L’assurance, derrière une démarche nonchalante et pourtant, une apparence engageante. Trop propre sur toi, pour beaucoup. Tu n’as plus l’air du petit caïd, intrépide et téméraire. Forte tête, habituée à foutre le bordel. Ici, tu fais plus adulte, tu fais plus mature, bien que derrière les sourires, les petits trafics ont la peau dure. Demeure encore, dans un coin, comme pour pourrir un peu plus ton existence déjà tâchée d’imperfections.
T’as le regard qui balaye la rue, alors que tu vas juste à l’épicerie du coin, choper deux trois trucs pour Blanche et son amour de la pâtisserie. Mais dés que tu vas en ville, tu en profites pour tout observer, pour sourire aux belles qui passent et asseoir un peu plus tes petits trafics. Ceux-là même qui pourtant, t’ont foutu en taule parce que t’as été suffisamment con pour te faire prendre. Pas grand chose, pas trop de preuves, un truc un peu bancal, mais suffisant pour te faire passer quelques années derrière les barreaux, à craindre autant pour ta vie pour que pour ton cul. Mais si dans le fond, avec ton assurance et ton bagout, ta manipulation et la force de tes poings, tu n’as pas été trop emmerdé. T’as réussi à faire ton trou, à te faire un minimum respecté, histoire d’éviter le plus possible les emmerdes. Et il y a eu Bruce. Bruce et sa rage de vaincre, son envie de cogner et d’en vouloir au monde. Oui parce que dés que tu l’as rejoint, pour trois années à passer avec tes regrets, à méditer tes conneries, il était déjà là depuis un moment, Bruce.
Ce même grand blond que tu crois deviner, à côté d’une vieille moto qui a de la gueule. T’en fronces les sourcils, face à tes interrogations. Tu savais qu’il ne passerait pas sa vie en taule, mais tu n’avais aucune idée de sa date de sortie. Ou même encore de s’il allait rester dans le coin, à Liberty. Tu savais juste qu’il voulait refaire sa vie, d’une façon ou d’une autre, sans la nana qui l’a lâché, qui est parti. Tu remontes un peu ton pantalon, par réflexe, jean droit, un peu serré, parce que t’as dû laisser tomber les jeans trop larges et l’allure de mauvais garçon. Puis tu t’approches.
Encore un peu.

Tu parviens enfin au niveau du type, que t’es pratiquement persuadé de reconnaître. Un air trop familier et une carrure que tu as trop détaillée, dans les instants de solitude passés avec lui. Il est de dos, mais t’es pratiquement certain. « Bruce ? » T’oses demander, un peu hésitant, presque un peu hagard, mais si c’est bien lui, t’as qu’une envie, te jeter à son cou, comme la maîtresse d’un mec resté loin trop longtemps. Oh votre lien n’a été en rien de cet acabit, mais il a été ton compagnon de galère. Il a partagé avec toi un truc que personne d’autre, ou presque, ne peut comprendre. Il faut le vivre, pour être capable d’en parler correctement.
Finalement, le type se retourne, pour t’afficher son regard trop familier. Pour t’afficher un visage marqué, abîmé, fatigué et pourtant tel que tu t’en souviens. T’as un sourire qui s’élargit, comme un gamin trop heureux. Tu te jettes contre lui, dans ses bras, pour l’entourer des tiens et lui offrir quelques tapes dans le dos. C’est comme retrouver un repère. Il t’a empêché de péter un câble, de faire trop le con, là-bas, reclus. Loin de tout et de tout le monde. Tu avais besoin de ça, d’une bouée pour ne pas couler. Pour ne pas alourdir une peine pourtant légère. Nerveux comme tu es, tu aurais été bien capable de tout gâcher. De foutre un peu plus en l’air ta propre vie. « Putain j’suis trop content d’te voir sérieux ! » T’as une joie contagieuse, même si tu sais que lui, va surement un peu halluciner de ton comportement de gamin qui refuse de grandir. Affectueux que tu es.

Il bosse pas en cette journée ensoleillée, c'est pour ça qu'il a décidé de faire un petit tour en ville même si dans ses habitudes, Bruce est plus du genre à la fuir. Aujourd'hui, il a pris son courage et sa patience à deux mains pour se perdre dans les artères de Liberty, affronter le regard haineux des gens et les chuchotements à son encontre. L'ancien taulard en a aussi profité pour aller s'acheter des clopes parce que s'il a arrêté beaucoup de choses derrière les barreaux, la cigarette est l'ultime vice qui lui colle encore à la peau. Douce addiction qui l'aide à ne pas flancher totalement, à détendre ses nerfs toujours si à vifs. Parce que depuis qu'il a croisé Ethel, qu'il a confronté son regard tout s'est emballé chez lui. Il serait capable de détruire le premier qui viendrait le vexer un peu trop. Et dieu sait qu'il est capable de se vexer pour n'importe quoi Bruce. Il a d'ailleurs les sourcils qui se froncent lorsqu'un type prononce son prénom. La bête se tourne, froide, limite agressive jusqu'à ce que les traits de son visage ne se détendent.
Jude.
Il peut pas s'empêcher de lui sourire, d'être sincèrement content de le revoir. Ce type là est certainement le seul qui ne le jugera pas pour toutes les merdes qu'il a pu faire. Il avait passé des heures à lui raconter son calvaire et écouter le sien. Les moments passés à deux lui collent à la peau et retrouver son ami l'enveloppe quelques instants dans une bulle tendre. Pour une fois que Bruce a la sensation que tout ne se retourne pas contre lui.

