En se réveillant dans sa tente ce matin, Le Chat était plus là. D'habitude il est toujours installé sur ses pieds, devant la porte, à attendre qu'on lui ouvre pour aller faire son tour.
Mais ce matin.
Y avait rien de tout ça, pas de matou pour gratter contre la toile, pas de ronronnements exagérés pour lui faire comprendre qu'il se faisait tard.
C'est pour cette triste raison que Tristan s'est habillé en vitesse pour parcourir les rues des environs une à une, le cœur serré et des scénarios plein la tête.
Si Le Chat avait trouvé mieux ? S'il avait décidé de finir dans une jolie maison à passer ses après midi à dormir sur un canapé ?
S'il s'est fait tamponner par une voiture ?
Si on lui a tout simplement volé ? Fin non, ça se peut pas, voler une vie. Elle appartient à personne. Mais l'arracher à Tristan, comme ça, sans rien lui demander ? La gorge nouée, il aurait voulu aller toquer chez le voisin, le réveiller pour lui demander s'il l'a pas vu mais Tristan a pas encore les tripes pour ça. Alors, il s'redresse un peu sur ses pointes, jette un coup d'oeil dans la fenêtre et n'aperçoit par la moindre trace d'un matou roux aux yeux clairs. Soudainement, dans le ventre de Tristan vient se loger autre chose que l'envie de manger : une boule. Une boule, là, perdue entre ses intestins et autres organes dont il a oublié le nom dans la panique. De la peur peut-être ? Il avait plus ressenti ça depuis des années.
Un Tristan sans un Le Chat, ça sonne mal. Ça fait combien de temps qu'ils s'connaissent ces deux là ? Le Chat a toujours pensé que Tristan était sa mère parce qu'il a passé des jours et des nuits à lui donner le biberon pour la remplacer. Sa mère ? Elle était morte dans un coin de poubelle, écrasée comme une crêpe et les chatons à côté dans un carton. Le Chat était le seul survivant et bizarrement, Tristan avait eu l'impression de se voir dans ce carton dégoûtant. Alors, il l'a attrapé et depuis, ils se sont plus lâchés. Ce sont les mêmes ces deux là : deux baroudeurs qui passent leur temps à chiper dans les poubelles. Le Chat part parfois dans des balades en solitaire mais termine toujours par revenir. Il mange des saloperies dans le coin, débarrasse les déchets des quelques trésors qu'on peut y trouver et se plaint jamais lorsqu'il a faim. Le Chat, c'est quelque chose de sacré.
C'est pour ça que Tristan traverse les rues, court sur le béton en hurlant son prénom qui n'en est même pas un.
Le Chat !
Mais y a pas de réponse, juste le bruit du vent dans les arbres, le son des feuilles qui rigolent sous ses chatouilles.

Puis d'un coup y a cette gamine, apparition divine. Le Chat entre ses bras, un vrai paresseux, un brave charmeur de ces filles. Aucune pour lui résister. Tristan fronce des sourcils, se rapproche d'un pas rapide, à moitié essoufflé. Il a tout laissé derrière lui, sans surveillance, sans rien ; effets secondaires de la trouille, on fait plus attention à rien. Le vagabond se retrouve là, devant les portes de l'épicerie où il fait toujours la manche mais cette fois là, il est pas là pour les quelques pièces qui tomberont du ciel mais pour son chat. C'est mon chat. Qu'il balance, sourire aux lèvres, soulagé de le revoir en un seul morceau. J'pensais l'avoir perdu. Il s'explique pour essayer de pas l'effrayer à cette gamine là. Il t'a pas trop embêté au moins ?
C'est le premier chat avec un caractère de cochon qu'elle doit rencontrer. Sans compter Tristan, les poumons en vrac et les cheveux en bataille.

