Blanc virginal au dessus d'elle, cocon de coton ou de plâtre, elle en savait rien, s'en fichait d'ailleurs. Il n'y avait que les tintements incessants de robots chantant le même rythme autour d'elle, la douleur au creux du bras et jusque sous les ongles de ses doigts martyrisés, un tambour au bruit plus sourd au fond de la tête sous une lumière trop importante. Elle a attendu. Elle a attendu qu'un visage se présente à ses yeux alors que sa gorge asséchée cherchait des mots à sortir mais rien, juste des bruits cassés sous la sécheresse de n'avoir plus rien dit depuis des années, il lui semblait. Les draps étaient chauds mais rêches contre ses bras et ses jambes, rien qui ne lui donne envie de rester dans un endroit dont elle ignorait tout, qui lui donnait l'envie de fuir. Mais où ? Et pourquoi ?

La sentence est vite tombée. Sa mémoire raflée et son corps trouvé, trop pâle, effondré dans la terre humide. Et elle s'est enfin rappelée du froid sur son corps, du vent qui mordait la peau comme des dents s'y plantant, n'apaisant pas les blessures sous ses pieds nus, la rage, le dégoût, ce putain de désespoir et ce même sentiment de peur. Non, la peur était un mot si peu représentatif du sentiment qu'elle éprouvait à ce moment-là. Elle a traversé les bois, s'est écorché la peau maintes fois, la bile remontant doucement son chemin le long de sa trachée mais rien n'est sortit à part des sanglots apeurés. Mais pourquoi ? Pour qui ? Elle n'a rien en fond de toile à part ces souvenirs où rien ne se raccordent. Puis face aux visages de deux flics et à celui d'un médecin, elle a pas su dire, aucune réponse à la question « Comment vous appelez-vous ? » Elle en savait rien, bordel. Son nom, son âge, ni même ce qu'elle avait bien pu mangé la veille ou les heures précédents son arrivée dans ce lit. Des proches à appeler ? Seule ou entourée ? Rose ou gris ? Pas de réponses à tout ça. Rien. Un brouillard si épais qui régnait et règne toujours sur son esprit. Elle a cru mourir, tomber dans le vide que son propre corps habitait désormais, ne pas savoir comment se relever et ne plus faire face à cette feuille blanche qu'était sa mémoire.

Des jours, des jours à fixer le plafond sans savoir, à s'alimenter sans le vouloir vraiment, à se détourner parfois vers la fenêtre qui donnait sur l'immeuble d'en face, où elle pouvait apercevoir des gens à leur balcon, poursuivre leurs vies sans avoir à froncer les sourcils pour se rappeler même ce qu'ils ont fait quelques minutes auparavant. Parce que maintenant, elle peine à se souvenir d'un détail, de quelque chose, ça se gomme aussi facilement qu'un trait de crayon léger, si fin, tellement fin. Elle a plus répondu aux questions de la police. Elle savait pas, elle avait rien à dire de plus. Puis une énième nuit est venue, la nuit où elle a voulu finir d'attendre qu'on vienne la chercher, qu'on lui dise que quelque part elle était aimée, chérie, attendue. Attendue, oui. Elle a sûrement attendu que des fantômes, des formes sans visages et sans noms que les gens appellent famille. Que dalle.

L'enfant a prit le large.

La perfusion à son bras a résisté, fort, un peu trop longtemps et elle a enfin vu la couleur carmine, jolie mais sombre de son sang s'étaler sur le sol en quelques gouttes délicates. Mais pas de cri ou de plainte. Rien. Plus que la musique de son cœur tambourinant trop fort au fond de sa poitrine pour rythmer son évasion précaire et une fois retournée dans le froid, comme pour revenir à la case départ, elle a couru si longtemps que ses pieds ont de nouveau soufferts de sa bêtise. La biche a finit sur une route, quelques bruits effrayants pour retenir son attention avant que comme l'animal sauvage échappé de l'enclos elle finisse devant les phares d'une voiture. Pas les flics, pas les flics. Elle avait priée assez fort peut-être ? Le crissement des pneus et deux visages intrigués et ahuris derrière un pare brise dégueulassé de poussières. Tremblante et sans savoir à qui faire confiance ou non, elle a pourtant pas reculée devant les ombres qui sont venus vers elle, qui lui ont sourit. Enfin, rien qu'un seul sourire parce que l'autre ne lui a accordé qu'un regard vide, plus vide que le sien sûrement.  « J'veux aller loin, loin là où personne retrouve personne. » parce qu'elle n'est plus grand chose pour grand monde. Il a juste fallut quelques mots pour qu'on l'entraîne dans leur monde. A l'avant d'une bagnole, elle a pu éponger son sang, sans qu'aucunes questions ne soient posées et elle a sourit, pour la première fois depuis les murs blancs qu'elle avait découvert, en entendant la musique qui suintait d'un auto radio, les a écoutés parler sans être forcée à parler. Le front collé contre la vitre, elle a observé un monde dont elle ne connaissait plus grand chose finalement. Pourtant, elle connaissait les mots qui allaient avec chaque choses mais quelles émotions s'y rapportaient avant qu'elle ne devienne qu'un livre sans mots ? Elle sait pas, elle sait plus.

« C'est quoi ton nom ? » la question a fusée et cette fois-ci après des heures dans le silence, elle s'est pas contractée, elle a détournée les yeux du paysage défilant pour le poser sur celui qui tenait le volant, observant ses traits en silence, comme ces enfants qui vous fixent longtemps, sans honte avant de prendre le temps de réfléchir, de savoir ce qui irait bien à sa vie maintenant. « Sorrow. » et elle est née, sur un siège en cuir usé, avec une musique de vieux rock en fond et l'odeur de la clope embaumant le tout. C'était pas exceptionnel, juste … c'était dit. Il a hoché la tête, tourné celle-ci vers elle, une balafre marquant l'arrête de son nez et sourit à nouveau et elle a juste espéré, un peu, qu'avec eux, elle serait plus seule, que ça irait mieux. Qu'une fois arrivée à la destination dont elle savait rien, elle serait pas obligée de vivre seule, sans rien et même sans fringues à enfiler.

Maintenant, elle sait toujours rien Sorrow. Rien du passé et pas grand chose du présent non plus. Ses pieds sont enfin chaussés de baskets achetées parce qu'elles étaient jaunes et que le jaune lui plait bien. Elle a enfin la sensation d'avoir plus chaud, a redécouvert le goût d'un café qu'elle s'amuse à remplir de trop de lait devant le regard blasé ou curieux des deux types qui l'accompagnent. Elle sait toujours pas d'où vient leur thune, ni même si ils viennent du bon camp ou non mais rien ne l'intrigue, elle est trop absorbée par le fait de savoir ce qu'elle doit écrire comme mot sur les pages de sa vie maintenant, qu'est ce qu'elle peut bien construire quand elle a que des bouts d'elle éparpillés ci et là dans la tête ?