Parce que c'était déjà pas assez ambigu comme ça,
il a fallut rajouter les vitraux de l'église pour rajouter une touche de dramatisme.

C'est le Dimanche.
Nous savons tous à quoi se rapporte ce jour de la semaine, et surtout à Qui.

Il est venu en présence d'une connaissance, ne serait-ce que pour pouvoir profiter du lieu saint avec quelqu'un. Abram l'a croisé au détour d'une rue (oui ça peut encore se faire ce genre de rencontre), et tous les deux se sont découverts une passion commune pour la ferraille.
Mais l'un des deux, plus croyant que l'autre, a jugé bon de passer le Dimanche matin sous le regard bienveillant du Seigneur afin de le remercier pour cette fabuleuse rencontre.

Ainsi donc les voilà tous les deux, humbles, assis sur les bancs en bois vernis de l'église. L'écho des voix frappe les parois du bâtiment, rappelle à tous que le silence est d'or. La plupart des têtes sont penchées afin de se consacrer au mieux à Dieu, Abram reste sceptique.
Abram le rationnel.
Il a bien voulu venir pour faire plaisir à son camarade, mais l'odeur rustique du bois et des hosties tend plutôt à lui souffler qu'il n'a rien à faire là.
Et jusqu'à ce que ce soit l'entracte (il appelle ça comme ça), le moment où le Père leur met le morceau de pain complètement sans saveur dans le bec, le mécanicien en profite pour faire quelques pas, rejoindre la file qui attend son biscuit.

Son ami murmure :
"Alors, comment va-t-elle? Tu m'avais dit que ça allait être délicat."

Abram n'a pas besoin de réfléchir trop longtemps pour comprendre.

"Elle était assez mal en point quand je l'ai vue pour la première fois, mais j'crois que je peux la faire revenir."

L'ami dont il est question semble alors serein. Abram rajoute, sans vraiment que ça soit adressé à son congénère : "La faire revivre."

Et la file avance. C'est bientôt son tour.

Aujourd'hui il y a une nouvelle tête à l'église, Eve le sait car, en tant que bonne Chrétienne, elle se rend tous les dimanches à l'église (enfin, elle y va surtout pour ne pas que son père l'incommode de questions), alors dès qu'un changement opère il ne lui faut pas longtemps pour le remarquer. Un homme, certainement la trentaine et béni par le temps vu son son visage travaillé mais encore jeune. Il sort du lot comparé aux autres chrétiens vêtus de la tenue du dimanche (qui se traduit par des costumes et jolies robes).
Quand vient le moment de prendre le corps du Christ, le pain, Eve suit l'inconnu. D'habitude la place est au silence ou à la prière des croyants, mais cet homme semble relativement bavard et sa conversation gagne directement la jouvencelle.

- Alors, comment va-t-elle? Tu m'avais dit que ça allait être délicat, lui demande son ami.
- Elle était assez mal en point quand je l'ai vue pour la première fois, mais j'crois que je peux la faire revenir.

Elle tend l'oreille.

- La faire revivre.

"La faire revivre" ? Étaient-ils en train de parler d'une femme ?
On parle bien d'un procédé n'ayant rien de Chrétien ? Alors que fait-il (lui et son compagnon) ici en ce dimanche ? Est-il venu afin de demander à Dieu de l'aider à remplir cette requête ? Cette situation énigmatique ravit immédiatement Eve. S'il parle bien de résurrection, elle souhaite être aux premières loges.

Quand les croyants finissent par quitter l'église, elle le suit aussi discrètement que possible, imprimant son visage dans son esprit. Puis il finit par disparaitre de sa vue.
Mais elle a toujours son visage en tête et, illumination ! Ce visage ne lui est pas entièrement inconnu ! Où sont les vieux journaux que papa Gale s'amuse à garder ? Elle fouille dans les cartons puis bingo ! Elle retrouve le visage de l'inconnu. Une publicité. Il est mécanicien. Abram, ce ne sera pas difficile à retenir. Elle inscrit l'adresse de son garage sur le carnet de post-it qu'elle emmène partout avec elle et décide de partir à l'aventure.
La marche à pieds, il n'y a rien de mieux, puis ça lui permet de réfléchir. Il est évident qu'elle ne pourra pas se montrer tout sourire face à lui et lui poser des questions sur ce qu'il s'apprête à faire. Il faudra qu'elle soit discrète, une ombre. Puis si c'est un mécanicien, il doit bien avoir une espèce de tableau en liège avec des informations utiles épinglés. Bon c'est un peu cliché mais s'il n'y a pas de tableau en liège y aura un bureau. Dans tous les cas y aura un endroit où Eve pourra laisser une lettre ! Car oui, il faut qu'elle reste secrète mais elle veut tout de même communiquer avec Abram, sinon ça ne serait pas intéressant. Ses post-it ! Encore mieux qu'une lettre, elle pourra peut-être en accrocher un peu partout avec des questions. Quelle idée amusante !
Eve est tellement perdue dans ses pensées qu'elle manque de passer devant le garage, heureusement elle ne tarde pas à revenir sur terre. Donc voici ce fameux garage ou se cache le sorcier en devenir.
Mince, le voilà ! Eve s'empresse de se cacher, dans un endroit où elle ne peut être vue mais peut tout voir. Elle sort son carnet de post-it et s'empresse d'y inscrire quelque chose. "J'ai entendu dire que vous souhaitiez faire revivre quelqu'un, je peux vous aider - Une amie".
Elle guette le moment propice pour sortir de sa cachette et se dépêche de coller le post-it sur la voiture sur laquelle Abram était en train de bosser. Parfait.
Puis elle revient doucement dans sa petite cachette, reste à voir si ça fonctionne.

