nur, elle sort de son sac des vêtements de tout genre. des vêtements peut-être sales, peut-être propres. elle ne sait pas. elle n'en a rien à foutre. elle les enfile comme ça, sans se soucier si ce qu'elle met va bien ensemble. puis elle vagabonde dans l'appartement à la recherche de sa veste, évitant les corps endormis qui jonchent le sol. elle a beau faire le tour de toutes les pièces, elle ne la trouve pas alors elle pique une veste en jean dans le salon. nur, elle la met sur ses épaules, se contemple dans le miroir de l'entrée. la veste est trop grande, ne lui va pas vraiment. mais elle s'en fiche, nur, parce qu'elle se trouve toujours bonne à en faire tomber le monde entier. avant de partir, elle lace ses chaussures, met son sac à dos, s'empare de son casque de moto et pique un joint qui traînait par là.
la bagarreuse se retrouve dehors, allume le joint et se met à marcher, évitant les passants pressés. on la regarde bizarre, nur. comme d'habitude. faut dire qu'avec son teint blanchâtre et ses cernes de trente mètres de long, elle ressemble à un zombie. un zombie attirant mais un zombie quand même. quand elle arrive à sa bécane, elle jette le joint par terre et enfile son casque. puis c'est parti.
nur, quand elle est sur sa bécane, elle a l'impression que le monde lui appartient. elle revit. totalement. c'est une toute autre version de la liberté, sa préférée. ce qui suit, par contre, ce n'est pas ce qu'elle appelle être libre. pourtant, elle n'a pas le choix. elle doit descendre de son bolide et rentrer dans cette pizzeria sans laquelle elle serait bien dans la merde. il est treize heures, elle devait arriver à midi. son patron lui gueule dessus, lui crache à la tronche qu'il va finir par la virer. elle voudrait lui répondre vas-y qu'est-ce que t'attends ? mais elle en a trop besoin, de ce boulot, alors elle s'excuse. puis elle va commence sa tournée. ça dure toute la journée. elle a le temps de se reposer, l'après-midi. de se poser sur la terrasse d'un café, une clope à la main et un soda sur la table (elle n'est pas encore majeure sinon elle aurait commandé une bonne bière bien fraîche). elle a le temps de s'endormir dans un coin de la pizzeria, au fond, là où personne ne peut la voir. combien de temps, elle ne sait pas, mais c'est le boss qui la réveille. tu dors jamais la nuit ou quoi ? elle pourrait lui répondre que non. non, elle ne dort jamais parce qu'elle a autre chose à faire. parce qu'elle a un tout autre monde qui s'ouvre à elle, la nuit. seulement, il n'attend aucune réponse, se contente de dire qu'elle a une commande.
elle met les pizzas dans le coffre posé sur la bécane et elle repart. elle s'envole vers de nouveaux horizons avec ses pizzas qui sentent trop bons et son monstre de deux roues. elle s'arrête à l'adresse indiqué, jette un coup d'oeil au nom qui y figure. heart. ça la frappe comme un coup dans la figure. heart. elle se mord la lèvre inférieure. heart. electra. son petit cœur, il se met à battre un peu plus vite. la vérité, c'est qu'elle a toujours bien aimé electra, nur. un peu trop. avant de prendre les pizzas, elle se recoiffe devant la vitre d'une voiture, réarrange ses vêtements pourris. puis elle se lance. elle sonne à la porte, attend. c'est electra qui ouvre. bien sûr que c'est elle qui ouvre. après tout, c'est chez elle. salut, qu'elle lui lance. elle ne sait pas quoi dire d'autre alors elle reste planté là, comme une conne, pendant une seconde avant de se rappeler pourquoi elle est là et ce qu'elle a entre les mains. c'est... elle s'éclaircie la voix. voilà les pizzas. nur les lui tend un peu gauchement. ça fera dix dollars. elle annonce. faut pas qu'elle oublie de ramener l'argent, nur, sinon c'est la porte assurée.

