[a lot on my mind]
Many years ago, I asked God to make me a great woman and he sent me my son.

01. Tu te souviens du regard vide de ton petit frère. Étrange. Maman n'était pas là. Maman était partie. Loin, très loin. Papa lui travaillait beaucoup, tout le temps même. Et toi, toi tu étais avec Alfie, ton petit frère. Vous aviez deux ans de différence, et tout un monde de décalage. Lui venait d'ailleurs. Oui, ça tu en étais certaine. Ton petit frère venait de la lune. Parce que ton petit frère n'était pas comme les autres.  02. Tu te souviens de votre amour qui déborde. T'étais une adolescente perdue, une adolescente à la recherche d'une main tendue. La mort de ton petit frère t'avait foutu par terre et tu t'es accroché à lui comme à une bouée de secours. Il t’aimait avec ardeur. Tu l’aimais avec passion. Il était bien plus qu'un amoureux, il était ton âme sœur. 03. Tu te souviens de ce regard bleu azur Vous étiez des enfants, des gamins jouant les grands. Vous aviez décidé d’avoir un enfant. Un bébé à quinze ans, quelle drôle d’idée. Déjà anéanti par la mort de ton cadet, Papa t’as foutu à la porte. Démerde toi la môme qu’il s’est exclamé sans la moindre compassion. La société aussi était contre vous, vous avez dû apprendre seul. Et vous avez appris vite, au détriment d’une adolescence de liberté. Le nez dans les couches, la tête sur le compte en banque, tu faisais des ménages, il assurait votre avenir avec des études de droit. Ce n’était pas tous les jours faciles, oh non, mais chacun de ses sourires vous faisait oublier tout le reste, chacun de ses rires vous permettait de tenir le cap. 04. Tu te souviens de la colère dans ses yeux. Ou du moins c’est ce que tu crois y voir. Il t’en veux-tu en es certaine. Votre bébé a disparu, et tu en es la seule responsable, comment ne pourrait-il pas t’en vouloir ? T’as beau chercher dans ta mémoire, tu n’te souviens de rien. Tu hurles, tu cris. Tu… Mon Dieu tu te sens si vide. 05. Tu te souviens des chuchoteurs Les gens craignent la mort, elle vient, elle prend sans regret. Tu sais au plus profond de toi qu’il n’est pas…Mort. Une maman peu sentir ces choses-là. Mais tu as tellement peur. Peur qu’il ne vous revienne jamais. Qu’on lui fasse du mal. Gabriel est bien plus fort que toi pour ces choses-là. Il arrive à battre ses démons, toi ils t’envahissent. Ils te chuchotent des atrocités. Des monstruosités que tu n’es pas en capacité de repousser, car tu le sais, dans cette histoire tu es pleinement coupable. 06. Gabriel et toi ne vivaient plus ensemble depuis un certain moment déjà. Il a refait sa vie, t’as sombré dans la tienne. Tu t’es engouffrée dans une organisation que tu penses pouvoir être la seule à pouvoir t’aider. Ils te comprennent. Ils t’écoutent. T’asservissent. Et tu suis le mouvement sans la moindre once de résistance. 07. Tu vis ta vie par procuration. Spectatrice du monde, tu ne prends plus part à quelconque décision. Tu préfères te retrancher dans cette illusion de sécurité que tu as réussi à te créer au fil des années. Tu tournes en rond comme un lion en cage, et ce depuis qu’on t’a arraché une partie de toi-même. 08. Il y a peu tu as rencontré cet homme, membre de la secte, plus haut placé, tu te plis à ses désirs, ses fantasmes, et toutes ses exigences. Souvent la douleur est insoutenable, mais tu sais qu’il s’agit là de quelque chose que tu mérites. Il s’agit là de ta punition. La punition de Dieu. 09. Ton esprit est empoisonné, infecté par la haine, le désespoir et la tristesse, si bien qu’aujourd’hui c’est souvent contre toi-même que tu te bats. 10. Tu es asthmatique, et tu ne te trimballe jamais sans ton inhalateur. 11. Ton petit frère que l’on traitait autrefois de monstre ou de débile profond était en fait autiste, tu l’as appris en travaillant chez des personnes dont le fils souffrait du syndrome d’Asperger. Tu en veux aux médecins et tous ces autres psychologues et psychanalystes d’avoir fait culpabiliser ton père. De l’avoir rendu aigri, en enfermant ton cadet en hôpital psychiatrique pour enfant. 12. Tu ne bois pas, tu ne fumes pas, la religion et l’envie de retrouver ton bébé sont tes seules addictions. 13. Tu es très superstitieuse, tu crois aux esprits, aux fantômes et autres influences surnaturelles. Plusieurs fois tu as eu l’impression d’entendre la voix de ton fils dans les murs de ta maison. Mais tu n’es pas folle n’est-ce pas ? Tu es juste désespérée n’est-ce pas ? 14. Tu détestes les miroirs. Ton reflet t’effraie. 15. Oh si petite Leah voyait l'adulte qu'elle est devenue... Cette adulte enfermée dans son chagrin, éprise de religion, que dirait-elle ? Elle serait sans le moindre doute déçue. Déçue de cette jeune femme de vingt-neuf ans devenue l'ombre de ce qu'elle était autrefois.