Après qu'Abram et son ami en eurent finis avec les prières et les récitations (en vrai ça s'applique surtout pour Abram) (son ami il ne sait pas), le mécano fut près des premiers à sortir du lieu sacré. Il le sent, dans le fond, qu'il n'avait pas grand-chose à faire là. Pourtant, il jure que ses mots ont gagné une certaine valeur à être prononcés près de la croix de Jésus.
(...)

"J'ai le boulot qui m'attend. On s'retrouve ce soir, comme d'hab'." Et le duo se sépare avec la même quiétude qu'ils se sont retrouvés. Abram n'aurait aucun mal à avouer qu'il bénit les rencontres aussi simples et sans complications comme celles-ci. Passer du temps avec lui, c'est s'oublier un peu, faire les choses qu'il ne ferait pas en temps normal, aller voir un peu au delà des portes du garage. Bref, c't'un type qui le sort des habitudes, sans le forcer. Et ça fait du bien.

Mais en rentrant au Jerry's, il aurait peut-être pu sentir qu'on l'épiait. Peut-être, s'il avait pris le temps de regarder, il aurait pu apercevoir cette petite silhouette se faufiler entre deux rangées de voitures. Sauf que non : le mécano il a rien capté du tout. Son geste initial en entrant a été de jeter sa veste sur la chaise au fond et enfiler sa combine. C'est Dimanche, et pourtant Abram est là, fidèle au poste. L'amour pour le travail? Peut-être. Si on glisse le mot "BSA Lightning" dans l'urne. Sa chère et tendre épouse qu'il est censé retaper depuis... deux mois, déjà. Deux mois seulement qu'il est là.
Pour Abram, ça lui semble déjà une éternité. C'est l'effet que produit Liberty, sans doute.

Par contre, il remarque le post-it qui lèche la surface de sa bécane favorite. Sur la poignée du guidon, là... Un carré jaune avec une note écrite :


Dans un premier temps, sa réaction est de se demander si le papier lui est destiné (ça peut paraître idiot comme question mais!). Sauf que le post-it était sur sa moto. Peut-être quelqu'un qui l'ignorait? Et puis de toute façon...
Faire revivre quelqu'un?
Un ami?

Froncement de nez et de sourcils, qui marque l'incompréhension d'Abram alors qu'il s'agit en fait de ses propres mots. Qui d'autre que lui pourrait être au courant?

"...Sem?"

Sem a une écriture de fille. Il lui a déjà raconté, pour l'histoire des post-it (Abram aurait pas cru que ce serait vrai). Mais de là à...
Non. Ils se retrouvent ce soir. Pourquoi ferait-il ça? Pour rien. Ou c'est encore un de ces trucs pour le faire sortir de ses habitudes? Un semblant de raison souffle à Abram que "tu te trompes, c'est pas ton pote qu'a fait ça". Alors qui......
Il se retourne. Purement par réflexe. Le carré jaune était pas là y a une minute. Et en une minute le responsable a pas pu aller bien loin.

"Y a quelqu'un?"

Abram appelle au fantôme, espère sans doute une réponse qui ne viendra pas. Alors il regarde machinalement tout autour de lui, guette les objets qui auraient changé de place ou ceux susceptibles de planquer des gabarits pas trop larges. Là... Non. Ici... Pas moyen.
"Bordel mais." "Mais qui c'est?"
Il est encore assez lucide pour savoir que ce n'est pas lui-même.
Alors bon, plutôt que de chercher le vide, il froisse le papier comme le barbare qu'il est, le fourre dans sa poche et préfère oublier cette déviance pour le moment. Ce ne sera qu'après son quart d'heure passé sur sa BSA à revérifier les freins qu'il aura la pensée tiraillante que "Tu ne peux pas laisser cette affaire irrésolue comme ça." En effet...

