il s'ennuie. comme toujours. ça l'agresse avec une violence, douce, amère, il ne sait pas s'il doit prendre ça bien ou mal. wolfie, il est trop habitué pour essayer de comprendre. il a capitulé le gamin à la douceur enfantine. il a juste proposé – encore une idée foireuse, encore une pensée gentille, encore un supplice languissant, encore un égrenage infini dont il est le vulgaire pion. alors il attend.
il est devenu bon à ça.
il est devenu bon qu'à ça.
il invente un sourire, théâtral, convainquant, s'essayant à la marchandise hollywoodienne vendue dans les pubs.
les rires moqueurs, les rictus pleureurs, et les yeux creux de silhouettes fantomatiques.
il a droit qu'à ça, ne voit défiler que ça.
il vend, remplit la caisse, sert les clients. un automatisme dont il est le roi. servir, vendre, remplir la caisse. servir, vendre, remplir la caisse. faut pas oublier de sourire. alors l'étirement précoce d'un sourire vient chatouiller ses lippes endolories. il s'essaye à un bonheur reflété. continue par des paroles polies par un vocabulaire soyeux. ce comportement, ça le démange comme une cravate trop serrée, l'étouffe comme une crise de panique non contrôlée. ça a le don de le transformer en un pingouin imagé. y a pas l'attirail et les artifices secondaires. y a pas toute cette fanfaronnade de tissus et freluches luxueux. y a que ses cheveux épais, pas le moins du monde coiffés, ses yeux étirés par des cernes et son envie inlassable de tout arrêter.
stop. le bouton est cassé. le cd rayé se répète comme le son étroitement fou d'une horloge.
tic. tac. tic. tac.
puis les nuages qu'il pensait à jamais collés à lui, mélancolie annonciatrice d'une journée grisâtre, se font chasser par une lumière détonante.
il reconnaît la voix. sa voix. cette bonne humeur viscérale qui perce dans la petite boulangerie-pâtisserie. cette boule d'énergie incommensurable. son ami.
eren.
il est là.
alors wolfie, qui s'est réfugié dans l'arrière boutique le temps d'une pause, se presse vers la caisse. y a le pain tout chaud qui lui brûle les doigts. il l'a pris machinalement. il l'offre comme une habitude. wolfie, il remercie toujours ses amis. il en sait rien de la raison du pourquoi. peut-être bien qu'il veut les garder auprès de lui, victime d'un égoïsme humain. peut-être qu'il les remercie tout simplement. d'être là. parce que c'est important ça. la loyauté, la présence, l'intérêt et tous ces mots, tous ces artifices dont il raffole, qu'il attrape fermement.
puis eren. il est beau. il a les cheveux rêveurs et le visage cajoleur. il a l'innocence intacte d'un gamin secoué par la joie, abrité par la rêverie.
wolfie, il sait pas ce qu'il aime le plus chez son ami. y a trop de choix, trop de possibilités alléchantes et tentatrices.
ce qu'il aime déjà c'est leur ressemblance incertaine, bancale et dérangeante. il sont pareils sans l'être. ils se ressemblent un peu, beaucoup puis pas du tout. ils sont un manège à sensations à eux-seuls. ils sont deux côtés d'une pièce qui se perd dans un tournoiement vague. « je finis quand je veux, c'est ça la joie d'être le boss. » y a la joie communicante d'eren qui l'assène de plein fouet, agresse ses joues qui se tendent pour former un sourire – bizarre mais présent, grand comme un soleil, comme une lune qui aurait trouvée son autre moitié. « tu veux aller où ? y a plus d'options quand il fait beau donc profites pour choisir. » parce que wolfie il veut pas choisir, sait pas choisir non plus. « l'ennui aurait eu ma peau si tu n'étais pas arrivé mais j'vais bien – maintenant. toi ? mieux maintenant que je te manque plus ? »
puis il enlève enfin son tablier, le roule en boule, le jette comme un malpropre. il se promet de mieux le traiter la prochaine fois mais il a trop attendu, trop lorgné sur un moyen de chasser l'ennui pour s'attarder sur un habit mal-aimé. « je m'ennuyais tellement aujourd'hui que j'ai modifié plusieurs commandes juste pour faire crier alba – même si, techniquement, elle peut pas crier. elle a commencé à devenir rouge tomate et j'ai cru que sa tête allait exploser. » il rit. encore et encore. parce que c'est amusant. parce qu'il veut profiter. parce qu'il aime faire autant de bêtises que de bonnes actions. parce qu'il a pas encore totalement mordu la pomme à pleines dents et que ça c'est rien. vraiment trop rien.