un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.
c’est pas des conneries déversées vainement, un jour, par une âme torturée. ce n’est pas qu’une belle formule qui a noircie, un soir, du papier granuleux.
c’est vrai. c’est ce qu’il vit. ace sautille sur le perron. il use le temps en faisant les cent pas. il se ronge les ongles, se ronge le cœur, qui palpite un peu trop dur lorsqu’il entend le doux bruit d’un moteur qui se profile en haut de la rue, qui se tord lorsque la vision attendue se déforme et déçoit. miles est quelque part sur les routes d’oregon. proche ? encore loin ? il n’en sait rien, et ne pas savoir est comme un poignard planté entre ses deux omoplates. ça l’handicape, ça le rend fou. mais il sourit. il a l’air d’un bel idiot, d’un fol animal qui sautille et s’impatiente en haut des marches de la maison conley. d’un grand enfant qui tourne sur lui-même, fermant les yeux et souriant sans raison apparente, sans raison apparente pour les regards étrangers que de rares vagabonds lui jettent au passage. ace sourit, car il n’y a pas que des nuages d’encre qui arrivent vers lui. y’a son frère aussi. et ils pourront parler, ces vagabonds, ils pourront dire qu’ace conley est décidément vraiment étrange. qu’il n’est pas seul dans sa tête. ils ont raison.
c’est la cacophonie dans sa tête, alors qu’à l’intérieur se prépare la fête. l’annonce du retour de miles fut une divine surprise pour les conley, qui ont cassé la tirelire pour lui préparer une party digne de la star de la famille. un seul être vous manque. miles, son frère, quand il est parti mener sa vie, lancer sa carrière, quand sa silhouette s’est effacée sous ses yeux, ace a senti le vide dans son cœur. le désert dans son quotidien. jour après jour il manquait d’amour, il manquait son frère, alors il manquait tout. y’a le tonnerre qui gronde au loin, et ace tourne la tête vers le ciel sombre.
il ne manque plus d’amour, aujourd’hui. il a jeté une bouteille à la mer, un jour, et c’est anita qui a posé un pied conquérant dans la plage de sel qu’était son cœur atrophié, effrayé. l’amour de sa vie. il sait que c’est elle. c’est comme s’il avait avalé une épine qui se serait planté dans son palpitant. lorsqu’il la touche son cœur se tord, il a mal tellement il l’aime. mais c’est bon. c’est si bon. anita. c’est sa déesse, comme miles est son dieu, avec eux à ses côtés rien ne pourra l’arrêter.
il a une larme qui se niche dans le coin de son œil. elle coule lorsqu’une voiture apparaît. il ne l’a même pas attendu. elle est sortie de nul part. alors il sait que c’est la bonne. elle s’avance et s’arrête. son alter son égo son frère sort de la voiture et ace ne peut pas attendre plus longtemps comme un con sur le perron de la baraque. il saute les marches et traverse la cour. il veut le prendre dans ses bras. lui dire de ne plus jamais partir. de ne plus jamais le laisser.