Un stylo, vite. N'importe quoi.
Il tire les crayons du pot un par un, rature un bout de papier qui fut autrefois un devis (c'est quoi ce manque de professionnalisme que tu nous fais là Abram) et attend le troisième feutre qui répandra enfin son encre sur la surface immaculée. De là, il préfère écrire un truc qui n'apparaitra pas trop louche si d'autres personnes que la concernée dans cette histoire venaient à lire la note.


Son écriture grasse et illisible. C'est l'enfer à déchiffrer, mais quand il y a peu de mots comme ça, ça passe encore. (...) Pendant une seconde il se dit que c'est stupide. Qu'il ne devrait même pas essayer de répondre à cette blague. Mais il y a aussi ce quelque chose qui le pousse à déposer son morceau de papier arraché sur la selle de sa bécane. Personne d'autre que lui y touche de toute façon (ils sont déjà au courant les autres).
Et là il se dit :
"Si je m'en vais quelques minutes, est-ce qu'il va me répondre?"

C'est dans cette optique qu'Abram disparait dans l'annexe du fond du garage.

- Y a quelqu'un ?

Eve sent un frisson la parcourir, elle ne veut pas être vue et la peur d'être découverte l'oblige à s'enfoncer un peu plus dans sa cachette, lui empêchant de continuer d'épier le mécano.

Un quart heure passe et cela semble une éternité pour la jouvencelle. Elle s'apprête à quitter l'endroit quand elle voit le mécano lui répondre, miracle !
Puis comme par magie, il disparait après avoir laissé une réponse sur le siège de la bécane. Eve ne perd pas une seconde et quitte sa cachette pour lire le mot.
"Comment tu sais ?"
Elle s'empresse de sortir son carnet de post-it et y inscrit un nouveau mot. "Je vous ai entendu en parler." Elle s'apprête à coller le post-it quand elle réalise que cette phrase n'aidera pas à faire avancer la conversation, elle décide alors de rajouter quelques mots. "Je vous aiderai à accomplir cette tâche à une seule condition (...)" Elle se voit obligée de passer à un autre post-it. "Ne cherchez pas à découvrir qui je suis voire où je suis." puis colle les deux post-it sur la bécane avant de disparaitre de nouveau dans sa cachette.

Abram, on sait pas trop ce qu'il fiche dans l'annexe en attendant d'écouler le quart d'heure qu'il s'est promis de descendre. On ne sait pas, mais il y avait les bières. Au frigo. Fraîches. Qui ont eu raison de lui.

Pshit caractéristique de l'ouverture,
bouchon qui roule sur la tranche avant de s'écraser du côté pile. L'aiguille de l'horloge l'appelle au devoir; il revient près de sa monture de fer préférée, bouteille à la main. Et là Abram les voit. Les deux nouveaux carrés qui se sont agglutinés au réservoir qu'il venait de faire briller quinze minutes plus tôt. On lui a déjà répondu. Le fantôme, le coup de vent, le silence, le rien. Avec la même écriture.


Le mécano a ça dans les mains quand, naturellement, une pensée éclate : "Il est ici." Le fantôme à l'écriture de fille. Quelque part, dans cet atelier, à le scruter, à le jauger, à l'examiner comme un sujet d'expérience peut-être. À prendre des notes quelque part pour ne pas perdre une miette de son délire quand il retournera chez lui à se retourner dans tous les sens dans son lit. Même Sem irait pas aussi loin.
...Si?

"Merde, mais... Comment il compte m'aider."

Il le dit à voix haute, parce que c'est Abram. Et Abram il pense oralement, alors tout le monde l'entend. C'est pas pour autant qu'on le comprend. (...) Post-it froissés à nouveau et poussés dans le fond de sa poche, ça commence à former un petit relief à force de s'entasser. Un silence suit son geste. Il a encore le réflexe de tourner la tête pour vérifier s'il n'y a personne, mais rien n'a bougé. Et si à tout hasard son mystérieux visiteur porte du parfum, l'odeur de l'huile se chargera farouchement de camoufler ça pour lui.

Le stylo en main. Du bruit sur le papier, sur le devis. Il arrache (la déchirure frôle presque la fin de la phrase) (fiouh), dépose:


Maintenant,
la disparition.

"Qu'est-ce que tu as à gagner ?"

Elle relit la question encore et encore, puis son regard se perd dans le vide. Rien, voilà la réponse, rien. Mais pourtant sa réponse diffère, comme si saisir son stylo rose l'avait aidée à trouver une meilleure réponse. "La chance d'être témoin d'un retour à la vie." tout simplement, puis elle ajoute "Êtes-vous familier avec la magie noir ?" avant de coller de nouveau le post-it sur la bécane et de repartir dans sa cachette.