[a lot on my mind]
quelques os cassés et une cicatrice au genoux gauche de cinq centimètres. olive, elle collectionne les petits accidents et les grandes frayeurs. points de suture et nuits blanches aux urgences. parents inquiets et larmes de crocodile sur les joues d'olive gamine, d'olive ado, d'olive adulte. briser le corps pour mieux le reconstruire. / quand elle était gamine, elle avait cette drôle d'obsession pour la neige, celle qui te fait sortir pieds nus à l'extérieur pour poser tes orteils dans ces drôles de nuages froids tombés du ciel. ça rendait la maman inquiète et elle courrait rattraper olive-en-pyjama qui ouvrait grand la bouche pour avaler les flocons. drôle d'enfant attirée par le beau. / parfois, elle a envie d'arrêter les couples dans les rues pour savoir ce que ça fait, être aimé. elle a envie d'savoir ce que ça fait au coeur, quand les doigts du copain glissent sur la peau d'la copine. elle a envie d'savoir ce que ça fait, les papillons qui s'envolent en tempête dans le ventre quand on entend des 'je t'aime', 'moi aussi', chuchotés à l'oreille. olive, elle a connu beaucoup de mains sous ses jupes, mais jamais l'amour qui te fait devenir poète. / olive et ses cheveux roses. si elle a commencé à les teindre de cette couleur, c'est qu'il manquait un peu de lumière dans sa vie. c'est qu'il fallait enlever toutes les couches de crasse noire sur son corps. c'est qu'elle devait trouver quelque chose, minime soit-il, pour dessiner un sourire sur son visage de porcelaine. depuis deux ans déjà, qu'elle fait tourner les têtes avec sa chevelure bonbon. / pour travailler, elle aime bien étendre de la poussière d'étoiles sur ses paupières. des centaines de brillants qui étincellent sous les néons vibrants du strip-club. comme elle n'a rien vraiment pour elle physiquement, elle essaie d'être un tant soit peu agréable à observer. / souvent, lorsqu'elle rentre chez elle après le travail, elle détache ses talons, fait tomber ses vêtements au sol et laisse son corps s'écrouler contre la moquette rose délavée de son appartement. couchée sur le dos, elle observe le plafond et essaie de trouver des raisons à ce vide intérieur qui ronge ses os tel un chien affamé. elle n'a pas encore trouvé la réponse. / olive dépense beaucoup d'argent dans les livres. elle a des piles de bouquins qui traînent sur le sol, sur son bureau, sur sa table de cuisine. des livres qui prennent la poussière. des livres qu'elle n'arrive jamais vraiment à terminer. elle dévore les premières pages, puis son esprit divague, s'élève si haut qu'elle doit refermer ce royaume. elle le met de côté, recommence à vivre et oublie son existence. il lui faut donc des mois, parfois, avant d'arriver à terminer un roman. / la gamine a toujours su qu'elle n'aurait pas un si bel avenir que ça. moyenne à l'école, sans véritable talent, elle a tout de même voulu tenter sa chance à l'université en littérature, mais elle n'arrivait à rien. là encore, elle avait des notes plus que discutables, elle avait des difficultés à se concentrer, puis elle a commencé à sécher les classes. elle n'a même pas tenu une année et elle a tout abandonné. ça lui a laissé un goût amer d'échec lamentable dans la bouche et ses parents n'ont pas aimé la nouvelle de son renvoi de l'établissement. / olive ne cuisine pas très bien et préfère commander du chinois (celui au coin de sa rue est excellent et il connait sa commande par coeur). si elle prenait le temps de s'exercer, de commencer par apprendre de petites recettes, alors là, peut-être se trouverait-elle un talent caché. pour l'instant, elle préfère prendre le téléphone et appeler pour faire livrer. c'est moins compliqué. / elle sait écrire de la main gauche et de la main droite. ambidextre, c'est probablement un de ses seuls talents réels à ce jour. elle écrit toutefois mieux de la gauche, mais sa main est toujours tachée par l'encre des crayons qu'elle utilise pour inscrire tous les mots qu'elle a à livrer. / dans ses oreilles, des écouteurs. pour dormir, pour marcher dans les rues, pour manger au restaurant, pour courir dans le parc, pour trimbaler dans les boutiques. elle a besoin de la musique. elle a besoin de beau pour distraire un peu son esprit brouillon. elle a besoin de ça pour passer au travers de ses journées, de ses nuits, de sa vie. / sa vie, elle boite un peu. sa vie, elle recule souvent au lieu d'avancer. sa vie, elle est un peu moche, un peu terne, un peu jours de pluie. pourtant, olive, c'est un soleil. c'est les étoiles et puis la lune qui brillent si fort dans le ciel, qui guident les âmes perdues. olive, elle te tend la main pour te relever et te tire pour que toi, tu avances. mais olive, elle fou quoi pour elle ? elle sait pas. elle sait pas quoi faire. / pour se faire sourire, elle traîne un milliard de porte-clés à son trousseau. elle arrose ses plantes toutes les semaines, même si la plupart finissent par mourir de toute façon. elle sort sur le toit de l'immeuble où elle habite pour laisser les rayons de l'astre solaire embrasser sa peau. elle accroche des marguerites à son rétroviseur qui finissent par sécher et enjoliver sa voiture. elle essaie fort, de voir la vie en rose. / à dire vrai, olive, elle est un peu partie sur un coup de tête. elle y a pensé longtemps, à tout fuir, à tout foutre en l'air pour repartir à zéro dans cette ville qui l'a vu grandir. elle est partie comme une lâche au milieu de la nuit, en laissant une lettre à ses parents. ''ne vous inquiétez-pas. mon coeur est un peu lourd et j'ai besoin de tout reconstruire, de tout rebâtir. ne vous inquiétez-pas. je retourne à la maison. la vraie. j'appellerai, c'est promis. je vous aime.'' elle a appelé. elle appelle encore pour leur parler. pour dire ''ça va, je suis encore vivante.''. pour prendre des nouvelles, pour entendre la vie de papa et maman (parce qu'ils ont tellement à dire et qu'olive, elle ne trouve pas les mots pour dire que parfois, elle a peur de vivre). / olive, cette olive. elle a peur de vivre, mais peur de mourir. elle voudrait aimer et être aimée, mais elle a peur de décevoir. elle voudrait se sentir pleine, mais elle est si habituée au vide, éternel ami. olive, faudrait que quelqu'un l'arrête et la regarde droit dans les yeux pour lui crier qu'ça va aller. qu'elle doit juste s'arrêter et retrouver son souffle. qu'elle doit pas se foutre autant de pression. faut que ce quelqu'un lui dise qu'elle est belle, avec ses yeux en amande, avec ses cheveux bonbons, avec ses cicatrices et son corps squelette. faut qu'elle comprenne qu'elle peut pas tout avoir, mais qu'elle peut traverser toutes les épreuves, parce que c'est une battante. olive, faut lui dire que sans elle, la terre tournerait un peu moins bien autour du soleil. qu'elle est importante. faut qu'elle apprenne à aimer tout son corps et puis son âme aussi. c'est primordial. olive, faut qu'elle oublie le vide, parce qu'il va disparaître un jour, c'est inévitable. olive, elle doit ne plus avoir peur. 