tessaly, elle a toujous eu envie d’avoir des animaux de compagnie. mais tessaly, elle a jamais été très douée avec les êtres vivants… y’a que sasha avec qui elle s’en sort assez bien, parce que sasha il se gère tout seul maintenant et qu’avant, y’avait papa et maman derrière. et puis tessaly, la rebelle, l’insoumise, l’indomptée, elle se bat assez pour la liberté en général (pour les animaux, pour les droits des hommes…) pour pas s’permettre d’avoir un quelconque pouvoir sur un animal. elle préfère quand y’a une certaine égalité, qu’animaux et hommes vivent en harmonie et en paix.
et puis tessaly, elle avait tendance à les faire crever sans l’vouloir. elle mettait tout son amour dans les caresses, l’attention à leur porter, le fait de les nourrir régulièrement (une fois par semaine ? c’est bien ça, non ?) mais ils finissaient toujours l’ventre en l’air, la langue pendue. pour les poissons rouges, y’avait pas la langue, évidemment. quoi que ?
tessaly, elle a b’soin de prendre l’air, de retrouver un peu la civilisation. parce que vivre juste à côté du cinéma, dans une espèce de cabane bobo, c’est pas toujours évident. tessaly, elle aime bien le wifi parfois (ça fonctionne mieux que la 4G), et puis elle a besoin de voir des inconnus, de croiser des visages… sasha, il est pas souvent là. et même si tessaly elle voit des gens au cinéma, c’est souvent l’soir et le week-end… alors elle s’sent seule.
y’a ses jambes qui bougent toutes seules, l’emmènent vers la population. et puis en arrivant dans les rues, elle s’rend compte qu’elle devrait faire les courses. alors elle fouille les maisons et les magasins du regard, passe en revue ses possibilités : y’en a pas des masses. elle repère l’épicerie et elle s’y dirige tout doucement. elle fait ses emplettes en réfléchissant à ce qu’aimerait manger sasha, à ce qu’elle a envie d’mettre dans sa gueule béante d’ici quelques heures, et elle ressort avec un paquet en papier rempli. et y’a même un peu de saumon fumé, une folie qu’elle s’accorde occasionnellement, péché mignon.
et là, un chat. un chat tout roux, qui s’approche, qui ronronne à côté de ses jambes. il a un peu l’air d’faire la gueule aussi, de pas être très sympa… mais là, clairement, il est intéressé. elle se baisse, s’assoit par terre et le caresse tout doucement. mais le chat, il s’approche, flaire dans l’sac. il déniche le paquet de saumon, commence à essayer d’le déchiqueter. tessaly elle râle, elle recule son nouveau joyau, lui fait les gros yeux. mais le chat, il a pas peur, c’est un vrai p’tit caïd. encore un peu et ils vont s’battre.
« c’est mon chat. »
une voix qui retentit, fait un break entre tessaly et le chat. l’homme, il sourit. alors tessaly elle fait pareil, par mimétisme, parce qu’il a l’air gentil en plus… un peu perdu, un peu brisé. gentil. doux.
« j’pensais l’avoir perdu. »
qu’il argue. et tessaly, elle rit tout doucement en montrant l’paquet de saumon.
« vous auriez pu le perdre pour du vrai… parce qu’il essaye de me voler ma nourriture, et que j’deviens violente dans ces cas-là. »
elle rétorque en pouffant et en riant légèrement. elle essaie d'faire de l'humour... c'est pas très concluant.
« il t’a pas trop embêté au moins ? »
il demande, concerné. tessaly, elle a souvent une intuition sur les gens : c’est un héritage de maman. et elle a une bonne intuition sur lui.
« non, il est vraiment drôle et attachant. »
elle répond en regardant le chat. elle essaie d’le caresser mais ne reçoit qu’un regard noir et un coup de patte (sans les griffes) sur le haut de la main.
« il était plus sympa quand j’avais du saumon à lui offrir. je crois qu’il boude parce que j’ai dit non. »
elle soupire, se relève.
« il s’appelle comment ? »
elle demande, le regarde vraiment, dans les yeux. il a une bonne tête.
« moi c’est tessaly. »
elle lance en tendant la main.

Il traîne souvent dans le coin mais il l'avait encore jamais vu cette môme là. Peut-être parce que Tristan passe le plus clair de son temps le regard rivé vers ses chaussures lorsqu'il fait la manche devant l'épicerie. Et le reste du temps c'est pareil, il se cache sous sa capuche pour que personne reconnaisse le clodo du coin. Pour que personne se dise 'regarde-le traîner au lieu de chercher du travail'. Parce qu'ils ne le comprennent pas. Non, personne ne peut le comprendre que son choix de vie à lui est différent, qu'il a pas envie de bosser, de s'épuiser pour quelqu'un qui ne le considérera jamais.
C'est un vagabond Tristan, il est né comme ça, il a vu le jour avec le voyage dans les veines et ça changera certainement jamais. Il va crever sur le bord de la route un de ces quatre et personne ne saura jamais rien de sa mort. Ou alors on le découvrira des mois après dans sa tente, Le Chat dormant tranquillement sur ses os pour pas abandonner son maître.
Triste histoire.
C'est d'avoir cru perdre son compagnon qui rend ses pensées si sombres. La môme se marre et le blond fait de même, instinctivement, sans vraiment chercher à comprendre. La boule de poils vient se perdre dans ses jambes pour réclamer des câlins et Tristan se penche pour lui en donner. Il est tellement content de le revoir. C'est à peine compréhensible. Il a un sale caractère mais c'est de ma faute, je le laisse faire ce qu'il veut. Le Chat c'est comme un roi, un petit prince gâté qui fait tourner en bourrique Tristan qui ne se rebelle jamais. C'est Le Chat. Il marque une pause, explique. Le Chat, c'est son prénom. Le vagabond le répète souvent parce qu'en général les gens ne comprennent pas ou alors se moquent de lui, en lui disant qu'il n'a pas d'imagination. Tristan s'en fiche parce que de toute façon, ce gros matou ne répond jamais à son prénom. Il vient lorsqu'il en a envie et se barre quand les choses l'énervent, un peu comme maintenant. Et puis d'un coup, voilà la môme qui lui tend la main, Tristan l'attrape et prononce son prénom. Il a pas vraiment l'habitude de se présenter parce qu'en général, c'est Le Chat qu'on veut connaître. Pas lui. Tristan. Et qu'est-ce qu'il doit faire maintenant ? Faire la discussion, voilà, c'est ça. Merde, ça lui paraît vachement obscur comme terme mais il tente. T'es d'ici ? Non parce que je passe pas mal de temps dans le coin, première fois qu'on se croise. Il s'en souviendrait s'il l'avait vu. Un joli visage comme ça, ça peut pas s'oublier.