[a lot on my mind]
Bonnie, c'est la fille chérie, l'innocence, la pureté à l'état brut: du point de vue de son père. Elle l'a toujours été, et le sera certainement à jamais. Mais le fait est, qu'elle ne mérite certainement pas le piédestal sur lequel son paternel l'a mise dès sa venue au monde. ; Elle est le fruit de l'amour, du vrai. Encore une fois, d'après son père. Et elle y croit, bien qu'elle n'ait pas beaucoup connu celle qui l'a mise au monde: Bonnie avait six ans quand celle-ci a succombé au cancer, maladie pourrie qui l'a emportée en un an et demi. Mais Bonnie veut y croire, au final. Elle veut croire que l'amour n'est pas que destruction, que coups et blessures. ; Elle aime lire, Bonnie. Depuis toute petite. Pourtant on ne dirait pas qu'elle est particulièrement littéraire, surtout avec la réputation qu'elle se traine depuis quelques années...Mais allez faire un tour chez elle, et voyez la collection impressionnante de bouquins soigneusement rangés ; Bonnie n'a pas beaucoup aimé dans sa vie. Hormis son père et son frère, bien sûr. Bien que cet amour là soit différent. Elle est sortie avec des garçons -pas avec autant qu'on le dit, mais à quoi bon se fatiguer à essayer de le hurler?-, mais n'en a aimé que deux: Son petit ami actuel. Et lui. Deux amours censés être similaires, mais pourtant totalement différents, diamétralement opposés. L'un représente son présent, la stabilité, la chaleur de deux bras qui la serrent et la rassurent. Elle ne sait pas si son amour est aussi réel que celui de son père envers sa mère, mais elle essaie de s'en persuader. Le second lui, représente son passé. C'était intense, fort et brûlant. C'était dangereux, étouffant et malsain. Maddox, elle l'a aimé autant qu'elle a pu. Elle l'a supporté le plus longtemps possible. Bonnie, elle a encaissé les coups, lui en rendant même parfois. ; Personne ne voyait Bonnie réussir dans la vie. Elle avait certainement trop merdé pendant son adolescence. D'ailleurs, elle a presque fini par y croire: après tout, elle n'a pas poursuivi ses études. Elle n'a pas vu grand, n'a pas écouté son père, ni son frère. Elle a certainement baissé les bras, pendant un instant: tout simplement parce qu'elle était trop brisée, en un sens. Puis un jour, elle est entrée dans cette boutique, chez ce fleuriste. Les odeurs l'ont envahi d'abord, et ce n'est qu'après que Bonnie a vu les couleurs, éclatantes et magnifiques. Bonnie est repartie une heure plus tard avec un bouquet. Et un boulot, en tant qu'apprentie. ; Bonnie a une sainte horreur de la violence. Gratuite ou non. Non pas qu'elle soit blanche comme neige, sachant vu les fréquentations qu'elle avait par le passé...Mais le fait est qu'elle ne supporte pas ça. C'est quelque chose d'incontrôlable, d'insupportable. D'inhumain, presque. Le danger qu'apporte la violence l'a grisée, l'espace d'un instant. Mais elle lui a aussi également apporté la peur, ainsi qu'un cœur plus que meurtri. ; A l'âge de vingt ans, Bonnie a adopté un chien. Il avait été abandonné par ses anciens propriétaires et laissé au bord d'une route. Elle a croisé son regard seulement une seconde avant de dire "c'est lui que je veux". Peu importe que sa gueule énorme et son corps lourd fasse légèrement flipper. Pourtant, on lui a conseillé de laisser tomber. Il prend trop de place, il a vécu trop de choses. Il sera difficile à dresser. Bonnie a insisté, et elle a gagné. ; Aujourd'hui, sa vie est devenue pire que banale. Ses journées se résument à se lever, se préparer, embrasser son petit ami, à bosser et à rentrer. Métro, boulot, dodo comme on dit. Plus jeune, elle fuyait ce genre de routine comme la peste, préférant cent fois s'amuser, profiter et vivre tout simplement. Jamais elle n'aurait cru à l'âge de seize ans, s'habituer aux