[a lot on my mind]
Elle est belle, Farrah, merveilleuse. De son mètre presque 80, de ses grands yeux bruns, de ses cheveux divins. Comme touchée par la grâce, choyée par les dieux. Mais il y a dans sa beauté quelque chose de céleste, de dangereux. Comme le fruit défendu, celui qu'il ne faut pas croquer au risque de tout perdre parce que Farrah, elle est déjà passée par là. Elle a déjà tout perdu, sa famille, sa dignité (parfois), son pays. Tout. Pour survivre. Pour être la plus forte, de ceux qui vivent plus longtemps que tous les autres. Elle est belle Farrah, illuminée par sa jeunesse. Et pourtant, personne ne lui donne son âge à Farrah. Vingt-deux ans. Il y a le poids de son vécu qui a déchiré son âme, déformé ses épaules qu'elle considère comme solides. Et dans son regard, il n'y a pas d'innocence, depuis bien longtemps. Mais il y a parfois des étincelles, de celles dont on tombe amoureux comme on tombe d'une chaise. Rapidement. Douloureusement.

Elle n'a pas connu sa famille, Farrah. Elle ignore qui ils sont, ce qu'ils sont devenus, pourquoi ils n'ont pas voulu d'elle. Et elle se force à penser qu'elle est au dessus de cela, qu'elle s'en fiche bien. Mais au fond, c'est comme un souffle au coeur qu'elle emportera dans la tombe. La trahison primaire qui justifie les siennes. Oeil pour oeil, dent pour dent. Elle ne croit pas au bien ou au mal, Farrah. Elle n'a pas cette vision manichéenne de la vie. On ne lui a pas appris cela entre les murs de son orphelinat. Et Farrah, elle a toujours fait ce qu’elle devait faire pour survivre, sans se soucier de la morale. Elle a volé, menti, blessé – peut-être même pire. Elle garde ces choses pour elle. Mais on la connaissait, la gamine. Avec ses doigts de fées qui dérobaient subtilement les poches, avec sa langue qui vous envoutait de ses mensonges. Elle en a vendu de l’eau du robinet qu’elle faisait passer pour de l’eau de la Mecque ou un breuvage miraculeux.  Elle en a trompé des hommes, de ses charmes. Elle en a fait des choses qui ferait pâlir les saints de ce monde. Et sans hésiter.

Elle est mystérieuse et un brin froide, Farrah. Mais pas réellement méchante. Elle en a fait des choses pas catholiques oui, mais les mauvaises actions ne font pas d'elle une mauvaise personne selon ses critères. Elle est même plutôt amicale, un peu étrange, beaucoup trop dans son monde. Elle mesure ses propos. Elle ne donne pas dans le sarcasme. Elle parle pour exprimer sa pensée, sans détour. Même si cela déplait parfois. Elle est très franche, mais elle ment aussi beaucoup pour arriver à ses fins. Elle n'y pense même plus, à vrai dire. Cela se fait naturellement.

Beaucoup la pensent Copte et chrétienne, même son époux, mais la vérité est toute autre. Farrah ne connait pas ses origines. Et plutôt que de partir à leurs traces, elle a préféré s'en créer de nouvelles, se pensant l'ultime héritière de l'egypte ancienne, même si elle se garde bien de le dire. Farrah, elle ne croit pas en un seul Dieu, mais en plusieurs, donnant de sa vie pour des pactes mystiques. Elle joue de ses croyances pour son affaire fleurissante, promettant bonheur et fortune en bidouillant quelques histoires factices. Osiris ceci, Anubis cela. Son accent et son charisme s'occupent du reste.

Elle est très intriguée par ces histoires d'extraterrestres, persuadée que la théorie des anciens astronautes est réelle. Dès lors, il n'est pas rare de la voir rôder en pleine nuit, à la recherche de réponses à ses questions.

Farrah est un véritable caméléon. Capable d'emprunter tous les accents des différents pays du monde arabe, elle s'est déjà faite passer pour une tunisienne, une marocaine, une syrienne ou encore une libanaise. Et même si elle est incapable d'adopter un accent américain parfait, elle a totalement assimilée cette culture qui lui était étrangère, si bien qu'elle se fond pratiquement dans le décor. Néanmoins, elle n'en reste pas peu fière de son pays natale qu'elle adore par dessus tout.

Elle a de nombreux symboles égyptiens tatoués sur tout le corps. Une vraie chasse aux trésors.

Elle dépose l’assiette sous son nez, laissant peser le silence dans la salle à manger qui n’a jamais semblé aussi froide. Et alors qu’elle prend place à l’autre bout de la table, il ne peut s’empêcher de regarder son repas d’un œil soupçonneux avant de faire face à celle qui partage sa vie. Il lui adresse un sourire peu convaincant pour endormir les doutes qu’elle pourrait avoir puis il boit une longue gorgée d’eau, savourant chaque goutte, pour gagner du temps. Elle semble si différente, si distante. Il n’y a presque rien entre eux, si ce n’est la table et pourtant, des années lumières les séparent. Et s’il fut charmé par ces grands yeux en amande, il en a désormais presque peur, parce qu’elle est calme, trop calme. Et silencieuse. Mais son regard ne trompe pas. Il n’y a plus cette flamme qui brûlait à son égard. Il ne reste que la fumée de cette passion éteinte et envolée. Et il se sait en présence d’une inconnue, d’une femme dont il ignore tout. Et il n’est pas certain de la véracité des choses qu’il connait. Et pourtant, elle est là, juste là, en face de lui, assise à sa table, partageant son nom et sa maison, et il ignore s’il peut toujours lui faire confiance. Il en vient à se demander s’il n’expirera pas son dernier souffle après ce repas, parce qu’il doute d’elle et de ses intentions, parce qu’il en vient à penser qu’elle serait capable du pire, après avoir vu le meilleur en elle. Et Farrah, elle le fixe, plongée dans ce silence qui la caractérise et grossit le mystère de sa personne. – Mange, mon cœur, ça va être froid, que claque sa langue, son accent enrobant de chaleur et de grâce ses paroles. Mais l’affection lui fait défaut. Les mots sonnent faux. Et s’ils sont de nature tendre, ils résonnent comme une menace prononcés du bout de ses lèvres.