Jude, p'tain d'merde ! C'est tout ce qui parvient à sortir de ses lèvres sur le moment tellement qu'il est surpris. Bruce pensait pas le revoir, du moins pas aussi vite bien qu'ils se soient échangés des numéros en cas d'urgence. Le regard bleuté du grand se pose sur la silhouette de Jude qu'il détaille un instant, remarquant au passage ses vêtements changés, ses cheveux coupés et la barbe si bien taillée. Pas mal le style premier d'la classe. T'vas me dire que t'es devenu avocat ou quoi ? Il rit un peu, se moque du blond avec sympathie alors que ses doigts se serrent sur son casque qu'il tient entre les mains. Tu m'laisses t'inviter à boire un coup, mec ? Il a retrouvé son sourire Bruce et en profite tant que ça dure parce qu'il sait combien tout peut si facilement se casser la figure. Il est plus vraiment le même depuis sa sortie ; Bruce est plus distant, moins tactile, limite froid. En prison, à cause de la proximité constante, la bête se laissait aller à quelques caresses. Jude l'avait même envoyé chier quelques fois à cause de ça mais aujourd'hui, tous ces écarts semblent si lointains qu'il a la sensation d'être un autre homme. L'idée même de ne faire qu'un avec un type pourrait le dégoûter. Il est plus de cette trempe là, Bruce, n'avait pas le choix pendant ces dernières douze années.
Voir Jude le rend joyeux mais cette attirance si forte qu'il ressentait autrefois semble s'être suicidée sur le trottoir de la taule.
Tant mieux.

Tu t’es jeté sur lui comme sur un ami de longue date. Mais finalement, c’est un peu ce qu’à été Bruce en taule. Endroit de solitaire pourtant enfermé avec une bonne centaine de personnes. Tu as bien dû te lier, un minimum. Tu t’es fait remarquer avec ton arrogance et ta belle gueule, mais c’est de Bruce que tu t’es le plus rapproché. Ton compagnon de cellule et finalement, ton confident d’un temps. Trois longues années et pourtant, une sentence bien courte par rapport à la sienne. Alors oui, revoir ici ton compagnon d’infortune, ça te fait quelque chose. Ça te touche, en un sens, parce que vous avez beaucoup partagé et que sans son soutien, les choses auraient été bien moins évidentes, tu le sais.
Tu te recules légèrement après ton étreinte voler avant de rire de sa réplique. « Oué t’as vu ça, j’ai dû m’ranger un peu » Dis-tu d’abord en passant une main dans ta tignasse blonde parfaitement taillée. « Avocat non déconne pas, t’sais bien que j’suis trop un voyou pour ça ! » Tu ris de plus belle, tu es forcé d’admettre que te ranger du côté de la loi, ça t’es presque impensable. « Non c’est bien moins glorieux ma nouvelle carrière, mais oué on peut en parler autour d’un verre, j’allais pas t’laisser repartir si facilement » Tu lui souris de plus belle avec une espèce de joie de vivre contagieuse. T’as toujours été comme ça, à vivre trop fort. À ressentir trop intensément. C’est peut-être aussi cette force là qui t’a fait tant te faire remarquer. Qui t’a toujours poussé à plus de sensations et de conneries au fil des années. Qui t’a fait dévier du droit chemin mais qui, en même temps, t’a donné l’impression de vivre. Sauf bien sur lorsque tout s’est écroulé pour la prison et que t’as eu peur de tout perdre. Comme Bruce avait pu perdre sa femme et son gamin. T’as toujours eu les boules pour lui et t’espère bien qu’il finira par se reconstruire, la retrouver, être heureux, parce qu’il le mérite. Tu l’as toujours pensé et tu le penseras toujours.

Vous vous dirigez vers le petit bar non loin avant de vous installer au comptoir côte à côte. T’as ce sourire contagieux. « T’as une meilleure tronche en tout cas, t’es sorti y’a combien de temps ? » Tu savais bien qu’il devait sortir quelques temps après toi, mais insouciant comme tu es, tu n’as même pas pensé à retenir la date ou quoi que ce soit d’autres. À vrai dire, tu ne pensais pas le croiser par ici, à Liberty. La prison, ça vous marque un temps, c’est comme hors de tout, loin de la réalité. Comme si tout ce qui s’y passe ne comptait pas pour l’après. Alors oui, peut être que naïvement, tu n’imaginais jamais le revoir, malgré le fait que vous aviez partagé autant. Ca t’a marqué cette expérience, tu t’es d’ailleurs juré de ne jamais plus te faire prendre, de ne jamais plus retourner en taule. Pas que tu en sois traumatisé, mais ça t’a fait comprendre que tout ce que tu as dans ta vie aujourd’hui peut rapidement se casser la gueule et ça, tu ne le veux surtout pas. « T’es installé dans le coin ? » Renchéris-tu, curieux. Tu veux tout savoir, du genre à aimer avoir connaissance des choses. Surtout que merde, Bruce, il a marqué ta vie et même si tu laisses la prison derrière toi, tu n’oublieras jamais cette expérience marquante.

