il paraît que j'ai tout : je suis jeune, beau, riche ;
des populations entières doivent rêver d'être moi.
à ça près.
je suis jeune, beau, riche, et lucide.
et ça, c'est le détail qui fout tout en l'air.

je suis née princesse, et je mourrai princesse. une cuiller en argent dans la bouche, des dior aux pieds, des ongles parfaits, un regard de braise et des crocs acérés. la tête sur les épaules. certes, on finira tous par crever. moi, c'que j'aimerais, c'est ne pas partir à cause des conneries de papa, ou de césar. moi, c'que j'aimerais, c'est ne pas partir avant camille, ni après, mais en même temps que lui, comme on est nés.

désillusionnée avant l'âge, je dégueule sur la facilité des sentiments.

maman princesse douce, papa prince machiavélique. les opposés s'attirent. j'imagine. ils se complètent, peut-être. sûrement que maman est heureuse comme ça, depuis des années. je suppose. moi, à ce stade-là, je n'y peux, de toute façon, plus rien. maman est grande, elle n'a qu'à se barrer si elle le veut. elle ne le fera jamais. pourquoi? pour les apparences. tout est trop beau, trop parfait, chez les de clerq, pour voir apparaître un divorce. non, ça, jamais.
moi, à ce stade-là, tout ce que je vois, c'est que je ne supporte plus papa et ses magouilles, peu importe à quel point il a pu remplir mon compte en banque. ce que je vois, c'est que je ne supporte plus césar, non plus. ce soit-disant grand frère. faux-frère. pantin de papa, qui le mène à la baguette, petit chien bien dressé. ces salauds qui osent faire tout ce mal aux milton. ces salauds qui ont failli faire voler en éclats mon amitié avec alma. alma et clara, le truc qui, coûte que coûte, résistera.
andrew? on évitera d'évoquer le sujet.
c'est beaucoup trop facile de se trouver un homme, de se marier, de l'écouter, de lui obéir, de le chérir, de le suivre dans toutes ses idées peu importe à quel point elles sont connes. c'est trop facile, de se dire amoureuse, d'avouer des sentiments. c'est faible.
moi, je n'ai besoin de personne pour avancer. personne. si je suis censée épouser un beau, jeune, et riche homme, pour rendre papa et maman fiers, je n'en ferais rien. alors quoi, parce que je suis la seule fille, je ne sus bonne qu'à ça? me trouver un bon mari, lui donner des enfants, et basta? allez tous vous faire foutre.
j'ai trop la tête sur les épaules pour ces conneries.
j'ai trop à m'occuper avec camille et ses conneries.

je suis un pur produit de la think pink generation,
mon credo : sois belle et consomme.

repas de famille. toute l'assemblée de clerq réunie. papa, maman, césar, sa future-femme alma, camille, et moi. dîner de cons, rempli à coups de bienséance et d'hypocrisie établies à un niveau expert. alma et moi qui nous échangeons des regards, assises l'une en face de l'autre, désespérées au point de vouloir s'échapper ensemble en riant. césar qui tient la main d'alma, assis à ses côtés, qui fait semblant d'en avoir quelque chose à foutre d'elle alors qu'il n'en est rien. camille, assis à mes côtés, qui se retient probablement pour ne pas faire exploser son coeur en miettes, qui a déjà été réparé maintes et maintes fois à la glu, toujours en vain, et qui menace de céder chaque fois qu'alma est là.
que le bal des conneries commence.
business is business, mais on n'en parlera pas à table. on n'en parlera certainement pas devant les femmes. moi, j'essaie toujours de savoir. pas parce que ça m'intéresse, loin de là, juste par principe. parce qu'on est des femmes, on ne doit pas y être mêlées? je m'y oppose. mais à chaque fois, je me fais gentiment et poliment, avec un beau sourire, remettre à ma place.
oui maman, pardon papa, excusez-moi, je n'ouvrirais plus ma bouche. je vais reprendre du homard, plutôt, pour bien pouvoir fermer ma gueule. sans sauce. je ne voudrais surtout pas risquer de tâcher mes jolis vêtements ou de ruiner mon rouge à lèvres. certainement pas.