pourquoi t'es partie ? (je sais pas.)
il est arrivé un truc grave ? (non, rien du tout.)
alors pourquoi ? (je sais pas.)

je te jure que je sais pas. que je sais pas pourquoi j'ai pris ces sacs et que j'ai mis toutes mes choses à l'intérieur pour ensuite tout balancer dans cette vieille bagnole noire et sale. que je sais pas pourquoi j'ai quitté la maison sans rien dire, l'angoisse grandissante, les mots coincés dans la gorge, qui veulent sortir mais qui redescendraient au fond d'mon ventre, entre les tripes, cachés pour le reste de la vie. que j'sais pas pourquoi l'envie de revenir dans l'passé était plus forte que d'rester dans le présent avec les parents qui se demandent ce que leur fille va bien devenir (à force de rester dans ta chambre tu vas finir par y mourir). par-contre, si y'a une chose que je sais, c'est que l'air ici est différent de l'air là-bas. l'air est moins lourd, moins comprimé dans mes poumons. il se faufile mieux, même si il se heurte toujours au vide placé juste sous le plexus solaire (d'ailleurs, plexus, je suis heureuse qu'on t'appelle maintenant plexus cœliaque, parce que t'as rien d'un soleil et tes rayons ne réchauffent pas grand chose). je sais aussi que je trouve la moquette de mon appartement très confortable. elle est de la même couleur que ma tête et je peux même sentir ses bras invisibles me serrer fort fort fort quand je regarde le plafond, la peur au ventre. je sais que mes talons hauts me font mal aux pieds, qu'ils laissent des ampoules, mais au strip-club, les chaussures plates, c'est interdit parce qu'on n'a pas la tête assez haute dans les étoiles et qu'il faut vendre du rêve. je sais que l'alcool circule bien dans le sang et qu'avec les pilules magiques, ils créent des feux d'artifices dans l'imaginaire et des feux d'artifices dans le ventre (parfois ils y en a tellement qu'ils finissent par remonter dans la gorge et tomber en pluie acide dans les toilettes (ou sur le sol (ou dans une poubelle (ou sur la pelouse (ou dans un lit (et sur mes cheveux, et sur ma joue, et c'est vraiment amer dans la bouche, et ça n'me donne jamais vraiment envie de recommencer ensuite mais je le fais quand même)))))). enfin, je sais que tout garder à l'intérieur ça créer des monstres et les monstres dévorent la chair et l'âme et l'être et que je n'ai pas envie que ça m'arrive, mais je garde tout dans un coin caché dans mon ventre et ça créer une armée d'ombres noires qui lèchent tout mon en dedans et je n'sais pas si je vais m'en sortir vivante.

Spoiler: