[memories]
Bonnie est une gentille fille et, si elle a eu ses côtés sombres, ça lui est passé. Elle sort avec le même garçon depuis deux ans, un type bien, comme il faut, il ferait un bon père pour d'éventuels enfants et il a un métier correct, tout ce qu'il y a de plus honnête. Cette routine la rassure. Il ne se passe rien du tout, et c'est très bien comme ça. L'ennui, au moins, ça ne fait pas peur. Ni mal.
À Liberty, elle a quand même une réputation de fille facile, de fille à problèmes, celle qu'on ferait mieux d'éviter parce qu'elle aime s'attirer des ennuis. C'est connu, on répète. Même si elle s'est rangée.

- Quel que soit le métier, elle n'a pas fait d'études supérieures.
- Elle a au moins un frère, et son père est toujours vivant.

Elle avait seulement treize ans et pas tellement l'âge qu'il faut pour dire oui à un garçon plus vieux qu'elle. Surtout pas à Mads Jessup, le sale môme, le cabot fou, le voyou de père en fils. Bonnie, elle n'écoutait rien, elle le voulait contre elle, les mains sous les tissus, et pire s'il fallait pour lui plaire. En fait, Maddox ne l'a pas touchée - pas plus que ça, mais ce n'est pas ce qu'a voulu croire le pater quand il les a trouvés dans la voiture du petit enfoiré. Dès le lendemain, on portait plainte pour agression sexuelle et la rumeur a fait le reste à Liberty. Ça a dégénéré quand le père et le frère de Bonnie n'ont plus été capables d'attendre après la justice, parce que la gosse disait qu'on ne l'avait pas forcée, qu'il n'y avait rien, et qu'on pouvait prouver que dalle. Quelque part, Maddox n'a fait que se défendre, mais le juge a trouvé que c'était un peu trop, pour de la légitime défense, qu'il y était allé franchement. Alors on l'a envoyé à McLaren, en taule.

Ils se sont revus quatre ans plus tard, après que Maddox a fini sa peine chez les majeurs. Bonnie était loin de l'avoir oublié, et ils ont commencé à sortir ensemble, en cachette. Ça n'a jamais été joli entre eux. Elle a tenté de s'en convaincre, mais ce n'était pas le cas. Ils se sont séparés, remis ensemble, mis en sang. Plus elle que lui. Mads ne se contentait pas de la tromper, il l'a battue. Par jalousie et impuissance. Et Bonnie pouvait bien lui dire qu'elle n'était pas sa mère, rien n'y faisait. Elle n'est pas toujours restée, elle est souvent revenue. Son père et son frère n'y pouvaient vraiment plus rien, parce qu'il y avait ces connards de Red Devils derrière Maddox, prêts à mordre ou à décharger des chargeurs dans le crâne des gens bien. Et Bonnie les détestait tous. Elle détestait sa violence sourde, ses trafics, et c'est pourtant la prison qui lui a sauvée la vie. Si elle avait déjà réclamé une ordonnance restrictive contre Mads, elle n'a été rassurée, soulagée, que lorsqu'il a pris treize ans à l'autre bout de l'État. Treize ans, c'est quasiment toujours. Treize ans, c'est pas trois.

Elle ne sait pas encore qu'il est ressorti. Elle s'est reconstruite une vie sans lui.