T’as joué au con, la veille. À te battre avec Em’, à finir ivre à dormir dans ton ancien lit, chez tes parents, parce que de toute manière, tu n’étais pas en mesure de conduire. Finalement heureusement qu’il était là, pour te ramener et t’empêcher de finir au talus, comme le pauvre déchet de village que tu es, souvent. Trop souvent.
Tu n’as pas voulu rentrer avec la gueule cassée, bleutée, défoncée par les coups et les excès. Pourtant, le matin venu, trop tôt d’ailleurs, à cause des quelques poules et coq du jardin, tu t’es réveillé, presque en sursaut. Pas tellement de gueule de bois, tant ta carcasse est habituée à morfler, mais la gueule à l’envers. Les cheveux en bataille et la mine fatiguée. Pourtant tu as récupéré tes fringues, tu t’es habillé en vitesse et t’as récupéré ton pick-up, histoire de rentrer chez toi. Dans la petite maison pittoresque et pourtant parfaite, que tu partages avec la femme de ta vie. C’est comme ça que tu l’as qualifie, Blanche. T’as même pas pris le temps de prendre un café, ou de te passer un coup d’eau sur la tronche, pour avoir un peu plus de prestance. Tu sais qu’elle t’as vu sous ton meilleur, comme ton pire jour. Que tu lui as promis, juré, fidélité et amour, jusqu’à la fin, même si d’ici là, tu vas encore en faire, des conneries.

Tu profites simplement du temps de trajet pour te griller une clope, comme pour te remettre les idées en place et retracer, en tout cas en partie, ta soirée de la veille. Tu n’es pas sur de tout ce que tu as pu faire. De toutes les conneries que tu as pu enchaîner. Des phrases déroutantes que tu as pu lâcher à Emerson. Non franchement, tu ne veux même pas y penser, à tout ça. À toute cette soirée. Alors tu te concentres sur ta clope, sur la route, sur la musique que rapidement, tu fais pulser trop fort.
Contrairement à la demeure familiale, ici, tu rentres doucement, sans trop faire de vagues. Tu te débarrasses de ta veste en jean, tâché de quelques éclaboussures de sang, restant juste dans ton t-shirt sombre et probablement trop sale de tes excès de la veille. Tu renifles un coup, avant de te diriger à la cuisine pour préparer un peu de café. T’as juste besoin de ça. Un café brûlant, histoire de te réveiller et de te redonner un brin de charisme, avant que tu te pointes au boulot avec ta gueule cassée. Tu sais que ça ne va pas plaire, ça fait désordre, l’aide-soignant avec une dégaine de taulard. Mais c’est pourtant ce que tu as, ce que tu as été, un taulard qui n’a fait que tâter violemment du revers de la médaille. Mais tu n’es pas là pour refaire le monde.

Tu te diriges vers l’étage, doucement. Tu retires tes baskets à l’entrée de la chambre pour finalement pénétrer dans la pièce encore baignée d’obscurité. Seuls quelques faibles rayons du jour transpercent les rideaux de lin blanc, pour s’écraser dans un coin de la pièce. Elle dort, la créature de tes rêves, ange tombé du ciel. Tombé sur toi, comme pour te protéger et t’aimer. T’as souvent du mal à y croire d’ailleurs, mais ta vie, tu ne la vois plus en elle. Elle qui se dessine, dans sa chemise de nuit satinée, paisiblement endormie dans vos draps de coton qui sentent le propre. T’as un fin sourire sur les lèvres, alors que tu t’approches. Tu ne prends même pas la peine de virer tes fringues, de toute façon, tu n’as plus vraiment le temps de dormir. Alors tu te glisses jusqu’au lit, jusqu’à la couette que tu soulèves pour ensuite t’approcher d’elle. Te lover dans son dos et l’entourer d’un bras protecteur alors que tu déposes un baiser sur sa nuque, puis sur son épaule. Comme un réveil en douceur. Tu as beau être un sale con avec la plupart des gens, Blanche, t’en prend soin. À ta manière, souvent maladroite, mais faut croire que même les sales types peuvent avoir un bon côté. Bien caché, au milieu des déceptions et des conneries.