habitudes elles-mêmes. Et a aller jusqu'à apprécier ça. ; Bonnie, elle est sportive. Elle bouge énormément, puisqu'elle n'a pas vraiment l'occasion de se dépenser beaucoup physiquement à la boutique. Alors elle cours plusieurs fois par semaines dans le quartier où elle vit, avec son chien à ses côtés: au cas où. Avant de s'être mise en couple il y a deux ans, Bonnie a également pris des cours de self défense durant quelques mois. Là encore: juste au cas où. ; Elle jure comme un charretier, parfois. Assez souvent. Surtout quand elle est en colère, et beaucoup sont surpris. Qui pourrait croire que ce joli brin de fille, fluette au regard lagon empli d'innocence, puisse prononcer des insanités. Ça, c'est à cause de son frère aîné, qui lui a quasiment tout appris quand ils étaient gosses. Elle s'en est reçu, des claques derrière la tête par son père après avoir prononcé un joli "merde" ou un "putain", étant plus jeune. Mais ça ne lui a jamais passé, malheureusement. ; Quand Bonnie chante, on dirait qu'un chat est en train de se faire écraser la queue. Oui, elle chante vraiment très faux, et s'en amuse parfois en poussant la chansonnette juste dans le but de gêner ses proches. Par contre, elle possède un réel talent pour le dessin. Talent trop peu exploité en ce moment, il faut l'avouer. ; Bonnie a envie de se faire tatouer depuis quelques temps. Mais elle n'a pas encore de certitude quant à ce fameux tatouage. Elle a vécu beaucoup de choses qu'elle ne veut pas oublier, mais ne sait pas encore si elle est prête à les graver à même sa peau. A jamais. Ses souvenirs sont encore après tout, déjà bien vivants dans sa mémoire. ; Bonnie est heureuse. Autant qu'elle peut l'être, en fait. Elle profite de ce qu'elle a, tous les jours. Elle sourit beaucoup plus, a pensé ses plaies, les a vues cicatriser et presque disparaitre. Elle est différente. Se sent changée, et améliorée. Oui, elle ne sait pas vraiment comment l'expliquer, mais sa vie a changée en bien. En mieux.

   
Bonnie entend Jude s'affairer dans la cuisine. Il est rentré tôt ce soir, ce qui n'arrive pas si souvent ces derniers temps: celui-ci a énormément de boulot au cabinet où il bosse en tant qu'avocat. Il est le plus jeune, le novice qui doit s'occuper des dossiers dont personne ne veut mais il a l'air heureux de son sort, répétant inlassablement que bientôt les choses changeront. Qu'il prendra du galon et qu'il passera certainement avocat principal, puis pourquoi pas associé d'ici quelques années. C'est tout le mal que Bonnie lui souhaite, mais il faut avouer qu'il lui a manqué. Installée sur le canapé dans le salon, elle regarde la télé sans réellement la voir: écouter Jude manipuler casserole et vaisselle l'accapare sans qu'elle ne le veuille, sans qu'elle ne puisse l'en empêcher. Mais c'est pas grave elle adore ça. C'est tellement simple. Tellement normal. Tellement eux. Meiko est affalé près d'elle, sa tête posée sur les genoux de Bonnie. Il ronfle, et ça la fait sourire alors qu'elle caresse doucement son flanc aux poils ras. Il ne la quitte jamais, même pas quand elle travaille: à la boutique, les gens se sont habitués à le voir tourner, bien qu'il reste le plus souvent allongé derrière le comptoir. Bonnie soupire et penche sa tête en arrière, les yeux clos et l'esprit léger. Serein. Il faut absolument qu'elle appelle son père pour avoir des nouvelles, et qu'elle passe voir son frère: Bonnie se sent coupable de ne pas le faire assez souvent. Bien que leurs relations n'aient pas été au beau fixe il y a quelques années, tout va pour le mieux depuis quelques temps. Depuis qu'elle a changé de vie, qu'elle s'est rangée. Depuis qu'elle se cache derrière cette routine, qu'elle s'est elle-même instaurée. Ça n'a pas été simple ou facile. Au contraire. Mais