(Le chérubin électrique) – Saul, enfant désiré, séraphin prodige, choyé. Garçon entêté. Il avait les yeux couleur de malice quand il répondait, de haut de sa taille d’ado, à ses professeurs méprisés, impertinence couplée de charme, ravage des lèvres, un sourire égaré, rêveur. Saul, c’était l’enfant des songes, un peu ailleurs, lucide aussi. Un éphèbe séducteur, un don juan des mots. Il jouait la vie comme il jouait du piano, passionné par les rythmes, les phrases, les esquisses, chaque soir, il interprétait un conte, un mythe, exercice d’harmonie pour chasser l’angoisse de l’existence, du non-sens, absurdité aux entrailles découpées dans le vif. Saul, depuis l’âge de quinze ans, peint, chante, écrit. Artiste dérangé, connu pour son impiété, son irrévérence.

(Le palais de glace) – Il s’accouple à la froideur mortuaire d’une apparence. Le monde agresse l’homme, l’homme se terre dans un linceul de courage glacé, seuls ses pupilles de rivières lancent des regards désespérés. Parce que Saul c’est la douceur dans des gants de cuir pouvant frapper de ses phalanges alanguies, pouvant s’obséder pour des amours navires, éphémère cruauté. Alors il rit, un humour grinçant, hargneux que seuls quelques rares amis possédés acceptent. Quand il permet de parler aux autres, c’est souvent la fuite qu’il enchaîne, qu’il manipule. Il ne cherche pas à se faire aimer, jamais. Lui c’est l’ironie dans la gueule tant pis pour les dommages.

(Le festin nu) – Il se rêvait bandit de bas étage, voleur des temples de luxe. Il dégaine ses armes, les Arts, touche à tout, curieux Saul. Personne ne gagne sur la table de chevet, un modèle de liberté. Mais il a peur justement de cette liberté, de cette déflagration, de ce vide, autour, tout autour de lui, puissant, mesquin. Un néant clair-obscur qui l’assomme de son poids d’Ouranos, les cieux n’ouvrent pas leur porte d’Eden, il est charrié sur le trottoir côtoyant démons et putains de Babylone, l’aiguille et la dentelle. Le fluide parcourt les veines desséchées, arides d’un espoir spectral, il n’y croit plus à la vie.

(Le voleur de livres) – Saul, testeur des limites. L’homme créatif, pierre de principes, la Grèce se distille, culture des athlètes dans les poumons, c’est Dyonisius sa némésis, son double antonyme qui sommeille, muselé par Appolon la raison, le soleil. Mais, parfois, quand la drogue remplit le calice du corps dressé, quand le délire fuse dans l’âme, quand la folie pénètre, il organise orgie, bacchanale ; couronnes de laurier sur ses cheveux de corbeau, l’œil grimace des assassinats jamais exécutés. C’est le théâtre, la tragédie du double, la catharsis des flammes enfiévrées, des névroses surdouées. Saul a bâti une salle immense dans sa villa de riche, un théâtre antique se transformant en tombeau, en temple des chaires.

(La petite reine) – Elle était de celle des Lolitas perdues dans les rues galvaudées d’un pays désenchanté. La poésie des courbes, ses reins recouverts d’une soierie déchirée, usée, gamine aux larmes de sel, des joues pâles de celles qui ont vu, qui ont gouté à l’enfer. Elle trainait ses pieds striés de blessures, ses bras dénudés et des mains blanches, innocentes. Ô, elle avait des agates voyageuses, une voix murmure, un peu rauque. Paralysé. Saul pétrifié. Vision des anges chantant, hurlant le désir. Si pure dans sa robe délavée. Quel âge as-tu ? C’est cinquante pour une pipe dit-elle. Il hésite. C’est une gosse échouée dans un univers défragmenté, déstructuré. Quel âge as-tu ? J’en ai pas qu’elle répond, les yeux au sol, les doigts sanglants de l’angoisse perpétuelle.