les enfants. les rires cristallins qui s’esclaffent dans sa caboche alors que morphée l’enlace encore un peu trop fort contre son torse. les sourires délicats qui fleurissent sur les minois poupins, petites mains à serrer dans des plus grandes. le repas du petit-déjeuner déjà prêt sur la table et blanche qui sourit, rit presque en voyant les petits diablotins blonds venir se perdre entre ses jupes alors qu’elle embrasse les fronts tendus.
ils sont beaux ces enfants. ils sont beaux ses enfants. blanche le sait alors qu’ils n’existent pourtant pas… ce sont les siens. elle a le cœur qui se tord un peu blanche en regardant leurs visages heureux qui la fixent, ces enfants qu’elle brûle d’avoir.
et elle se réveille avec le palpitant dégradé, les mécaniques un peu rouillées. elle tâtonne à côté d’elle dans le lit pour ne trouver que les draps froids. grimace qui fleurit sur le minois alors qu’elle se retourne, le cœur encore plus en vrac.

jude et blanche, ils n’arrivent pas à avoir d’enfants. est-ce jude le problème ? ou est-ce blanche ? y a-t-il seulement un problème ? et si jude ne l’aimait pas assez fort quand ils s’étreignent, lorsqu’ils se perdent à hurler à la lune leur amour ? et si jude passait trop de temps dans les bras d’autres femmes pour parvenir à l’enfanter elle ?
elle ne veut pas penser à ça blanche. y’a ses doigts qui se referment autour de son pendentif. « b&j »… pour la vie. c’est un cadeau qu’elle s’était offerte toute seule, une promesse implicite qu’elle avait montré à jude avec un enthousiasme exacerbé. et blanche, elle désespère de plus en plus de ne pas parvenir à obtenir une petite tête blonde qui serait le fruit de leur amour… alors elle s’évertue toujours plus dans son travail, fait des heures supplémentaires.
et y’a l’inquiétude qui la ronge en constatant l’absence de jude. blanche, elle l’aime à en crever. elle l’aime à se damner. le sommeil la titille encore trop alors ses prunelles se referment, se cachent derrière leur voile de chair.

la prochaine fois qu’elle se réveille, c’est grâce aux baisers un peu piquant de jude. elle reconnaît sa manière d’embrasser sa peau, de la faire frissonner, de l’embraser. elle sursaute un peu, doucement, presque tendrement. y’a son cœur qui manque un battement mais elle apprécie, blanche, tout particulièrement. elle se retourne, blanche, pour faire face à son concubin. elle lui embrasse le bout du nez alors que ses paupières sont encore fermées. elle lui embrasse ensuite les lèvres, tout doucement, tendrement, avant de s’arrêter net. y’a quelque chose qui cloche.
elle ouvre les yeux, pose les doigts sur les comètes bleues qui apparaissent au coin de ses yeux, les blessures d’une nuit trop agitée… et blanche se réveille d’un coup d’un seul, prend ses distances, repousse les draps.
« qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
elle demande, l’agacement perçant sa voix fluette. elle quitte le lit, grimace face à la fraicheur qui se glisse sur ses jambes. elle fonce jusqu’à la salle de bain où elle prend la trousse de soins et revient s’asseoir à côté de jude, prête à s’en occuper.
« ça doit être à cause de toi que j’aime tant m’occuper de chirurgie esthétique… »
elle soupire, blanche. elle prend du coton entre ses doigts, un peu d’alcool fort pour désinfecter les plaies.
« tu viens de rentrer… »
elle demande pas blanche, elle constate. et à en voir les plis que prend sa bouche, ça ne lui plaît absolument pas. mais elle évite de le regarder dans les yeux, préfère taire les milles et unes questions qui la taraudent et l’énervement croissant qui palpite dans ses veines.