maman sait.
maman sait tout. maman sait mais elle n’en a jamais parlé. ce soir, c’est encore la même chose : on n’en parle pas. on montre qu’on sait mais on se tait. on se mure dans le mutisme et on l’accuse des yeux. alors electra elle refuse de jouer à ce jeu-là. electra elle refuse de se laisser faire, d’accuser ses coups d’couteaux métaphoriques. maman elle a beaucoup de droits sur electra mais pas des droits infinis. le droit de la faire souffrir inutilement, juste pour satisfaire son propre plaisir sadique et son égo, ça en fait pas parti.
alors electra elle prend de l’argent dans le sac de maman (elle le sait maman mais… bah elle dit rien. c’est ce qu’elle fait de mieux. quand elle a décidé de pas parler, y’a rien qui parvient à lui faire changer d’idée) et elle s’empare du téléphone de la maison.
« allô. bonsoir. une pizza barbecue s’il vous plaît ! avec des bonbons. ah, vous avez pas de bonbons… bon, juste une pizza au barbecue et un muffin au chocolat ! non plus ? bon. une pizza au barbecue. »
elle soupire, raccroche, avec l’impression d’avoir été trahie. electra, elle voulait sa note sucrée… mais elle l’aura autrement. sauf que quand maman boude, quand maman est triste toute seule et qu’elle lui en veut pour rien, elle ferme les placards de sucre à clé. plus de bonbons, plus de biscuits…
pourtant elle sait maman dans quel état ça la met electra. elle sait qu’electra elle fait des dépressions nerveuses sans sa dose de sucre. elle sait qu’electra elle est à deux doigts du suicide quand elle peut pas confronter ses canines et ses molaires à des petits morceaux gélatineux.
alors electra, elle fait la gueule aussi. elle monte dans sa chambre en attendant que la pizza arrive, et elle mangera toute seule avec ses livres d’astrologie, le minois relevé vers les étoiles et vers papa qui s’trouve peut-être sur la lune ou ailleurs, elle sait pas.
elle s’pose sur son lit, commence à feuilleter un bouquin sur les étoiles. elle ferme les yeux, essaie de réciter le nom des constellations… et elle recommence à réfléchir au langage qu’elle a inventé, ce langage qui lui a été transmis par des petits hommes verts (en tout cas, c’est ce qu’elle dit). et puis y’a la sonnette qui retentit. maman elle bougera pas alors electra s’élance dans les escaliers, avec son pas lourd, comme un éléphant dans un magasin d’porcelaines. elle veut montrer à maman son mécontentement. elle ouvre la portée à la volée, les billets dans la main, et elle s’arrête net quand elle voit nur.
elle s’paralyse un peu d’un coup. elle a l’bras droit levé, les billets qui dépassent un peu, mais elle sait plus quoi dire ou quoi faire. nur, elle est trop jolie. nur, c’est celle qu’electra elle voudrait être… et nur, elle est proche de sasha. electra, elle a entendu des rumeurs mais elle espère un peu naïvement qu’elles sont infondées. sasha et nur… une histoire… un lien profond ? elle est un peu jalouse electra… mais elle sait pas si elle est jalouse envers nur ou envers sasha. nur, elle a cette beauté et ce charisme naturel, ces choses qu’electra envie tellement. mais electra elle a plus besoin d’envier : electra elle est telle qu’elle a toujours voulu être.
salut
qu’elle dit. electra elle sort un peu de sa torpeur.
c’est… voilà les pizzas
elle tend la nourriture et electra l’attrape. en échange, elle lui donne les billets. elle sait pas quoi dire electra, elle sait pas quoi faire… alors elle arrête de s’poser des questions et elle réagit à l’instinct.
« tu veux la manger avec moi ? »
elle évite de baisser les yeux sur ses rondeurs, regarde fixement nur, détaille les tâches de rousseur qui picorent ses joues et le haut de son nez un peu recourbé.
« elle est trop grosse pour une seule personne… et euh… maman n’a pas faim. »
elle regarde un peu vers le salon où maman est assise sans rien faire, sans doute un sudoku ou des mots-croisés dans les mains sans s’en préoccuper. elle soupire, se pousse un peu.
