parfois la nuit est courte et les heures défilent sous mes yeux à la vitesse de la lumière. au strip-club, les filles comptent les billets gagnés après les danses et les moments d'intimités dans les cabines. en retrait sur le comptoir collant du bar, je compte le pourboire, la petite monnaie et les billets verts amassés. pas grand chose cette nuit. les clients viennent voir les danseuses et les danseurs, pas les barmaids. ils viennent pour voir la chair, pas pour payer celles qui apportent l'eau de vie à eux. je sors la pochette tête de chat rose bonbon de mon sac à main et je range le tout à l'intérieur. faudra que je rassemble tout l'argent à la maison, que j'compte mes économies, que j'échange des pièces pour des billets. je remballe le tout et sheldon me demande si j'ai envie de terminer la nuit chez elle avec des potes et des bière. j'me dis, pourquoi pas, pourquoi pas, olive. pourquoi pas te péter encore un fois la gueule à coup d'boissons fortes et d'alcool amère. une partie d'moi s'dit qu'au pire, juste un verre, ça fera. alors on part chacune dans sa voiture et on conduit jusqu'à l'appartement de l'hôtesse. la vie est légère.
la vie est à nous.
pour un bref instant.

mais le corps est imbibé de liqueurs différentes et la voiture n'est plus une option quand le soleil lèche la ville de ses rayons ardents. je quitte avec les jambes molles et la tête dans les nuages. me faut un café, des cigarettes et assez de courage pour rentrer jusqu'à chez moi. c'est en m'aventurant dans la ville, café en main et cigarette dans l'autre que je la vois. cette nova. cette supernova. cette vieille amie. cette ancienne meilleure amie. ma moitié. celle qui a dégringolé du ciel pour atterrir bien trop fort contre le sol froid d'la réalité. je crois qu'elle m'a suivit plusieurs fois. j'en suis presque sûre. sauf qu'elle, ma nova, elle joue avec la vie en traversant sans regarder. le conducteur klaxonne et hurle des insultes à n'en plus finir. et nos regards se croisent et elle prend peur. pourquoi nova ? pourquoi tu m'fuis ? j'vais pas te bouffer, merde. j'vais pas te tuer. promis. j'veux juste te parler. elle revient sur le trottoir et moi j'vais la rejoindre maladroitement sur mes talons trop hauts.

- ça va, nova ?

ça sonne tout drôle dans la bouche, de dire à nouveau son prénom à voix haute. elle est réelle, elle est en face de moi. elle plus juste de vieux souvenirs de quand on était gamines. elle est bien là, poussière d'étoile. ma voix se veut rassurante, pleine d'inquiétudes. nova, ce sera toujours ma meilleure amie, même si elle était plus là.

- ça fait longtemps...

nova, elle est toujours la même. un peu plus amochée par la vie, mais le coeur, il est tout pareil.
si je colle mon oreille contre sa poitrine, j'pourrais entendre la symphonie de son muscle cardiaque,
cette musique familière qui berçait mes nuits quand, adolescentes, on dormait chez l'autre. sa voix n'a pas vraiment changé, elle est toujours aussi douce à écouter. le rire qui s'échappe d'entre ses lèvres me fait le même effet que lorsque je rentre enfin à la maison.

- quand tu penses trop, tu oublies toujours de regarder des deux côtés avant de traverser.

toutes les fois où j'ai dû poser ma main contre son bras pour la retenir. tête en l'air. ça me fait sourire. un sourire qui goûte un peu le chagrin et le coeur gros. nova, je l'ai jamais oublié. j'ai des photos d'elle cachées dans une boîte que je n'ai jamais vraiment défait en arrivant à liberty.

- je pourrais jamais t'oublier. t'es ma meilleure amie.

je fais tomber ma cigarette au sol et je bois une gorgée de café. si tu sais bien lire les regards, nova, tu peux voir dans le mien y'a beaucoup de nostalgie. de la nostalgie de nous.

- parce que ça me manquait ? parce que, là-bas, j'arrivais plus à bien respirer et dès que j'ai remis les pieds ici, j'me suis enfin sentie mieux.

nova, mon étoile, j'ai toujours tout su rien qu'en l'observant. je la connais par-coeur, comme on connait les passages de son film préféré, de son poème favori ou du livre dont on ne se lasserait jamais. la voir devant moi me rend triste, mais surtout heureuse. triste pour toutes ces années où elle n'a plus jamais dit un mot, où elle a arrêté de m'écrire, où je ne savais plus du tout ce qui se passait avec elle. des années à croire qu'elle n'avait peut-être plus envie de me parler, de prendre des nouvelles, d'essayer. j'ai mes fautes dans tout ça aussi. j'aurais pu essayer, encore et encore. mais j'ai le coeur qui a dégonflé un peu, qui a rétrécit avec le temps et le courage, il s'envolait toujours par la fenêtre ouverte de ma chambre.

- moi aussi j'suis heureuse de te revoir.

et elle me demande si j'habite toujours dans l'ancienne maison. je secoue la tête en signe de négation. non. la maison appartient à une autre famille. une autre famille avec de beaux enfants qui jouent au ballon sur la pelouse en face et une mère qui passe son temps à lire sur le perron. je sais, je suis passée plusieurs fois. parfois, j'observe l'adolescente qui a prit possession de mon ancienne chambre et ça me pince un peu l'intérieur du corps.

- non. j'ai un appartement près d'ici.

je bois une gorgée de café, me frottant le dessous des yeux où le maquillage a coulé pendant la nuit.

- t'as envie de venir faire un tour ? je m'y rendais, justement.

dis oui, nova. on pourra mieux parler qu'en plein milieu d'un trottoir.

nova elle est joyeuse, elle se balance sur ses pieds comme une gamine. elle vient de retrouver sa meilleure amie, rien ne peut amocher cette journée à présent. puis olive lui propose d'aller chez elle, ce qui ne manque pas de ravir la gamine. « oui, bien sûr. » qu'elle répond, le sourire aux lèvres. et elle se met à la suivre, doucement. « au fait j'suis désolée de pas t'avoir contactée pendant tout ce temps. disons que j'avais pas accès à internet. » c'est vrai qu'en fuyant la demeure familiale, nova avait aussi abandonné son ordinateur et téléphone portable, un geste quasi impossible pour les jeunes d'aujourd'hui. elle avait pensé à lui écrire, mais la douleur qui l'habitait l'avait poussée à abandonner cette idée. elle préférait la solitude à une relation qui l'attristait. maintenant une question se promenait dans son esprit : lui confier ou pas le fait qu'elle est sdf ? c'est pas que nova avait peur de la dégoûter ou quoi que ce soit- mais elle avait peur d'attirer sa pitié et nova refusait qu'on la prenne en pitié, puis elle arrivait à vivre malgré tout donc y avait rien de mal au final, enfin, si on oubliait le fait que voler faisait partie de ses habitudes.