Il y a le taxi qui l'emmène à la maison et le palpitant qui ne fait que s'affoler. Miles, il ne sait pas, il ne sait plus. Cela fait si longtemps qu'il n'a pas revu les siens, qu'il n'a pas serrer son frère dans ses bras, ni embrassé ses parents. Liberty ne résonnait plus que comme un lointain écho, presque comme un mauvais rêve, aux frontières assez floues. Il n'est pas enchanté de remettre les pieds dans le cimetière de son adolescence, mais absolument ravi de revoir ses proches. Et surtout de célébrer une si belle occasion : Le mariage d'Ace. Cette idée lui décroche un sourire. Un sourire tendre, puis il réfléchit, se lèche la lèvre inférieure et ce bonheur disparaît pour laisser place à autre chose. De l'inquiétude, des regrets, de la jalousie. Il ne sait pas vers quoi penche le plus la balance. Il ne connait pas la fiancée, pas même son nom. En partant de Liberty, il a tout abandonné, si bien qu'il n'est plus que le souvenir d'un frère. Un souvenir auquel on se rattache, mais qui finit par s'estomper  avant de disparaître. Ô bien sûr, il verse de l'argent Miles. Il sait faire ça – signer des gros chèques. Mais quand il s'agit d'être là, il n'y a plus personne. Sans doute car tout ceci lui rappelle trop de mauvaises choses. Des choses qu'il souhaite oublier plus que tout, mais qui continuent de le tenir éveillé en pleine nuit. Assis sur la banquette arrière, il observe la petite ville de l'Oregon à travers la fenêtre. Il voit défiler les rues, celles de son enfance, de sa jeunesse. Il se fait vieux, cette pensée le fusille à l'intérieur. On ne cesse de lui répéter, au boulot. Bientôt, il devra tirer sa révérence, laisser la place aux nouveaux qui sont bien plus rapides, bien plus doués que lui. Il a fait son temps. Pas comme cette ville qui semble cristallisée, figée. Et c'est tout une marée d'images et de souvenirs qui l'inonde alors qu'il se rapproche de l'endroit où il a vécu, l'endroit où il a grandi. Il sent son cœur battre plus fort encore. Il se regarde dans le reflet de son téléphone, examinant s'il est ou non présentable. Il replace une mèche de cheveux rebelle, puis souffle un grand coup alors que le chauffeur s'arrête. Il le remercie, lui file des billets verts puis descends, le genoux tremblant, les mains moitent. Il se sent idiot de réagir de la sorte. Et même s'il tente de le cacher, l'émotion est pourtant bien trop grande. Il attrape rapidement ses affaires dans le coffre, puis voit son frère, Ace, courir pour le rejoindre. Soudain, toutes ses angoisses s'envolent. Soudain, il a dix-huit ans à nouveau. Il lâche ses bagages et le prend dans ses bras, le serrant fortement, l'étouffant de son amour, crime fraternel. - Mon dieu Ace ! T'es un homme, maintenant, dit-il en riant, lui donnant quelques coups pour jouer à la bagarre. Il passe la main dans les cheveux du cadet pour les ébouriffer, riant à nouveau. - Il paraît qu'on va te passer la corde au cou, alors ?

Il n’en a jamais douté, mais lui si loin et lui si seul, il avait presque oublié le bonheur que c’était de prendre son frère dans les bras. Son cœur exulte quand Ace sert contre lui son frère. Il explose quand Miles l’étreint à son tour. Les larmes joyeuses se perdent sur sa joue. Il les essuie d’un revers de main. Anita fait brûler le feu en lui, mais Miles ravive le volcan en lui et le ciel pourrait flamboyer qu’Ace n’aurait pas peur. Son monde est entier maintenant. La dernière pièce de son cœur a retrouvé sa place et il sent que tout sera plus simple. Maintenant que son cœur est bien au chaud. Il rit à son tour, se débattant contre la main qui défait ses cheveux. Je suis un homme heureux, maintenant corrige-t-il. Il bombe un peu le torse. Sa respiration est si facile. Si douce. Si tendre. Je crois, oui, dit-il en souriant. Il pense à Anita. Il tombe amoureux d’elle chaque fois qu’il la regarde, chaque fois qu’il glisse le bout de ses doigts sur sa peau électrique, chaque fois qu’il se perd en elle et qu’elle le transperce de son regard sauvage. Anita c’est un beau soleil qui brille pour lui, qui se donne à lui. Mais pour elle, Miles, je sers le nœud autour de mon cou moi-même. Pour elle il saute dans des eaux tortueuses, pour elle il embrasse les dangers les plus périlleux. Pour elle il donnerait son corps aux flammes et son âme au diable. Anita, son doux et bel ange.
