La nuit, la ville est plus belle. Elle est plus agréable, aussi.
Les gens ne se pressent pas pour aller travailler, ils prennent tout le temps qu’ils veulent, ils traînent avec leurs amis, avec leurs familles ou seuls. Tant que la lumière éclaire encore les rues et que la devanture des bars et des restaurants ne sont pas éteintes, personne ne s’inquiète de l’obscurité qui règne partout autour d’eux. Ils rient, s’étreignent et partagent, sans se soucier des drames passés ni de l’ambiance oppressante. Ils ignorent tous les patrouilles de police qui attendent l’heure fatidique pour commencer leurs contrôles. Et au milieu de ces gens, il y a Mahala qui erre sans but précis. Elle avance le dos courbé à cause du poids des pensées qui occupent l’espace entre ses tempes. Elles se sont imposées sans qu’elle l’ait décidé ; ça lui arrive régulièrement ces temps-ci. Elle aurait pu fouiller les poches intérieures de sa veste pour y trouver l’herbe séchée, se rouler un joint et s’assommer l’esprit, mais il y a des soirs où il est préférable de s’affronter. Elle traîne des pieds, use encore plus ses chaussures. Parfois, elle relève la tête pour fixer des étoiles qu’on ne peut pas voir en ville ou pour regarder des deux côtés de la route avant de traverser. Elle ignore le téléphone qui vibre dans sa poche. Elle oublie qu’on l’attendait pour dîner. En quittant le salon de beauté, Mahala a décidé de faire un petit tour.  
Et elle marche encore.
Elle marche toujours un peu plus loin.
Ça lui est venu comme ça, d’un coup, après avoir descendu le rideau de fer ; elle croit qu’elle en avait envie. Ou besoin.

Quand elle retrouve les rues qu’elle connait le mieux, Mahala se laisse tomber, le cul contre le béton d’un escalier qui mène aux portes d’un immeuble en mauvais état. Elle tire une clope de son paquet et son cahier de son sac. La mine hésite sur le papier avant de gribouiller des lignes qu’elle finit par raturer. Des cendres virevoltent dans les airs avant de retomber sur sa feuille, elle souffle dessus avant de relever les yeux et de le voir. Il a l’air de ne plus savoir d’où il vient, ni où il va. Ca l’interpelle, Mahala, alors elle lance : « Tu cherches quelque chose ? ». Le type passe comme s’il n’avait rien entendu, comme s’il ne l’avait pas vu, là, assise sur l'escalier, sous le réverbère qui crache sa lumière jaunâtre. Pourtant, sur ce morceau de trottoir, il n’y a qu’eux. Même pas le moteur d’une voiture pour couvrir le son de sa voix. Mahala est vexée qu’on puisse l’ignorer d’une manière aussi flagrante. Pourtant, elle insiste.
« Est-ce que ça va ? »
Il lui faut une réponse.

djibril marche dans les rues de liberty, son lourd sac à dos sur les épaules. ce n'était pas prévu dans son programme, de sortir de chez lui pour aller chercher à manger pour ce soir. ce n'était pas prévu mais djibril, il s'est dit que ça ferait plaisir à cass alors ça s'est ajouté à son petit agenda. sauf que. sauf qu'il est tard et qu'il n'est toujours pas rentré. ça non plus, ce n'était pas prévu. il pensait être revenu chez eux avant la tombée de la nuit mais djibril, il est comme ça, il traîne. il traîne toujours et il sait que cass n'aime pas - il ne peut juste pas s'en empêcher. bien sûr, il l'appelle, inquiet et un chouïa énervé. le marocain s'excuse, encore, encore, et encore. à croire que le dîner romantique, ce ne sera pas pour ce soir. dans tous les cas, il arrivera à se faire pardonner - comme à chaque fois. il marche plus vite maintenant, à la recherche d'un bus qui pourrait le ramener à old town liberty. et au fond, il a envie de pleurer. il a envie de pleurer parce qu'il fait souffrir cass, toujours un peu plus à chaque fois. ce n'est jamais son attention mais il faut croire qu'il n'est bon qu'à ça.
sur son chemin, il croise plusieurs personnes, certaines plus nettes que d'autres. il les voit, djibril. il voit les âmes perdues, les vendeurs de magie et son cœur se met à battre plus rapidement dans son poitrine. il a peur. il a envie. il y a tout qui se mélange à la fois. ses doigts se referment sur les lanières de son sac, serrent jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches. ses pas se font plus rapides et rapidement, il est seul, toujours paniqué. il est seul, ou presque. une silhouette se dessine devant ses yeux et cette fois, il sent sa respiration se couper. merde. – tu cherches quelque chose ? et là, ce n'est plus de la panique, c'est pire que ça. il continue son chemin, fait mine de n'avoir rien entendu. il ne faut pas qu'il s'arrête. non, il ne faut surtout pas. est-ce que ça va ? que la voix redemande. qu'est-ce que ça peut lui faire, à cette nana ? sa question, elle lui fait peur parce qu'on avait l'habitude de la lui poser avant de lui vendre de la came et il ne veut pas. il ne veut plus. maintenant, il a cass et il lui a fait une promesse. – laissez-moi tranquille, j'veux rien, qu'il lâche par dessus son épaule. non, il ne veut rien, djibril. rien. absolument rien.