il entend les cimes des arbres grincer en se heurtant, maltraitées par un vent qui fait fi de tout. il les voit se pavaner, une fois à droite, une fois à gauche, leur danse envoutante qui se détache dans la nuit lui donne la nausée. ou peut-être n’est-ce que les effets d’une nuit d’excès. le jour s’est enfuit bien trop hâtivement. lorsque la nuit a engouffré liberty, elle a pris stig par surprise. une lune faussement doucereuse régnait dans le ciel, gonflée et pétillante, lorsqu’il s’est offert à ses pulsions.
ô qu’il a l’air d’un triste ivrogne quand il se soustrait de l’undressed. quand il se dérobe, aidé par un frère las, de cet enfer d’alcool et d’extase. il n’en a partagé qu’un seul vice. celui du doux liquide moelleux. c’est du miel qui coulait dans sa gorge, verre après verre. il s’est abîmé.
il titube maintenant. un sourire maladroit lui fend le visage, un éclat de rire s’échappe lorsque ses pieds s’entortillent et qu’il se cogne au mur laminé des hangars de la zone. stig trimarde sans grande dévotion, jusqu’à ce que beth se dessine quelques mètres devant lui. beth, qu’il crit. mais peut-être que ce n’est pas beth. peut-être que c’est babe. babe, qu’il essaie. il rit. tito ? non plus. la silhouette elle file et se faufile entre les rayons argentés de la lune et stig il peine à combler l’écart entre eux.
elle se retourne soudainement. et stig il voit son visage parfaitement dans le halo jaunâtre d’un réverbère fatigué. la femme est cruelle, tellement qu’elle est belle. elle est mystérieuse. ses yeux sont-ils bleus ou gris ? il marche sur un fil imaginaire en essayant de ne pas sombrer dans le vide. ses cheveux sont sauvages, ils volent et s’emmêlent dans le vent. il sent le désir qui monte en lui. elle est belle, elle est libre, elle est là. pourquoi pas, alors ?
vous êtes perdue. il le voit dans son regard. il y a comme une vapeur dans ses yeux, un voile mystérieux. elle ne lui répond pas. au-dessus des hangars les arbres sont farouches et grincent davantage. c’est un cri prémonitoire. le vent siffle ses mauvais auspices.
je niche pas loin. le réverbère se joue de lui. sa lumière se fait intermittente. scintillante. elle vacille plus d’une seconde et lorsqu’elle se déverse à nouveau la femme est partie en fumée. il la voit s’égarer plus loin. elle se défile. elle se confisque à lui. c’est un jeu.
stig il veut bien jouer. droit devant, il zigzague. ses joues fourmillent, une extrême légèreté s’empare de lui. c’est un ballon ivre, gonflé, qui se cogne en planant contre le monde qui l’entoure. la silhouette se retourne. stig il a compris. elle le tente. elle le séduit. c’est la sirène sur son rocher qui l’attire et l’attise. stig brûle d’un désir flamboyant. elle se joue de lui. l’alcool se joue de lui.
il la retrouve, assise sur le capot d’une voiture qui mange le trottoir défoncé. j’ai juste besoin de carburant. sa voix le désarçonne. sa voix le surprend et l’impressionne. sa voix est un hymne qui l’entoure de ses bras onctueux. il sourit. le destin leur sourit. je suis mécano. j’ai tout ce qu’il faut. elle se laisse convaincre. stig il s’est plongé dans son regard et il a levé un mystère. ses yeux sont verts. ils sont doux et ils sont verts et ils sont beaux, comme le reste.
il sent leur connexion, stig. elle est lui c’est captivant. désir, rêve, tout se mélange. il voit l’infini avec elle. une vague d’horreur, un vertige ténébreux, mais pourquoi pas, hein ? c’est le destin qui l’a posée devant lui. ils sont portés par le vent jusqu’à l’atelier. elle reste à l’entrée. stig il cherche un bidon vide. ça ne devrait pas être si compliqué à trouver.
tu as vu dans quel état tu es ? (c’est gentil à vous de m’aider) t’es pitoyable, t’es pas mieux que ton frère (je pensais ne jamais trouver de l’aide à cette heure).
stig il est pas sûr d’avoir bien entendu. il se retourne. il ressent des doigts pointus plonger dans sa chair. hein ?
t’es pitoyable, regarde toi (je vous disais merci). j’ai simplement bu un peu, rien de mal. il se retourne à nouveau et cherche à nouveau ce putain de bidon. à chaque fois qu’elle ouvre la bouche elle perd de sa magnificence. son aura se ternit.
t’es seul, t’es paumé, tu vis dans un taudis. ta vie est un taudis. les mots de la jeune femme se tordent et se mélangent et stig il se retourne encore. elle s’est avancée. elle est au milieu de l’atelier. il fronce les sourcils. il ne comprend rien. il veut l’aider. c’est tout. ses yeux ils ne sont pas verts. ils sont noirs. il les voit, maintenant. ils sont noirs comme ses mots.
stig il perd son attrait pour elle. sa tête tourne. ses sens se bouleversent. il virevolte, il déraille. il n’est pas sûr d’être là. il a l’impression d’évoluer dans un univers noir et brumeux.
ton frère il a réussi, lui. il brille quand toi tu es fade. regarde-toi, regarde le. tu ne vaux rien. tu n’es rien. (je veux pas vous embêter, je peux me débrouiller autrement). il voit de l’incompréhension dans ses yeux. elle l’attaque avec ses  mots acérés. elle n’a pas le droit d’avoir ce regard désorienté. c’est elle qui l’a déconcerté. c’est elle qui l’a fourvoyé.
mais va te faire foutre. ça lui échappe, mais stig il sent ses démons le tirer vers le sol. ils veulent l’abattre. ils veulent le faucher. sa vie, sa misère, ses choix. y'a une larme qui roule sur sa joue. tu n’es rien, tu n’es rien, tu n’es rien. tire-toi bordel.
et sa main tremblante s’empare d’une clef, noire de cambouis. elle lui tourne le dos, déjà, elle se retire, déjà. elle n’est pas réelle. elle n’est pas vraie. il s’avance et son bras s’abat. la clef s’enfonce. la silhouette s’effondre. le corps qui succombe, il est réel. l’alcool s’évapore et il agonise alors que la femme se fane. la peur fleurit en lui. c’est un rêve. ça ne peut être qu’un rêve. il se réveillera, trempé, en nage, demain, dans deux jours, dans son lit et il aura tout oublié. y'a une seconde larme qui roule dans le sillon de la première.
il tend le pied. il tâte. elle n’est plus.
mais son enveloppe est encore là, bien présente, et il entend alors le bruit de l’eau lorsqu’il plonge dans ce lac qu’il aime tant. le lac. ce sera son tombeau. elle s’y reposera.
stig il se faufile entre les arbres, sa peine et sa douleur sur l’épaule. le sifflement du vent l’accompagne, comme une moquerie.