Elle n’est pas dupe, Blanche. Elle sent quand tu merdes. Elle sent que malgré ses baisers, ta douceur matinale, tu as encore joué au con. Alors forcément, lorsqu’elle ouvre les yeux pour constater l’étendue des dégâts, de ton visage brisé par les coups de la veille, elle peste. Elle s’adresse à toi, d’un ton froid, agacé. Elle en a marre, en réalité, Blanche. Mais t’es comme ça et surtout, pas prêt de changer. Tu soupires pour te laisser choir sur le dos, alors que déjà, elle se lève pour récupérer de quoi t’arranger un peu. Heureusement tu es propre, douché la veille, chez tes parents, pour enlever le sang qui parsemait ton visage et ton corps. Tu t’es même changé, récupérant quelques vieilles fringues laissés là bas. « Rien d’important, j’me suis foutu sur la gueule avec Em’ pour une connerie » Lâches-tu d’un ton nonchalant alors que tu te frottes doucement le visage, venant ensuite fixer le plafond. Tu tournes la tête vers elle lorsqu’elle revient, s’asseyant sur le lit pour te soigner. Toi tu restes là, allongé, à sa merci. Toujours à sa merci, la seule femme de ta vie. Celle qui a tout les droits sur toi. Celle que tu aimes autant que tu lui fais du mal, souvent sans même t’en rendre compte. Idiot que tu es, alors que cette nana là, c’est la femme parfaite pour toi. Tout le monde semble le savoir, sauf toi. Enfin, peut être le sais-tu, mais t’es juste pas capable d’agir mieux de ce fait.

T’as un sourire en coin lorsqu’elle évoque son métier, la chirurgie esthétique alors que déjà, elle désinfecte tes plaies pour les panser. « Oué, j’pense que je suis un bon cobaye » Réponds-tu avec un sourire. Tu n’es pas fier de toi, juste amusé de la situation. Tu n’es jamais fier de toi lorsque tu te bats, lorsque tu reviens avec la gueule en sang et les poings abîmés. Mais tu agis à l’instinct. Tu agis à l’impulsion du moment. Toi, sang-chaud depuis toujours. Toi, qui démarre au quart de tour.
Il y a un instant de flottement entre vous, alors que tu fixes le plafond. Elle s’adresse de nouveau à toi, brisant le silence. Tu tournes la tête et le regard vers elle. « Oué j’ai passé la nuit chez mes vieux » Déclares-tu comme une évidence. Evidence pour toi, mais pas pour elle. Elle qui doit probablement se poser un milliard de questions lorsque tu découches. « Fais pas cette tête bébé, t’sais bien que t’es la seule femme de ma vie » Tu la fixes de toute l’intensité de ton regard clair alors que tu lâches c’est quelques mots. Tu n’as jamais été infidèle à Blanche, alors que pourtant, tout ton caractère laisse à penser que tu n’es qu’un connard habitué des excès. Excès peut être, mais pas jusque là. Tu l’aimes Blanche, de ta façon compliqué et douloureuse, mais tu l’aimes. Tu ne pourrais pas trouver d’autres bras que les siens. Ils te sembleraient simplement insipides. Même si la nana peut être plus jeune, tout aussi jolie, t’en a rien à foutre. T’as plus d’une fois été dragué, mais toujours tu les as repoussés. Elles ne sont pas Blanche. Elles ne seront jamais Blanche. Alors pour accompagner tes paroles et leur sincérité, tu stoppes sa main actuellement en train de te soigner pour venir y déposer quelques baisers, sans la quitter du regard. Tu n’es pas homme à te perdre en déclarations, mais tu fais ce qu’il faut pour qu’elle comprenne. « J’suis désolé, j’aurais dû t’envoyer un message ou j’sais pas, j’ai pas pensé » Lâches-tu un peu con. Un peu gêné. Mais t’étais trop bourré pour faire quoi que ce soit. Pour penser à ce genre de choses. Pour avoir un peu d’affection au delà de ton arrogante insouciance. Sauf que tu préfères éluder cette partie de la soirée. Toi et ton alcoolisme galopant. Ce n’est pas tous les jours que tu prends une murge comme celle de la veille, mais la plupart du temps, lorsque tu désires réellement boire, c’est jusqu’à en oublier ton propre nom.

« J’vais m’faire pardonner » Conclu-tu avec un large sourire alors que tu embrasses encore sa main. T’as cette lueur qui brille dans le regard. Cette lueur d’almour et de désir. Tu finis par te redresser, écartant sa main et la compresse qu’elle tient. Tu approches son visage du sien, glissant une main dans son dos, avant de l’embrasser. D’abord tendrement, puis peu à peu, tu offres plus t’intensité à ce baiser. T’as envie d’elle, t’as envie de vous, quitte à foutre un peu plus le bordel dans ces retrouvailles de la honte.