Il est pris de frissons qui courent sur sa peau. Il pose les mains sur les épaules de son frère, s’assurant que ce n’est pas un mirage qui va de dissiper sous la pluie qui s’abat sur le quartier. Bordel, je suis si content que tu sois là dit-il. Il a si hâte de le voir à ses côtés lorsqu’il prononcera « oui, je le veux », oui il la veut. Il a si hâte qu’il la rencontre. Peut-être même qu’elle ne sera pas si étrangère à ses yeux. Peut-être l’a-t-il déjà croisé, dans les couloirs du lycée, dans les rues de cette ville. Il a hâte, hâte de la lui présenter, hâte de voir la fierté dans ses yeux. On a tellement de chose à rattraper. Il se saisit d'une de ses valises et fait glisser sa main libre autour du cou de Miles. Viens, rentre, tu connais maman, elle a préparé une petite fête. Cinq, six personnes. Sourire mesquin. Ils sont une vingtaine, à l’intérieur, voisins, amis de la famille, famille. Ma future femme n’est pas là, mais elle nous rejoindra plus tard. Elle trépigne d'impatience de te rencontre, Anita ... dit-il, et son cœur fait un bond. Sa vie est belle. La vie est belle.

C'est le bonheur qui fait battre le cœur de Miles plus fort. Le bonheur d'être rentré, d'être chez soi, en famille. Il a longtemps renié Liberty, mais les racines sont bien ancrées et c'est une partie de lui qu'il a retrouvé dès lors qu'il est revenu. Revenu chez lui. Il en oublierait presque sa carrière qui se casse la gueule et sa relation foireuse, à voir la joie qui habille le visage de son petit frère, de celui qu'il n'a pas vu depuis longtemps. Trop longtemps. - C'est vrai ? Elle doit être spéciale alors, réplique-t-il un sourire idiot étirant ses lèvres. De voir Ace aussi heureux, ça le réconforte Miles, ça lui fait chaud au cœur. Il se surprend même à être un peu jaloux. Peut-être que lui aussi a envie de se caser pour de bon, après tout. Mais lui, il a pas ça. Il ressent pas un amour comme ça. C'est peut-être lui qui déconne, qui est défectueux. Peut-être qu'il sera jamais capable d'aimer comme son frère aime sa fiancée. Il secoue légèrement la tête pour oublier ces vilaines pensées. Et puis t'façon, c'est pas lui le plus important, mais bel et bien Ace qui s'apprête à lié sa vie à celle d'une autre personne. Pour toujours et à jamais. - Et moi tellement content de te revoir petit frère, c'est de la sincérité pure qui s'échappe de ses lèvres alors qu'il observe le visage de son cadet. Les traits ont vieilli, mais il demeure le même. - T'en fait pas, on a tout le temps pour ça ! Les souvenirs lui reviennent en mémoire comme des morceaux de vie merveilleux. Et il sait que durant son séjour à Liberty, il partagera des nouveaux moments tout aussi agréables avec sa famille. Et peut-être même la future Mme. Conley. C'est drôle qu'il ne sache rien d'elle. D'un côté, ça lui fait mal à Miles. Il a la mauvaise impression d'être un mauvais frère. Même pas capable de connaître le prénom de la fiancée de son petit frère. - Elle perd pas le nord, maman, qu'il dit en un rire qui s'échappe tandis qu'ils s'avancent tous deux, bras dessus, bras dessous en direction de la maison. A cet instant, le monde semble s'arrêter de tourner. Comme si plus rien n'avait d'importance. Comme si tout n'était que coton et divines sensations. Mais alors qu'ils entrent chez leur mère, une bombe s'abat sur Miles. Et y a son monde parfait qui part en fumée, anéanti par le prénom d'une revenante prête à le hanter. Il manque de lâcher ses affaires Miles. Peut-être même de s'écrouler par terre. Il cligne plusieurs fois des yeux comme pour s'assurer qu'il n'est pas en plein rêve, alors que son cœur bat la chamade et qu'il est pris de sueurs froides. Il y a plus de sourire qui étire son visage. Il y a que de l'angoisse qui s'empare de chaque fibre de son corps qui menace de flancher. - Anita... c'est pas commun comme prénom. C'est quoi son nom de famille au juste ? Il essaye de faire bonne figure, mais il y a plus rien qui va. Il demande, mais il connait déjà la réponse. Fallait bien que son passé l'rattrape un jour.