quand Bonnie y réfléchit, elle a l'impression que rien a été simple depuis qu'elle a soufflé ses treize bougies. Elle était jeune. Trop jeune. Et certainement trop idiote. Mais l'amour, ça se commande pas. L'attirance non plus, forcément. Et en bonne adolescente qu'elle était, Bonnie était attirée par la nouveauté comme un aimant. Maddox était cette nouveauté. Il était beau, plus âgé et surtout, il était dangereux. Peut-être pas pour elle, mais en général. Et puis il dégageait quelque chose: Quelque chose que Bonnie a vu en lui, et qu'elle a tout de suite aimé, malgré son jeune âge. Après, le fait que son père le détestait et interdisait à Bonnie de le fréquenter...Là c'était le cerise sur le gâteau. L'adolescence sert à tester ses propres limites, mais aussi celles de ses parents. Maddox était celle de son père et Bonnie prenait plaisir à la franchir. Timidement d'abord. Plus franchement après avoir pris de l'âge. Le fait que Maddox ait été arrêté et enfermé durant quatre ans à cause de son père n'a pas freiné Bonnie. Au contraire. Elle l'a certainement aimé encore plus, allez savoir pourquoi. Et elle a attendu sa sortie, avec une certaine impatience. La jeunesse ou l'amour. Ou les deux. A ce moment là, Bonnie avait dix sept ans. L'amour était fort, violent. Réel, à ses yeux et plus puissant que les poings de Maddox s'abattant parfois sur elle. Aujourd'hui si on lui posait la question, elle ne saurait pas comment qualifier ce qu'ils ont vécu, ou même leur relation. C'était si fort. Il n'y avait pas que des mauvais côtés, sinon elle n'aurait certainement pas envisagé de rester aussi longtemps. Elle n'en aurait pas non plus eu la force. Mais le fait est que Bonnie a aimé Maddox, plus qu'elle n'a jamais aimé personne. Parce qu'il n'a pas que des défaut, et qu'il y a eu des bons moments. Des moments où il l'a faite rire, où il lui a souri. Mais à côté de cela, il y avait la violence. Les tromperies. Et que ça l'a presque détruite. Elle a essayé de le comprendre, pendant longtemps. De le soutenir, de lui prouver qu'elle était sérieuse, que ses sentiments étaient tout sauf du vent. Sauf que ça n'a pas suffi. Alors Bonnie a baissé les bras la première. Elle la quitté une énième fois, mais pour de bon. Une ordonnance restrictive en poche, Bonnie continuait tout de même à surveiller ses arrières, à se retourner dans la rue de peur de le voir débarquer soudainement. Pour lui parler. Pour l'embrasser. Pour la blesser. Peu importe. Bonnie en avait assez bavé. Puis elle a appris quelques temps après, qu'il avait été arrêté à nouveau et qu'il repassait par la case prison. Pour treize ans cette fois. Si elle pensait que son coeur allait en saigner, Bonnie n'est finalement sentie soulagée. Et elle a arrêté de se retourner dans la rue. Elle a arrêter de redouter les coups de fil. Les visites. Un jour, Bonnie s'est même réveillée et s'est surprise d'avoir passé toute la journée d'avant sans penser à lui. Sans en avoir rêvé la nuit. Sans avoir cherché à se demander ce qu'il faisait, où est-ce qu'il pouvait bien se trouver. Et Bonnie a souri, ce jour là, seule dans son lit. Un sourire à la fois triste et heureux. Un sourire d'adieu à Maddox, et à leur relation chaotique. "Tout va bien?" Bonnie ouvre les yeux. Sa tête encore penchée en arrière et posée contre le dossier du canapé, elle voit Jude à l'envers, ce qui la fait pouffer de rire. "Oui. Toi?" Il hoche la tête et vient s'installer près d'elle, passant son bras autour des épaules de Bonnie. "A quoi est-ce que tu pensais?", lui demande-t-il avant de se pencher pour l'embrasser sur la tempe. Elle soupire et se blottit contre lui. Il représente la sécurité, pour elle. La stabilité. Tout ce dont elle a besoin. "A rien de particulier...A un vieil ami que j'avais oublié."