« entre, je t’en prie ! je n’accepterai aucun refus. »
elle ajoute avec un sourire énigmatique sur les lippes rosées. elle sait jamais vraiment comment se comporter avec nur, pourtant electra elle l’aime bien. electra, elle s’est toujours dit que si elle devait aimer les filles comme elle aime les garçons (avec son cœur et son corps tout entier), elle aimerait quelqu’un comme nur. electra, des fois, elle se demande ce que ça ferait de poser ses lèvres sur celles de nur… et puis elle arrête d’y penser, relègue cette idée au fond de son crâne, sourit fort pour éviter de se poser plus de questions.

electra, c'est fou ce qu'elle est belle et nur, elle l'a toujours pensé, depuis la première fois où ses yeux se sont posés sur elle, au lycée, à maintenant. lorsqu'electra ne regardait pas, il y a toujours nur pour l'admirer avec des cœurs plein les yeux. elle a souvent essayé de lui trouver des défauts, aussi bien physiquement que mentalement, mais elle n'en a jamais trouvé. les autres, ils disaient qu'elle était trop grosse, pas assez jolie. nur, elle n'a jamais pensé ça mais plutôt le contraire. electra, elle est tellement magnifique qu'elle pourrait faire de l'ombre à la lune et nur, elle l'a fait comprendre à ceux qui s'attaquaient à elle. elle s'est retrouvée plus d'une fois dans des bagarres qui partaient d'injures envers la gamine heart. d'ailleurs, elle n'est pas sûre que cette dernière s'en est un jour rendue compte, des bagarres comme des petits regards qu'elle lui lançait.
aujourd'hui, nur, elle ne peut pas dire que ça ait réellement changé. electra a toujours une place particulière dans son cœur. une trop grosse place. alors quand elle se rend compte qu'elle est chez elle, il bat plus fort, plus vite. ça fait boom boom dans la poitrine. encore plus lorsqu'elle se retrouve face à elle. la luna ne sait pas où se mettre, en oublie même la boîte de pizza qu'elle a dans les mains pendant un instant. puis elle lui tend contre quelques billets.
nur, elle se contente de fixer electra, un sourire bizarre aux lèvres qui montre sa nervosité, le fait qu'elle soit mal à l'aise. c'est peut-être même plus une grimace qu'un sourire. silence. tu veux la manger avec moi ? elle fronce légèrement les sourcils parce que nur, elle ne s'attendait pas à être invitée. elle pensait qu'elle se dirait au revoir, à la prochaine, et qu'elle se reverrait avec le scooby gang. ça la surprend mais ça réchauffe un peu son cœur aussi. moi ? qu'elle demande comme une idiote. bien sûr que c'est elle. elle est trop grosse pour une seule personne… et euh… maman n’a pas faim. alors là, son cœur, il va lâcher. elle a parlé de sa mère. merde, qu'elle se dit. si elle avait su, elle aurait pris soin de bien se fringuer et de se maquiller un peu pour cacher ses cernes.
elle passe une main sur sa nuque, ouvre la bouche mais avant qu'elle ne puisse dire quelque chose, electra ajoute : entre, je t’en prie ! je n’accepterai aucun refus. nur, elle pense à son boss, aux commandes qui l'attendent sûrement mais elle a juste à regarder la brunette pour tout envoyer en l'air. alors elle rentre, sa lèvre inférieure entre ses dents. elle observe autour d'elle. il y a quelques photos d'electra sur les murs. electra bébé. electra enfant. electra adolescente. la luna, elle se rend compte qu'electra, elle a toujours été jolie. ce n'est vraiment pas humain. elles sont belles, ces photos, que nur dit, lançant un coup d’œil à son hôte. elle essaie de se détendre, d'éviter de jouer avec ses doigts et de se mordre la lèvre jusqu'au sang. c'est ta maman ? elle demande quand ses iris se posent sur une femme assise dans un des fauteuils du salon. ça lui fait bizarre parce que madame heart, c'est à peine si elle en a entendu parler.