais pourtant, ça ne m’empêche pas de m’enfiler verre sur verre en espérant que l’ivresse me fasse oublier la misère de cette soirée. Et de ma vie. Armé d’une bouteille pleine que je subtilise, je cherche un endroit de tranquillité où aucune gonzesse ne bombera la poitrine pour un autographe en gémissant j’adoooore trop tes films. C’est une série, blondasse. A moins que tu parles des films coquins, cochonne ? Je me dirige vers l’escalier de secours qui mène tout droit vers le toit et monte les marches, déterminé et motivé à me retrouver seul. J’esquisse un sourire en constatant que je suis tout seul et bénis tout ce qui se trouve dans le ciel : seigneur, oiseaux, moucherons, étoiles, la liste est longue. En ricanant, je décide de mettre de la musique sur mon téléphone pour camoufler l’électro barbant et assourdissant qui est diffusé en bas. Avec mon humour bien connu, je lance le tube de Michael Jackson qui m’est désormais associé : Billie Jean. Je commence à fredonner en buvant à même ma bouteille de vin et en montant sur le parapet. « Billie Jean is not my daughter, she’s just a giiiiiirl pretending i’m the one », je commence à chanter à tue-tête avant que le grincement de la porte ne m’interrompe.

Je me tourne de trois quart vers le nouvel arrivant qui s’avère être une jeune femme, semblant légèrement plus jeune que moi. Elle titube et ne semble pas plus sobre que moi. J’ai envie de rire lorsqu’elle commente le choix de musique. Michael Jackson, c’est putain de classique depuis qu’il a passé l’arme à gauche et franchement, cette chanson m’insupporte. « Bon choix de mon cul », je rouspète en verrouillant mon téléphone, ce qui interrompt immédiatement la chanson. Cela laisse place au silence relatif de la nuit, percé par les boomers et les beats de la musique. Heureusement car le silence complet me fait peur, dernièrement. Il me rappelle mes bad trip, ma solitude, ce monde de vautour que j’aime mais qui ne cherche qu’à m’entuber. Il me rappelle combien ma vie à Liberty ne me plaît pas mais que mon père ne m’en laisse pas le choix malgré mes vingt-quatre ans. L’inconnue me propose une cigarette. Prudemment, je descends du parapet et m’empare d’une clope ainsi que d’un briquet. « Merci », je murmure après avoir allumé la cigarette et tiré une première latte. Je lui tends, en échange de bon procédé, ma bouteille de vin. « Jasper », je me tente à dire même si je suis (presque) persuadé qu’elle connait déjà mon prénom, comme la centaine de personnes en bas qui n’a pas cessé de me lancer des fleurs et de vouloir des selfies pour décoller de leur minable vie.