--------------------------- b r o t h e r ;

C'est le scintillement de l'arme, qui la réveille avant le jour.
Lorsqu'elle ferme les yeux, il est là. Le sourire infini. Elle tend la main, elle tend la main et il relève un regard amusé. Il n'a jamais compris. Ses jeux n'avaient pas de règles. Et lorsque la lame s'est glissé entre ses côtes, au coin d'une rue mal famée, sombre et silencieuse, c'était trop tard. Et elle n'était pas là.
Elle entend encore les éclats de son rire, si doux, si honnêtes, lorsqu'il était si petit qu'elle pouvait le faire disparaître dans l'étreinte de ses bras. Elle devine sa silhouette dans les ombres des rideaux. On lui dira qu'il n'a pas souffert – pour apaiser ses tourments, pour l'aider à se pardonner. Mais la vérité fait mal, elle brûle jusque dans le cœur, son petit frère a traîné son corps mourant jusqu'au grillage, et en silence, il a senti la vie se dissiper entre ses doigts rougis. Vingt ans. Vingt coups. L'ironie du hasard. Et elle avait juré de le protégé. Mais ça n'est pas sa faute. Elle n'était pas là.
Et c'est là toute la terreur qui la tient éveillée parfois.
Elle n'était pas là.

h u s b a n d ---------------------------

Ils s'étaient épousés en secret, les astres pour témoin. Des promesses à l'aube, de s'aimer jusqu'à ce que la mort les sépare.
Et c'est arrivé trop tôt.

Le poing s'écrase doucement sur la porte – Ada sursaute, elle tremble, elle sait. Dans un mouvement lent, faible, elle glisse jusqu'à l'entrée. Et ils sont là, l'uniforme impeccable, les traits tirés sous la lueur de la nuit. Les excuses sont floues, hasardeuses. Elle les oublie déjà, Ada, les doigts tremblants au coin des lèves. Leroy est mort.

Plus tard, autour d'un cercueil fermé, parmi les poussières et entre les sanglots, on dressera le portrait d'un frère, d'un fils, ou d'un collègue. Et Ada serrera les poings, les paupières, retiendra les cris de douleur qui feront trembler ses lèvres. Elle refusera de dire au monde ce qu'il était en secret – lorsqu'il n'y avait que ses yeux à elle, ceux de leurs enfants, pour le voir. Lorsqu'il n'était ni l'enfant, ni le flic. Seulement le père et l'époux. Lorsqu'il inventait le monde et capturait les rires. Parce que l'exposer ainsi, c'était trahir leur secret. Et accepter, trop tôt, qu'il ne reviendrait jamais.

--------------------------- s o n s ;

Leurs rires éclatent toujours – les mêmes mélodies, les mêmes lueurs. Lorsqu'Ada s'effondre parfois, qu'elle perd l'équilibre, juste un instant, ils lui offrent les plus beaux sourires. Et elle s'accroche à la chaleur de leur peau, et la douceur de leurs regards. Ils sont tout – ils sont ce qu'il reste d'une union brisé, l'héritage laissé au monde. Deux petits hommes, si petits, si frêles, et pourtant si forts.
Elle les regarde sans cesse, elle retient sa respiration, soufflée par la bonté de leurs gestes et leurs petits mentons relevés. Le calme de l'aîné, mature et réfléchi, lorsqu'il se hisse sur ses pieds pour aider à la cuisine. L'énergie du plus jeune, l'imagination débordante, l'esprit vif et la générosité infinie. Ils sont tout. L'ancre et l'oxygène. Ils la retiennent à la surface, empêchent la dérive.
Et elle n'est pas naïve, Ada. Elle sait les dangers qui rôdent, les ombres silencieuses qui fuient sur les trottoirs de Liberty. Celles qui ont pris son frère. Qui ont pris son époux. Parfois, elle sursaute au claquement d'une porte. Tend la main vers le tiroir, dans lequel dort encore l'arme qu'elle possède. On ne lui prendra rien de plus.