Quand il est en ville, y a toujours un regard pour se poser sur lui parce que personne n'a vraiment oublié ce que Bruce et ses salauds d'amis ont fait par le passé. Personne n'a su digérer tout le mal qu'ils avaient pu laisser derrière eux sans se poser de question, sans rien regretter. Parce que le taulard ne regrette pas d'avoir mis en danger des vies, d'en avoir même enlevé quelques unes sur son passage non parce que pour lui, tout ce qui comptait à l'époque (et qui compte encore même s'il l'a perdue) n'est autre que sa famille. Certainement qu'il est égoïste mais il s'en fout, laisse couler la haine sur lui comme de la pluie coulerait sur du plastique ; ça l'atteint pas réellement, il a d'autres chats à fouetter. Là, s'il s'accorde une pause ce n'est que parce que Jude fait parti de sa vie, de celle qu'il a vécu pendant douze ans et qu'il n'oubliera certainement jamais. Bruce aurait été du genre à le saluer avant de se barrer mais pour une fois, le colosse fait un effort et l'invite à boire son verre. C'est qu'un môme Jude, après tout, un putain de môme enfermé dans une enveloppe de chair qui commence à s'user avec le temps. Il est un peu con le blond, c'est vrai, mais c'est pas un méchant garçon, au fond. Non, Bruce dirait même qu'il est plutôt sympathique et qu'avec ses airs de mec propre, celui-ci serait bon à marier. Le maçon, lui, n'a pas encore pris le temps de réellement bien se coiffer et de raser sa barbe parce qu'il s'en fout un peu. Il a plus besoin de plaire à qui que ce soit, sauf peut-être sa prof de yoga qu'il se taperait bien même s'il doute avoir ses chances vu l'alliance qui orne son doigt. Un rire traverse ses lèvres lorsque le blond lui balance qu'il comptait pas le laisser partir aussi facilement. Il a pas l'habitude, Bruce, qu'on veuille de sa présence parce qu'on le voit toujours comme la brebis galeuse. J'sais bien, t'as toujours eu un faible pour moi. Il hausse les épaules et termine par aller au bar en présence de son ami.

Une fois installé, son regard bleuté se tourne vers Jude qu'il détaille alors que celui-ci commence avec ses questions. Bruce a la sensation qu'on lui pose toujours les mêmes alors il répond toujours pareil, rien de bien intéressant en soi de toute façon. Bwarf, y a quelques semaines, rien d'bien important. Mais tu sais, je me surprends à me faire plus chier dehors que dedans. J'sais pas là-bas, c'est tout un monde, on a nos habitudes, tout est chronométré et … fin j'sais pas. Il est pas du genre à bien savoir exprimer ses sentiments Bruce parce qu'il intériorise depuis douze ans. Une fois, le taulard a quand même su ouvrir plus ou moins son cœur a un autre détenu mais de ça, il n'en garde que des souvenirs vagues parce que cela doit faire cinq ans qu'ils ne se sont plus revus, que les couloirs de la taule se sont espacés au point de les séparer à tout jamais. Alors, devant Jude, l'homme commande une bière pour passer à autre chose, oublier la taule et tout ce qu'elle peut encore représenter aujourd'hui. J'vis avec ma sœur dans le coin, j'savais pas trop où aller. C'est provisoire, j'attends d'avoir assez de fric pour me barrer. Se barrer loin d'Ethel et de sa famille perdue. Il pensait que les choses seraient plus simples mais depuis qu'il l'a vu, Bruce ne cesse de se détruire à penser à elle, à l'aimer plus que de raison alors qu'il n'a tout simplement plus droit. Il ne pourra jamais se reconstruire s'il la sait dans les parages. Enfin bon, on s'en branle un peu. Vulgaire, brute, il boit une gorgée et se tourner vers Jude. Toujours avec ta poupée toi ou t'as décidé d'changer entre temps ? Les poupées ils les appellent comme ça en taule parce que les femmes deviennent des sortes de fantasmes presque inatteignables. Certains parviennent à en ramener au parloir et raconte leurs ébats discrets avec celles-ci. Bruce n'en avait plus touché depuis une éternité avant de quitter la taule. Maintenant qu'il est là, dehors, le côté vilain garçon attire toutes les filles faciles du coin et lui il aime ça, la facilité. Il baise à droite et à gauche sans se poser de questions, sans jamais revenir une seule fois sur la même. Qui sait, p't'être qu'un jour au milieu d'elles se trouvera la bonne, une catin à l'âme si belle qu'il aura envie de la dévorer et de la détruire comme il l'a fait avec Ethel, comme il continue de le faire avec Ethel. Il s'prend pour un bon gars Bruce mais au final, il n'est même pas certain d'avoir changé depuis tout de temps.
Il s'en fout.